Déclaration d’intellectuels, hommes et femmes de culture sur la rébellion au nord du Mali

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Etat des lieux  
Comment comprendre la rébellion armée qui, aujourd’hui, endeuille le Mali et condamne des dizaines de milliers d’innocentes et d’innocents à l’insécurité et au déplacement forcé, lorsqu’on ne veut pas s’en tenir au schéma réducteur du conflit ethnique?
La rébellion qui a débuté le 17 janvier 2012 crée dans notre pays une situation de guerre civile.
L’heure est grave : l’intégrité du territoire national et la cohésion sociale sont aujourd’hui menacées.
L’honnêteté intellectuelle et la rigueur qu’exige la gravité de la situation actuelle du Mali imposent de lire cette rébellion à la lumière du système mondial et de ses crises.
Les réformes structurelles mises en œuvre à partir de la décennie 80 en vue de corriger les dysfonctionnements du modèle néolibéral, n’ont pas atteint les objectifs visés en termes d’amélioration des conditions de vie des populations, notamment l’accès à l’alimentation, l’eau, l’éducation, la santé et l’énergie domestique. Ce constat, qui est valable pour l’ensemble du pays, revêt des conséquences particulières au Nord.
ENJEUX
Le Nord Mali se caractérise par l’extrême complexité des enjeux géopolitiques, économiques et stratégiques, sans la compréhension desquels aucune paix durable n’y est envisageable.
Le septentrion malien a souvent été le théâtre de soulèvements d’une partie de la population qui revendique son autonomie par la voie des armes. Tous les régimes, coloniaux et postcoloniaux ont été confrontés à cette situation. De l’indépendance à ce jour, les réponses de l’Etat, qui ont été à la fois militaires, politiques et socioéconomiques, n’ont pas pu y instaurer la paix sur une base durable.
La mauvaise gestion, le clientélisme et la corruption que l’on relève dans la gestion des affaires publiques exacerbent les frustrations et le sentiment d’exclusion à l’échelle du pays, sans pour autant justifier la violence armée dans les autres régions.
Par ailleurs, la manière de gérer la libération des otages occidentaux a conforté AQMI dans la création au Mali d’un sanctuaire en liaison avec le terrorisme international.
Nous sommes dans un processus programmé de désintégration de l’Etat et de cristallisation des identités ethniques et régionales. De ce point de vue, nous questionnons même la genèse de l’appellation «régions du Nord ».
N’y a-t-il pas une volonté d’affaiblir des Etats de la CEDEAO et l’Organisation elle même?
N’allons-nous pas vers une résurgence du vieux projet de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) ?
Après le découpage du Soudan, nous sommes en droit de nous interroger sur l’intention des pays de l’OTAN de procéder à une nouvelle balkanisation de l’Afrique. Ne sommes-nous pas de fait en présence d’un processus de dépossession des ressources agricoles et minières africaines, qui constituent aujourd’hui une partie importante des réserves mondiales pour la relance de la croissance économique globale?
De l’approche globale que nous privilégions, il ressort que l’issue à cette guerre fratricide récurrente n’est ni militaire ni financière mais politique, économique, sociale, culturelle et diplomatique.
Face à cette situation:
Nous, intellectuels, hommes et femmes de culture du Mali, signataires de ce document, déclarons que :
L’intégrité du territoire, l’unité nationale et la cohésion sociale du Mali sont des acquis sacrés;
– Le septentrion n’est pas une planète à part, mais bel et bien une région du Mali, particulièrement vulnérable, qui n’en a pas moins subi les politiques néolibérales qui ont aggravé les inégalités, les injustices, la corruption et l’impunité. De Kayes à Kidal, les Maliens paient cher pour le dépérissement de l’Etat que nous voulons plus responsable, comptable et souverain;
La Paix véritable et durable dans le Nord de notre pays et sur l’ensemble du territoire, est au prix d’une nouvelle compréhension de la situation du Mali et de la bande Sahélo-Saharienne qui intègre les enjeux sous-régionaux et mondiaux;
Nous réfutons le discours réducteur de la guerre ethnique;
Nous déplorons le déficit de communication et de dialogue sur les causes internes et externes des questions majeures qui engagent le destin de la nation;
– Nous condamnons le recours à la violence armée comme mode de revendication dans un contexte démocratique et déplorons les pertes en vies humaines;
– Nous condamnons avec énergie les agressions physiques, la destruction des biens et la stigmatisation de nos compatriotes Kel-Tamasheq et de peau blanche, nos frères et sœurs, alliés et voisins de quartier, de ville qui aiment et se reconnaissent dans le Mali, leur patrie, notre patrie commune à tous;
– Nous soutenons résolument nos forces armées et de sécurité dans leur mission sacrée de défense du territoire national ;
Nous sommes Un Seul et Même Peuple, uni par une longue histoire multiséculaire de rencontres, de brassages et de résistances à l’adversité; La paix s’impose d’autant plus que les femmes et les enfants sont pris dans l’étau d’un conflit qui n’est pas le leur;
Les élections de 2012 sont donc une occasion historique de renouveler la réflexion sur un projet de société adapté à nos réalités, davantage fondé sur la culture de l’être et des relations humaines, à même de garantir la prospérité, la paix, la stabilité et la sécurité pour tous.
Nous, signataires de la présente Déclaration, présentons nos condoléances les plus attristées aux familles des victimes et à toute la nation malienne. Nous exprimons notre solidarité à toutes les familles déplacées et victimes de violences.
Bamako le 07 février 2012
Signataires
Aminata Dramane TRAORE, Essayiste                               Abdoulaye NIANG, Socio-Economiste                                                  Adama SAMASSEKOU, Linguiste                                   Filifing SAKO, Anthropologue
Hamidou MAGASSA, Socio-Economiste                                       Ismaïl DIABATE, Artiste-Peintre                                                Jean-Bosco KONARE, Historien                                        Mohamédou DICKO, Historien

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1 commentaire

  1. “Après le découpage du Soudan, nous sommes en droit de nous interroger sur l’intention des pays de l’OTAN de procéder à une nouvelle balkanisation de l’Afrique. Ne sommes-nous pas de fait en présence d’un processus de dépossession des ressources agricoles et minières africaines, qui constituent aujourd’hui une partie importante des réserves mondiales pour la relance de la croissance économique globale?”

    La réponse est NON, vous n’êtes pas en droit de lier l’auto-détermination du Soudan du Sud (que vous qualifiez de “découpage”) avec la crise économique, les ressources naturelles, ou l’OTAN. Epargnez-nous enfin de ces théories de complot fatiguées !

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