C’était devenu un secret de polichinelle depuis que, fin janvier 2020, l’ancien président de la Transition, Dioncounda Traoré, par ailleurs haut représentant du chef de l’État pour le Centre, avait annoncé avoir envoyé des émissaires vers Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa, respectivement leader du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et du Front de libération du Macina (FLN).
Interviewé par RFI et France 24 en marge du 33e sommet de l’Union africaine, le président Ibrahim Boubacar Keïta a confirmé ces contacts, qui sont, a-t-il rappelé, la mise en œuvre des recommandations du Dialogue national inclusif (DNI) qui s’est tenu en fin décembre 2019.
Ce virage à 180 degrés divise, comme on le sait, la classe politique et l’opinion malienne d’une manière générale. La grande question étant de savoir quelles sont les clauses contractuelles de ce marché que le locataire du palais de Koulouba veut conclure avec ces deux chefs terroristes.
Nombreux sont en effet ceux qui sont réservés sur cette initiative, même l’ONU dont le secrétaire général adjoint pour les opérations de maintien de la paix, le Français Jean-Pierre Lacroix, se demandait : «négocier, mais négocier quoi ?». Imposer par exemple la charia comme le voudraient ces disciples d’un islam rigoriste ou encore rompre les relations avec l’Occident, à commercer par l’impie coq gaulois et le Grand Satan américain ?
En réalité, on n’en est pas encore là. La première des difficultés est d’établir de réels et durables contacts avec des gens qui sont par nature méfiants et qui ont naturellement peur de tomber dans un piège puisqu’ils savent que leur tête est mise à prix.
Et quand bien même ils seraient assurés de la sincérité de l’approche, il faudra encore convaincre ces gens sans foi ni loi de renoncer à leur folie meurtrière, alors même qu’ils vivent de l’économie criminelle (trafic de drogue, de cigarettes, de carburant, d’êtres humains…) qui alimente leur trésor de guerre.
En tout cas, cette main tendue d’IBK à ceux qui ont les mains couvertes du sang d’innocents, sonne comme un aveu d’impuissance et d’échec. Faute de vaincre l’ennemi militairement sur le terrain, on se résout à parlementer avec lui. Comme pour confirmer l’adage populaire selon lequel : «Quand on ne peut rien contre le voleur, il faut même l’aider à emporter les biens qu’il vient de vous dérober».
La question se pose néanmoins de savoir si cette démarche malienne fera tache d’huile dans les autres pays du G5 Sahel, particulièrement au Burkina et au Niger, soumis depuis d’interminables années aux attaques incessantes de groupes terroristes qui font des centaines, voire des milliers, de morts et des déplacés dont le nombre grossi chaque jour un peu plus.
Une autre question se pose : puisque le GSIM et le FLN ne forment qu’une partie des nombreux regroupements criminels qui essaiment au «Sahelistan», que fait-on des autres, en particulier de l’État islamique au Grand Sahara d’Abou Walid al-Sahraoui, très actif dans la zone dite des Trois Frontières où Barkhane et le G5 Sahel veulent concentrer l’essentiel de leur force ? Et ce n’est même pas sûr qu’Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa contrôlent toutes ces cellules locales qu’ils ont sécrétées dans les trois pays.
Si donc dans le principe, on ne peut pas blâmer le président malien de chercher tous les voies et moyens de soulager la peine de ses compatriotes, force est de reconnaître qu’il s’est engagé dans une périlleuse aventure, pleine d’interrogations, à l’issue incertaine, pour ne pas dire perdue d’avance, et qui va enrichir au passage bien d’intermédiaires et de petits relais plus ou moins véreux.
J P JAMES