Fin de Barkhane: la France a-t-elle bradé ses intérêts vitaux sur un coup de tête de Macron?

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Alors que la bande sahélo-saharienne demeure la proie de violences, Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane au profit de Takuba, ce groupement européen dont la logistique vient d’être déléguée à l’Otan. Pour le Colonel Hogard, Emmanuel Macron déserte l’Afrique, au profit des puissances étrangères et de ses ennemis.

«Un jour viendra où Emmanuel Macron sera mis en cause, comme François Mitterrand au Rwanda, pour avoir abandonné la bande sahélo-saharienne aux conflits interethniques qui la ravagent.»

Au micro de Sputnik, le colonel Hogard, qui participa à l’opération Turquoise en 1994, n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’annonce d’Emmanuel Macron de mettre fin à l’opération Barkhane. «C’est irresponsable de faire ce genre d’annonce», tempête-t-il: «Vous pouvez alléger le dispositif si nécessaire, mais ne surtout pas le dire! Vous encouragez nos ennemis à profiter de ce désengagement pour nous taper sur la figure!»

Ce retrait français, sur fond de violences endémiques dans la région, intervient après le coup de colère d’Emmanuel Macron suite au deuxième coup d’État du colonel Assimi Goïta à Bamako. Cinq jours avant l’annonce élyséenne de l’arrêt de Barkhane, 138 civils ont été tués dans deux attaques dans la zone dite «des trois frontières». Selon l’Onu, l’année 2020 a été la plus meurtrière depuis l’intervention française au Sahel, avec déjà une multiplication par cinq du nombre de victimes civiles rien qu’entre 2016 et 2019.

Barkhane: un retrait français annoncé au pire moment

Des massacres qui «n’intéressent pas l’opinion publique», regrette Jacques Hogard. Pour cet ancien officier de Légion étrangère, qui écume l’Afrique, ce retrait tricolore s’ajoute à des années d’erreurs stratégiques commises par Paris au Sahel. En tête de celles-ci: avoir indistinctement mis dans le même panier tous les groupes armés, sans distinguer la menace djihadiste de celles résultant de violences interethniques ou encore avoir versé dans le double standard vis-à-vis des capitales africaines.

En effet, alors qu’Emmanuel Macron entend punir par ce retrait militaire le maintien au pouvoir du colonel Assimi Goïta au Mali, le Président de la République s’était rendu quelques semaines avant au Tchad afin d’adouber la prise de pouvoir du jeune fils d’Idriss Déby, mort mi-avril après s’être hissé à la tête du pays en 1990 par un coup d’État.

«Les Africains le disent eux-mêmes: d’un côté, on condamne un coup d’État au Mali, qui aurait d’ailleurs pu être une chance pour le pays et la région, et de l’autre on en favorise un au Tchad», souligne Jacques Hogard.

Autre erreur de la France, aux yeux de l’ancien officier: chercher à tout prix à impliquer l’Union européenne et l’Otan, aux antipodes de nos intérêts dans la région. Le 14 juin, le jour même du sommet de l’Alliance à Bruxelles, le ministère des Armées déléguait la logistique de l’opération Takuba à la NSPA, l’agence de soutien et d’approvisionnement de l’Alliance. Takuba, cette «Task-force européenne» censée matérialiser «l’européanisation» de Barkhane. Celle-ci reste pourtant très majoritairement constituée de centaines de membres des forces spéciales françaises. Ces éléments d’élite «ne sont pas la réponse absolue à tous les problèmes», estime le colonel, «c’est une plus-value extraordinaire, mais dans un ensemble qui est au service d’une vraie stratégie. Or, la France n’en a pas», martèle-t-il. Dans les sables du Sahel, même le fer de lance de l’armée française ne peut rien sans direction politique.

L’Afrique a horreur du vide

Pour Jacques Hogard, cette décision de sous-traiter la logistique de troupes françaises à l’Otan n’est ni plus ni moins qu’une nouvelle illustration de l’«abandon de souveraineté et de contrôle de nos propres opérations extérieures.» Le recours par la France aux avions-cargos russes loués par la NSPA avait déjà donné un aperçu de cette dépendance de l’Hexagone aux moyens matériels de puissances étrangères pour assurer ses PEX (opérations extérieures).

Au-delà de la logistique, la France au Sahel dépend déjà des renseignements des Américains, qui disposent d’une myriade de bases à travers tout le continent africain. Cette autre dépendance à l’égard de moyens étrangers avait été particulièrement mise en lumière lors de l’opération de libération d’otages au Burkina Faso début mai 2019.

Durant celle-ci, deux commandos marine tombèrent sous les balles ennemies afin de libérer un couple de Français en voyage de noce ainsi… qu’une sud-coréenne et une américaine. Immédiatement exfiltrée vers les États-Unis, deux ans après les faits, on ne sait toujours rien d’elle. Le lendemain de l’opération, Florence Parly déclarait que son ministère «n’av[ait] pas connaissance» de l’existence de ces deux autres otages. Une ligne également défendue par Washington.

Si cela fait partie du métier de soldat de «mettre sa peau au bout de son engagement», le colonel Hogard tient à rappeler qu’«on meurt pour le drapeau, pour la nation, pour la patrie, on ne meurt pas pour une puissance étrangère à laquelle on est inféodé pour de faux prétextes et de mauvaises raisons.» Cette aliénation française aux États-Unis à travers l’Otan coûte aujourd’hui cher à l’influence tricolore en Afrique, selon l’ancien légionnaire.

La main du Kremlin, bonne excuse aux failles françaises?

En définitive, ce retrait militaire, doublé d’un alignement sur l’Otan «laisse le champ libre à d’autres», contribuant à fragiliser le rôle de la France au sein même de sa zone d’influence historique.

Paris cherche pourtant d’autres coupables. Emmanuel Macron et Jean-Yves Le Drian n’ont eu de cesse de dénoncer la main du Kremlin, qui serait derrière le sentiment anti-français au Mali. Le locataire de l’Élysée n’a ainsi pas hésité lors d’une interview, en mai dernier, à qualifier son homologue centre africain d’«otage» du groupe Wagner, la compagnie de sécurité privée russe. Une crainte d’une puissance étrangère paradoxale, tant elle trahirait la vassalisation de la France envers d’autres, et contre-productive:

«Nous, Français, réagissons en disant qu’ils [les Russes, ndlr] viennent prendre notre place […], mais c’est quand même de notre faute. Si on avait eu une politique moins otanienne, moins russophobe et plus libre, indépendante et souveraine, on aurait compris depuis longtemps que la Russie n’est pas notre adversaire, que nous combattons les mêmes maux, les mêmes ennemis. On n’en serait pas là…»

Par Maxime Perrotin

SOurce: https://fr.sputniknews.com/afrique/

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