Les Maliens donnent le sentiment de ne pas comprendre ce qui leur arrive. Aux sentiments communs d’humiliations et d’angoisses, liés à l’insécurité, se mêlent la mise en avant des préoccupations personnelles en lieu et place des préoccupations collectives. Face aux spectacles politiques habituels, comment penser le Mali d’après ?
Le constat est là : nous refusons encore d’accepter que nous sommes responsables de la crise sécuritaire. Nous avons donc tendance à accuser les autres plutôt que de nous inscrire dans une réelle remise en question de nous-mêmes et de tout ce que nous posons comme acte. Nous aimons nous gargariser des poncifs : Mali nouveau, refondation, risques d’effondrement de l’Etat… Hélas !
Lorsque le nouveau Président nigérien, Mohamed Bazoum dit que leur « agenda diplomatique sera centré sur le Mali… », une partie des Maliens se sont sentis accusés, voire même méprisés. Et pourtant, ni naïf sur les enjeux politiques, ni aveugle sur les enjeux stratégiques des uns et des autres, Bazoum exprime son sentiment de solidarité inter Etat et entre peuples, dans cette épouvantable crise sécuritaire sans fin que vit le Sahel.
« …S’agissant de l’EIGS, ce groupe criminel, dirigé par des ressortissants des pays du Maghreb, qui a ses principales bases dans les territoires maliens, dans les régions de Ménaka et de Gao. Le combat contre lui sera très difficile aussi longtemps que l’Etat malien n’aura pas exercé la plénitude de sa souveraineté sur ces régions. La situation actuelle du Mali a un impact direct sur la sécurité intérieure de notre pays. Nous devons aider nos frères Maliens à s’entendre, à mettre en œuvre l’Accord d’Alger, à dépasser l’Accord d’Alger, à reconstituer pleinement leur Etat en vue de lutter efficacement contre le terrorisme… » Extrait du discours d’investiture du Président Bazoum, 2 avril 2021.
Son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, disait que « Le statut de Kidal est une menace pour la sécurité intérieure du Niger » ; c’était en septembre 2019 lors d’une visite d’amitié à Bamako. Dans la continuité d’Issoufou, le premier Président d’une alternance démocratique au Niger, Mohamed Bazoum n’a pas parlé dans une langue éteinte. Il s’inscrit dans une dimension géopolitique réaliste pour résoudre la crise du Sahel. Au-delà des positionnements géostratégiques des Etats, le discours de Bazoum illustre l’idée qu’un nouveau régime s’instaure. Bien sûr dans la continuité de celui de son prédécesseur déjà bien usé par la crise. D’ailleurs la tentative de putsch militaire, à la veille de l’investiture de Bazoum, en dit long sur l’usure du pouvoir. Néanmoins, le discours du nouveau Président nigérien redéfinit les rapports de force, et trace une frontière nette entre les narcoterroristes (venant d’autres pays et s’appuyant sur des appuis locaux) et les bandits, ceux qui profitent de la présence des groupes terroristes pour violer, et violenter les populations. Les cibles sont là. Certes, Bazoum se met à dos une partie des Maliens. Mais, son discours donne le ton pour changer le visage du Sahel. Sera-t-il capable d’y contribuer ? L’avenir nous le dira.
En tout état de cause, on peut considérer que la réussite des dispositifs sécuritaires dans le Sahel passe par la mobilisation et l’implication des Etats voisins, comme l’Algérie. Rappelons que l’Algérie est une des mastodontes de la lutte contre le terrorisme au regard de son passé (GSPC, Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Une chose est sûre : une nouvelle page est en train de s’écrire pour ramener la paix et la stabilité. La coopération inter Etat franche, d’égal à égal, pour traquer les narcoterroristes et leurs sources de financements occultes (observatoire économique et social burkinabé sur le financement du terrorisme) font partie de la novlangue contreterroriste.
Excepté le Mali, les autres pays des trois frontières ont un président, issu des urnes. Roch Marc Christian Kaboré du Burkina Faso réélu en novembre 2020 et Mohamed Bazoum du Niger ont désormais une lourde responsabilité : nous sortir de cette guerre sans fin. Bien sûr en parfaite intelligence avec Bah N’Daw, Président de la transition malienne, et les autres Présidents du G5-Sahel. Le déploiement des 1200 soldats tchadiens, soutenus par un contingent de 200 militaires français, en plus des 5100 soldats français dans le Sahel, sur le front antiterroriste, peut être un atout majeur contre le GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans) et l’EIGS (Etat islamique dans le grand Sahara). Le Burkina Faso, le Mali et le Niger, trois pays en prise constante avec les groupes narcoterroristes, sont en première ligne pour assurer cette lutte. Ce qui place leurs exécutifs dans la possibilité de reformer. Toute décision de reformer est plus que jamais attendue au regard des souffrances des populations en prise avec les effets immédiats de la crise sécuritaire : déplacés, refugiés, fermeture d’écoles, viols, violences, spoliation des biens, embrigadement des jeunes désœuvrés dans les groupes narcoterroristes…
Autant dire que les réformes au Mali comme ailleurs doivent avoir un contour politique programmatique et pragmatique pour inventer un système économique redistributif et ouvert, un contour où les offres politiques, minoritaires soient-elles, doivent incarner les réalités sociopolitiques des Etats. Ce sera une exigence politique qui permet de « désurbaniser » les actions de développement pour prendre en compte les situations de vie du monde rural, où les questions de territorialité, de criminalité (drogue) sont traitées. Inutile de dire que de nouvelles relations politiques et de gouvernance sont à développer avec une classe rajeunie pour éviter de faire du neuf avec du vieux.
Finissons cette chronique par cette citation d’Aimé Césaire : «… Ce n’est pas par la tête que les civilisations pourrissent. C’est d’abord par le cœur ».
Mohamed AMARA, Sociologue
Auteur : Marchands d’Angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être (Ed Grandvaux, 2019)