« Je vous demande de vous impliquer, c’est votre armée. Vous avez vu les parlementaires Allemands, Européens qui viennent voir leurs soldats. Ce n’est pas en restant dans vos salons feutrés de Bamako, en recueillant des rumeurs par-ci par-là, que vous jouez votre rôle de parlementaires […] », extrait de l’interpellation par les députés, en 2019, de l’ancien ministre de la Défense et des Anciens combattants, le Général Ibrahima Dahirou Dembélé. C’était suite à l’attaque meurtrière de Boulikessi où plus d’une quarantaine de nos soldats sont massacrés par Aqmi. Ce discours sonne toujours vrai tant la situation sécuritaire reste disparate.
Le goulot d’étranglement
La suite on la connaît. Ibrahim Boubacar Keïta, IBK, chute le 18 août 2020. Assurément, les manifestations du M5-RFP ont fragilisé son pouvoir. Assurément, la mauvaise gestion du pays a été un des engrais de sa chute. Assurément, les victimes militaires et civiles, les horreurs et les humiliations ont aussi précipité la fin de son règne. Mais, si le régime d’IBK a été chassé, c’est parce qu’il a souffert d’une quasi absence de travail parlementaire en lien avec le contexte sécuritaire, au-delà du simple travail de contrôle de l’action gouvernementale et de vote des lois. C’était le reproche que faisait le Général Dembélé aux députés. Mais, on s’indigne à Bamako. On sort dans les médias pour condamner. On s’engouffre dans ce qui dit mieux. On excelle dans la prise de parole.
Or, « les mêmes causes produisent les mêmes effets ». Le manque de mission parlementaire sur le front et la déconnexion des élus avec les conditions de travail des soldats sur le terrain traduisent un sentiment de déconsidération à leur égard. C’est une des situations de fragilisation de l’Etat, exploitée par les groupes narcoterroristes. Lesquels groupes phosphorent sur ces mêmes fragilités pour taillader l’existence des soldats et des populations. Hier, c’était Songho avec plus de 31 morts civils. Aujourd’hui, c’est Mondoro avec 30 victimes militaires. La violence est partout. La liste s’allonge. Par exemple, une partie de la région de Ménaka ressemble à un champ de ruines. Livrée à la bataille rangée entre les groupes narcoterroristes, la région de Ménaka est le symptôme d’une crise sécuritaire devenue un goulot d’étranglement. Avec le retrait de Barkhane, le combat est engagé entre les groupes narcoterroristes pour marquer leur territoire. Et cela, au détriment des populations, 1eres victimes : déplacés, réfugiés. Comment en sortir ?
Sortir du bégaiement sécuritaire
En attendant de répondre à cette question, il est vital que les membres de la commission défense du Conseil national de transition (CNT) mènent une mission sur le terrain pour s’enquérir du quotidien des soldats et recueillir leurs vrais besoins. La visibilité du travail des membres du CNT est aussi à questionner, car l’adhésion des populations à leur œuvre en dépend également. Ailleurs, les mêmes remarques, pour le CNT au Mali, valent pour les représentants des peuples burkinabé et nigérien. Ne nous trompons pas. La lutte contre le narcoterrorisme exige aussi une information sûre et une communication transparente pour gagner les cœurs et les esprits. Ce sont des tendances lourdes. Sortir de l’insécurité, aussi bien pour les Maliens que les Nigériens et les Burkinabés, c’est aussi construire une information impartiale à travers les médias, les leaders d’opinion, les intellectuels, mais sans tomber dans la manipulation. Sortir de l’insécurité, c’est construire une puissance militaire, adossée à la capacité d’être offensifs. Aqmi et EIGS doivent comprendre que les rapports de force ont changé, que la doctrine militaire a aussi changé. Sans cela, ils continuent de mener leurs projets macabres. Mais, le changement de doctrine militaire est à mettre en lien avec la redéfinition des enjeux militaires en termes d’alliances régionales.
Au Sahel, nous sommes condamnés à travailler ensemble. Nous devons élaborer de nouvelles stratégies d’influence dans un cadre de coopérations équilibrées pour sortir du bégaiement sécuritaire. Un nouveau savoir-faire pour faire la différence, et un nouveau savoir-être pour éviter les éventuelles dérives sont à construire. Au Niger, au Burkina-Faso et au Mali, le contrôle et la maîtrise du terrain passent par une politique militaire robuste pour mettre la pression sur les narcoterroristes. Nul doute que les problématiques de budget, d’augmentation d’effectifs et de renseignements sont aussi à traiter pour architecturer une armée puissante à l’échelle sahélienne. Ce sera une belle amorce du processus d’autonomisation des armées.
Certes, la question militaire est sensible, c’est-à-dire qu’elle est un mélange de souveraineté nationale et d’affects, enjoignant à rester prudent et distant. Néanmoins, les défis sécuritaires actuels et la problématique des droits de l’homme dans le Sahel imposent d’agir sans tomber dans la caricature. D’autant que le problème n’est pas tant l’armée que l’amélioration de ses conditions de travail. Au-delà des discours, il est urgent d’accompagner financièrement et psychologiquement les transformations de l’armée dans le cadre d’une politique militaire innovante.
Comment imaginer un outil de défense et de sécurité à l’horizon 2040 ?
Mohamed Amara
Sociologue