Les autorités maliennes et françaises ont assuré à l’unisson le jeudi dernier qu’une frappe menée le dimanche 3 janvier 2021 par l’aviation française avait touché uniquement des djihadistes, alors que des villageois ont rapporté des victimes civiles au même moment dans le même secteur.
Les faits qui se sont produits dans le secteur de Douentza-Hombori suscitent depuis des jours les interrogations sur l’éventualité d’une bavure dans le centre du Mali, l’un des principaux foyers de la violence qui ensanglante le Sahel.
Des villageois et une association de défense de l’ethnie peulh ont fait état d’une frappe aérienne ayant atteint une fête de mariage, faisant une vingtaine de morts dans le village de Bounti.
Décrit par plusieurs villageois comme un hélicoptère, l’appareil qui aurait tiré ne pourrait a priori appartenir qu’aux armées malienne ou française, les seules à frapper du ciel malien.
Après avoir indiqué en début de semaine qu’une patrouille d’avions de chasse français avait frappé un rassemblement de djihadistes et «neutralisé» plusieurs dizaines d’entre eux à l’ouest d’Hombori (donc dans le même secteur), l’état-major français s’est fendu d’un communiqué jeudi soir pour souligner que «les allégations consécutives à la frappe relèvent de la désinformation» et qu’«aucun dommage collatéral, aucun élément constitutif d’un rassemblement festif ou d’un mariage n’a été observé».
Selon l’état-major français, «plus d’une heure avant la frappe, un drone Reaper a détecté une moto avec deux individus au nord de la RN16 (axe routier reliant Bamako à Gao, ndr). Le véhicule a rejoint un groupe d’une quarantaine d’hommes adultes dans une zone isolée. L’ensemble des éléments renseignement et temps réel ont permis d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT (groupe armée terroriste, ndr)» et «l’observation de la zone pendant plus d’une heure et demie a également permis d’exclure la présence de femmes ou d’enfants».
«Compte tenu du comportement des individus, des matériels identifiés ainsi que du recoupement des renseignements collectés, il a été ordonné à une patrouille d’avions de chasse – alors en vol – de procéder à une frappe ciblée à 15 heures locales», «à plus d’un kilomètre au nord des premières habitations de Bounti», poursuit le communiqué.
«Cette action de combat», effectuée au moyen de «trois bombes», et qui selon l’armée française exclut tout hélicoptère, «a permis de neutraliser une trentaine de GAT» et «les éléments disponibles (…) permettent d’exclure la possibilité d’un dommage collatéral», assure l’état-major. Les autorités maliennes dominées par les militaires depuis le putsch du 18 août 2020 ont livré plus tôt jeudi dernier une version cohérente avec celle de l’armée française.
Un regroupement d’une cinquantaine d’individus, présentés comme membres de la katiba Serma, a été repéré dimanche en fin de matinée, a affirmé le ministère de la Défense dans un communiqué.
«L’environnement observé n’a montré ni scène de mariage, ni enfants ou femmes. Tous les renseignements recueillis en direct justifiaient que les cibles neutralisées étaient des objectifs militaires confirmés», a-t-il souligné.
La katiba Serma, visée par la frappe, est affiliée au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, alliance djihadiste elle-même affiliée à Al-Qaïda.
Ces frappes s’inscrivent dans une opération conjointe appelée Éclipse et menée par les forces maliennes, françaises et du G5 Sahel dans ce vaste territoire dite des Trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger).
Le ministère a annoncé l’ouverture d’une enquête «pour mieux comprendre ce qui s’est passé».
Bavure ou frappe contre des terroristes
En tout cas, le silence observé pendant un certain temps par les autorités maliennes a laissé le champ libre aux spéculations. Aucune image n’est remontée de Bounti. Les versions des armées et des villageois divergent au point que la concomitance de deux événements distincts n’a pu être catégoriquement écartée.
Les terroristes ont pu-t-ils se fondre dans la foule ? Les frappes de Bounti et celle de Hombori relèvent-elles d’une seule et même opération militaire ? En tout cas, une nouvelle bavure n’est donc pas à exclure.
Par ailleurs, le statut juridique des soldats français lorsqu’ils interviennent sur le sol malien est une vraie mascarade signée entre les autorités françaises. C’est dire que lorsque la France rentre en guerre, elle signe un contrat. Et ce contrat prévoit toute sorte de choses toute bête et très concrète comme par exemple que ‘’les soldats français ont le droit de conduire avec leur permis français sur le sol malien’’. Sur le coup, l’article 9 de ce contrat prévoit que ‘’la partie malienne prend en sa charge la réparation des dommages causés aux bien et aux personnes y compris lorsque la partie française en est à l’origine’’. Autrement dit, quand la France tue des civils lors d’un raid, elle n’est pas juridiquement responsable. Mieux, la partie civile malienne ne peut pas se retourner contre la France pour obtenir une réparation mais plutôt contre l’État malien pour être dédommagée. En clair, l’État malien doit prendre en sa charge toutes les indemnisations, même si la partie civile malienne arrivait à prouver que les forces françaises sont responsables des frappes ».
Et c’est pour ne pas supporter d’éventuelles réparations de dommages causés aux civils et en même temps, empêcher le sentiment anti-français de gagner d’avantage du terrain au Mali, que le Ministère malien de la Défense s’est fendu d’un communiqué pour appuyer l’hypothèse d’une frappe française contre les terroristes. Autrement dit, une langue de bois tenue par Bamako et Paris.
Mariam Konaré