Les rapports émanant des représentants des organisations internationales dans notre pays ne sont guère rassurantes. Et pour cause : le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a averti que des groupes djihadistes dans la région du Sahel, en Afrique du Nord, exploitent la pandémie de coronavirus pour intensifier les attaques. Aussi, dans son dernier rapport, l’organisation, par le bureau de la coordination des affaires humanitaire des Nations Unies (Ocha), note, entre autres : plus de 367 incidents ; 250 998 personnes déplacées (avril 2020) ; plus de 1,3 millions de personnes en insécurité alimentaire sévère… De son côté, le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’Homme, Madame Michelle Bachelet, a indiqué que les violences au Centre ont entrainé la mort de 580 personnes depuis le début de l’année.
Le chef des Nations-Unies a appelé à une meilleure coordination entre les différentes forces anti-djihadistes combattant un ensemble de groupes armés.
« Les groupes terroristes profitent de la pandémie de COVID-19 pour intensifier leurs attaques et contester l’autorité de l’État dans toute la sous-région », a déclaré António Guterres. Il a noté que le problème était particulièrement aigu dans la zone connue sous le nom de triangle Liptako-Gourma, une zone frontalière entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso.
« Les preuves suggèrent également une coordination et une coopération accrues entre certains des groupes terroristes opérant dans tout le Sahel, de la Mauritanie au bassin du lac Tchad », a-t-il déclaré. « La situation désastreuse dans la région du Sahel est encore aggravée par la propagation de la pandémie de COVID-19 en Afrique, avec des groupes terroristes qui l’exploitent à des fins de propagande et d’action, avec un impact potentiel grave sur la région », a ajouté le secrétaire général.
En raison de la pandémie, qui a entraîné la fermeture de la frontière entre le Mali et la Mauritanie, les opérations de la soi-disant force anti-djihadiste du G5-Sahel ont été suspendues.
« L’impact de la pandémie sur la capacité de la Force interarmées et des forces internationales à mener des opérations dans les mois à venir est difficile à déterminer à ce stade et devra être soigneusement et continuellement évalué », a déclaré António Guterres. Le rapport du secrétaire général sur les récents développements en matière de sécurité dans la région du Sahel a souligné que « le nombre de personnes décédées des attaques terroristes a quintuplé depuis 2016, avec plus de 4.000 décès signalés en 2019 par rapport à environ 770 décès en 2016 ». Depuis novembre, la réalité sur le terrain “a été marquée par une détérioration de la situation sécuritaire au Mali et dans la région du Sahel, caractérisée par une augmentation des attaques terroristes de plus en plus complexes, ciblant principalement les forces armées et de sécurité”, selon le rapport.
Guterres a appelé à “une meilleure coordination entre les différentes forces et une clarté en ce qui concerne le commandement et le contrôle”.
Outre les différentes armées nationales et les forces du G5 déployées dans la région du Sahel, la région compte également une force française de 5.100 hommes et un groupe de maintien de la paix de l’ONU de 15 000 membres. Une nouvelle force internationale est également lancée à la suite d’une initiative française et baptisée Takuba, qui regroupe des forces spéciales de différents pays.
Plus de 350 violations des droits humains-Près de 400. 000 enfants privés d’école
En effet, selon l’Ocha, la dernière semaine du mois de mai a été particulièrement meurtrière dans la région de Mopti. Elle a été marquée par une recrudescence des incidents sécuritaires dans les cercles de Koro, Bandiagara, Bankass et Douentza : « Selon les informations recueillies auprès des partenaires au moins 68 personnes civiles seraient tuées au cours d’attaques ayant conduit à de graves violations des droits de l’homme durant cette semaine. A cela s’ajoute un accident causé par un engin explosif survenu dans le cercle de Douentza et ayant fait huit morts civils et une trentaine de blessés dont cinq graves ».
Au niveau national, 367 incidents constituant, indique le rapport, des violations des droits humains -dont des atteintes au droit à la propriété, au droit à l’intégrité physique, au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité des personnes, à l’accès aux services sociaux de base ainsi que des déplacements forcés de populations- ont été enregistrés en mai 2020. Ceci représente une détérioration de la situation de protection comparativement aux mois de février, mars et avril où 144 incidents, 351 incidents et 332 incidents ont été respectivement documentés. « Plus de 75% des incidents rapportés en mai (soit 282 incidents) ont eu lieu dans les régions de Mopti (175 cas) et de Ségou (107 cas), au Centre du pays. Les autres incidents se sont déroulés dans le Nord du pays dans les régions de Gao (47 cas), Tombouctou (30 cas) et Ménaka (8 cas) », précise-t-il.
Le nombre de personnes déplacées internes a atteint son niveau le plus élevé au cours des six dernières années
Le rapport indique que le nombre de personnes déplacées internes (PDI) est passé de 207 751 personnes en décembre 2019 à 250 998 en avril 2020, soit une augmentation de 43 247 personnes selon les données de la matrice de suivi des déplacements (DTM). Les enfants représentent 58 pour cent des PDI et les filles et les femmes 54%. Plus de la moitié des personnes déplacées vivent dans des sites spontanés. Le nombre de PDI a atteint son seuil le plus élevé depuis 2013 (cf. graphique) : « Cette augmentation est due à une recrudescence de la violence et des conflits variés dans les régions de Mopti, Ségou, Tombouctou, Gao et Ménaka et dans la bande frontalière entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Plus de 65% des PDI vivent dans les régions de Mopti (102 481 PDI) et de Gao (62 633 PDI).
Au total, 97% des PDI se sont déplacées en raison de l’insécurité liée au conflit dans leur localité d’origine ou voisine selon le rapport DTM d’avril 2020. Certains déplacements dus à la crise alimentaire et à l’impact économique relatif au conflit sont également à signaler depuis les régions du centre et du nord vers les grandes villes desdites régions et celles du sud où les opportunités socio-économiques sont moins limitées ».
Suite à une enquête menée auprès des ménages déplacés par les équipes chargées d’analyser les données de la DTM, environ 75% des PDI ont exprimé leur intention de retour tandis que 25% souhaitent rester sur place. La majorité des PDI conditionnent leur retour à une amélioration de la situation sécuritaire, économique et alimentaire dans leurs localités d’origine.
Toujours selon l’Ocha, la grande majorité des ménages enquêtés ont perdu leur autonomisation et vivent désormais d’aides et de dons humanitaires (49%), d’aides des communautés et/ou de tierces personnes (30%). La majorité des PDI enquêtées ont indiqué comme besoins prioritaires les vivres, les abris, les emplois et l’accès aux activités génératrices de revenus : « La plupart des PDI ont un accès limité aux services sociaux de base comme l’éducation et les soins de santé. Les résultats de l’enquête précitée révèlent que 66 pour cent des enfants des PDI ne fréquentent pas l’école dans les cercles d’Ansongo, Bourem, Gao, Niono, Ségou et Gourma-Rharous principalement faute d’écoles disponibles sur place (37 pour cent) ou à cause de la fermeture des écoles (24%) ».
Concernant l’accès aux structures sanitaires, les résultats de l’enquête montrent que plus de la moitié (68 pour cent) des services médicaux se trouvent en dehors des lieux d’accueil. Les sites se trouvant dans les cercles du Gourma Rharous, Gao, Niono, San, Bourem et Tombouctou sont les plus touchés. D’où la nécessité de prioriser et de renforcer rapidement les services médicaux au niveau de ces différents cercles en cette période de pandémie de COVID-19.
580 personnes tuées depuis janvier dans le Centre
Les violences au Centre ont entrainé la mort de 580 personnes depuis le début de l’année, indiqué le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’Homme, Mme Michelle Bachelet…
Ces tueries de civils interviennent dans un climat de « détérioration de la situation en matière de sécurité et d’impunité généralisée qui sapent les efforts de protection des civils ». Selon la cheffe des droits de l’homme de l’ONU, les milices appartenant à la communauté peule ont été responsables d’au moins 71 de ces incidents violents, entraînant la mort de 210 personnes, tandis que celles issues de la communauté Dogon ont perpétré 12 attaques, faisant au moins 82 morts.
Du 1er janvier au 21 juin 2020, la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation (MINUSMA) a documenté 83 incidents de violences inter- communautaires dans la région de Mopti, dans le centre du pays. Et ces actes de représailles interviennent alors que les violents conflits entre les communautés Peul, principalement des éleveurs, et Dogon, principalement des agriculteurs et des chasseurs, ont augmenté ces derniers mois. Dans ce climat de défiance, ces milices communautaires, initialement formées pour défendre les communautés, deviennent « de plus en plus violentes et sont impliquées dans des attaques contre d’autres communautés ».
Selon Mme Bachelet, ces attaques inter-communautaires ont également été alimentées et instrumentalisées par Al-Qaïda au Maghreb islamique, l’Etat islamique dans le Grand Sahara, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et par d’autres groupes armés similaires ou affiliés. Ces groupes ont été responsables de de 105 atteintes aux droits humains dont 67 morts depuis le début dans l’année dans la région de Mopti, selon la MINUSMA. Les données documentées par la Division des droits de l’homme de la MINUSMA, montrent que ces groupes ont été responsables, depuis le début de l’année, de 105 atteintes aux droits humains dans la région de Mopti, notamment la mort de 67 personnes.
Dans ce climat de terreur où la population est prise l’étau, des individus ont également été enlevés, contraints de rejoindre des milices communautaires ou déplacés. « Les assaillants visent clairement à infliger des dommages importants et durables aux communautés, en incendiant des maisons, en pillant des biens et des greniers et en tuant ou en volant du bétail», détaille le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme (HCDH). Ces exactions interviennent alors que ces groupes armés ont accru leur présence dans les régions du centre du Mali et alors qu’ils continuent d’être aussi mis en difficulté dans le nord du pays par les forces nationales et internationales. De leur côté, des membres des Forces de défense et de sécurité maliennes (FDSM) envoyés dans la région pour lutter contre la violence communautaire et des groupes armés ont eux-mêmes été impliqués dans des violations des droits humains, ciblant principalement, selon l’ONU, des membres de la communauté peule.
A ce stade de l’année, la MINUSMA a recensé 230 exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires attribuées à des membres des FDSM dans les régions centrales de Mopti et Ségou.
47 de ces morts, survenues en mars 2020, sont attribuées aux forces de défense et de sécurité maliennes « agissant probablement sous le commandement de la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel (G5 Sahel) », relève le communiqué de l’ONU.
L’Impunité dénoncée
Des cas de disparitions forcées, de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’arrestations arbitraires et de destruction de plusieurs biens ont également été documentés. « Le cercle vicieux des attaques de représailles entre les milices Dogon et Peul, couplé aux violations et abus commis par les Forces de défense et de sécurité maliennes et les groupes armés, a créé une situation d’insécurité chronique pour la population civile, qui ne peut pas compter sur la protection des forces maliennes », a fustigé Mme Bachelet, ajoutant que « cela doit cesser ».
Plus largement, toutes ces violations et abus ont été perpétrés dans un contexte d’impunité criard. « Cette absence de reddition de comptes continue de saper la confiance de la population dans les institutions de l’État, les gens comptant sur les milices et les groupes armés pour leur assurer la sécurité », regrette le HCDH qui appelle les autorités maliennes à ouvrir rapidement des enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes sur toutes les violations présumées des droits humains. Il s’agit « de garantir la mise en place des processus de reddition de comptes appropriés. C’est le seul moyen d’inverser cette tendance de violence continue », a ajouté Bachelet.
De façon générale, la cheffe des droits de l’homme de l’ONU invite le gouvernement et les forces nationales « à rétablir l’autorité de l’État dans tout le pays et assurer la paix, la sécurité et la protection du peuple ». Une façon de rappeler que cet environnement protecteur ne peut être possible que « si l’impunité prend fin ». « Et que tous les auteurs, y compris des membres des forces de défense et de sécurité, sont tenus responsables de leurs actes. Les gens ont besoin de justice, de recours et de réparations », a insisté Mme Bachelet.
Mohamed Sylla