La France a entamé, mardi, la phase finale du retrait des militaires de la base de Kidal, dans le nord du Mali, dans le cadre du redéploiement militaire français au Sahel annoncé en juin. Une réorganisation qui vise à concentrer la lutte antiterroriste dans la région des trois frontières, et transférer graduellement le commandement militaire aux armées africaines. Explications.
L’armée française a entamé, mardi 12 octobre, son retrait du nord du Mali. Neuf ans après le début de l’intervention française visant à repousser l’avancée jihadistes vers la capitale Bamako, Paris compte désormais graduellement réduire ses troupes et transférer le commandement des opérations militaires aux armées africaines présentes sur le terrain. Une démarche mal comprise par le Premier ministre malien, qui a dénoncé un manque de concertation et accusé la France “d’abandon en plein vol”, alors que la situation sécuritaire du pays continue de se dégrader. Comment va s’organiser ce redéploiement militaire français et quel impact va-t-il avoir sur la lutte antiterroriste au Sahel ? France 24 fait le point.
Réduction des forces au sol et focus sur l’aviation
“Une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel”. Le 10 juin, le président Emmanuel Macron annonce la fin de l’opération Barkhane au profit d’une mission “d’appui, de soutien et de coopération aux armées des pays de la région”. Un mois plus tard, il en détaille le calendrier avec un retrait des troupes progressif qui doit débuter début 2022 pour passer de 5 000 à 2 500 ou 3 000 soldats à l’horizon 2023. Un projet qui comprend la fermeture de trois bases militaires dans le nord du Mali, à Kidal, Tombouctou et Tessalit, pour recentrer la lutte antiterroriste et “endiguer une diffusion de la menace au sud”, selon les mots du président. Parmi les soldats voués à rester, figurent des formateurs militaires, mais également un contingent des forces spéciales françaises chargées de traquer les jihadistes dans le Sahel.
Autre élément clé de la mission antiterroriste française : l’aviation. Alors que les forces au sol vont être réduites de moitié, la France maintient la présence de ses sept avions de chasse ainsi que de six drones armés dont l’utilisation est devenue primordiale dans la lutte antiterroriste. “Depuis longtemps l’armée française réclamait cette technologie qui permet de frapper vite et fort au bon endroit” explique Jean-Paul Paloméros, ancien chef d’État-major de l’armée de l’air, contacté par France 24. “Ces drones, qui ont enrichi notre arsenal depuis deux ans, agissent en parfaite complémentarité avec les avions de combat qui possèdent une puissance de frappe plus importante” souligne-t-il. “Cette technologie, qui a permis l’élimination par la France de plusieurs chefs jihadistes, représente aujourd’hui pour eux, la menace la plus aigüe. Car sur un terrain comme le Sahel, qui représente la taille de l’Europe, l’efficacité du déploiement militaire français a depuis longtemps montré ses limites”.
Outre l’évolution des moyens, la France souhaite se désengager du nord du Mali pour réorienter la lutte antijihadiste vers la zone des trois frontières, jugée aujourd’hui comme le centre névralgique du terrorisme dans la région. Car ces dernières années, la crise sécuritaire s’est étendue à plusieurs pays voisins du Mali, notamment au Niger et au Burkina Faso. En 2021, le bureau humanitaire de l’ONU a recensé près de 300 incidents ayant causé la mort de 650 personnes dans cette zone sensible, pointant du doigt une augmentation des attaques jihadistes.
La France va donc redéployer ses troupes vers les bases militaires de Gao et surtout de Menaka, plus proche de la frontière avec le Niger et qui abrite actuellement le commandement de Tabuka, le groupement de forces spéciales européennes. Cette force internationale, dotée de 600 militaires de huit pays européens, a pour mission de former, d’entraîner et d’accompagner au combat les forces armées maliennes. En parallèle, la base française de N’Djamena, au Tchad, est également maintenue, et la France compte renforcer sa présence au Niger. La base militaire de Niamey, qui héberge déjà le poste de commandant de la force conjointe du G5 Sahel, rassemblant des soldats de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, “sera très fortement musclée”, avait annoncé en juillet Emmanuel Macron.
Inquiétudes pour le Nord-Mali
Bien que la situation sécuritaire demeure volatile au Nord-Mali, Emmanuel Macron estime qu’il est du devoir de la France d‘amorcer un retrait progressif : “Je pense que nous n’avons pas vocation à rester, c’est pour ça que nous sommes en train de fermer des bases. (…) L’État malien doit avant tout revenir”, expliquait-il, lors du sommet Afrique-France le 8 octobre 2021. Une position vivement critiquée par le Premier ministre malien à l’Assemblée générale de l’ONU, où il a fustigé un manque de concertation et qualifié le retrait français d'”abandon en plein vol”. Au Mali “ceux qui manifestaient contre la présence française se réjouissent de ce départ, mais certains craignent aussi pour la suite” explique à France 24 Boubacar Haidara, politologue à Science-Po Bordeaux et à l’université Ségou, au Mali. “Il est clair aujourd’hui que l’État malien n’a pas les moyens d’investir la totalité du Nord” souligne le chercheur.
Une constat partagé par Wassim Nasr, spécialiste des mouvement jihadistes à France 24 : “Le Nord-Mali échappe au contrôle du gouvernement : cette zone est régie par des factions touarègues avec une forte présence jihadiste du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), dont fait partie Al-Qaïda, et qui gère par endroit les contentieux entre citoyens” explique-t-il. “La situation sécuritaire au nord est loin d’être réglée mais pour Paris, le redéploiement est avant tout une question de priorité car la progression du GSIM et du groupe État islamique au centre représentent une menace plus grande pour la stabilité régionale”.
Le 12 octobre, jour du départ du dernier convoi français de la base de Kidal, le colonel Pascal Lanni, porte-parole de l’état-major, a précisé qu’un détachement français de Barkhane demeurerait sur place pour faire de la “réassurance” auprès des partenaires de la France. La force de maintien de la paix de l’ONU, Minusma, qui compte à Kidal 1 300 soldats guinéens et tchadiens, maintient quant à elle son effectif, aux côtés des 400 soldats des forces maliennes.
“Le départ du Nord-Mali n’est pas une surprise, cela fait longtemps que la France l’envisage” souligne Jean-Paul Paloméros. “La priorité aujourd’hui n’est pas de reprendre le contrôle de toute la région, mais de contenir la menace en tenant des points clés où se trouve la population ainsi que les voies de communication. Les forces maliennes ont été formées en ce sens. La Minusma doit, quant à elle, jouer son rôle de pacificateur. La France continuera de mener des opérations ciblées à distance. Pour le reste, la présence militaire étrangère ne peut être une solution. Il s’agit d’un problème de politique nationale que seul le Mali peut traiter” conclut-il.