Crise sécuritaire au Mali : Une solution malienne pour arrêter le bain de sang

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Accord de paix au Mali : Que de confusion !

Contrairement aux illusions de ses défenseurs, l’accord pour la paix et la réconciliation nationale est loin d’apporter au Mali la stabilité attendue. Deux ans après sa signature, le pays semble toujours sombrer davantage dans l’insécurité malgré les efforts et les concessions faites par le gouvernement. Il ne faut pas se faire d’illusion tant que la France continue de nous empêcher de négocier avec Iyad Ag Ghali alors que Barkhane a montré son incapacité à le neutraliser.

“Le niveau d’insécurité au Mali n’a jamais été aussi élevé qu’il l’est aujourd’hui… L’armée française est perçue comme une armée d’occupation au Sahel” ! C’est la conviction que Laurent Bigot, un ancien diplomate français, a récemment partagée avec Studio Tamani. Et les événements sur les fronts (Nord, Centre et Centre-nord) lui donnent parfaitement raison.

Le 2 mai 2017, au moins 9 soldats ont été tués dans une embuscade tendue entre Dogofri et Nampala, au centre-nord. Avant, le 18 avril 2017, une attaque terroriste, perpétrée par des hommes armés non identifiés, avait ciblé des positions des Forces armées maliennes et la garde nationale à Gourma Rharous, à environ 120 km à l’Est de Tombouctou.

Cette attaque a fait au moins 4 morts dans les rangs des FAMa. Le 7 mai courant, sept soldats maliens ont été tués et sept blessés dans une attaque à Almoustarat, à 150 km au nord de Gao.

Le refus du gouvernement malien d’ouvrir des négociations avec certains terroristes (sans remettre en cause le caractère laïc de la République comme l’avaient recommandé les participants à la Conférence d’entente nationale) n’est pas étranger à cette recrudescence des attaques contre les FAMa.

Et cela d’autant plus qu’elles sont toutes, directement ou indirectement, revendiquées par Jama’at Nasr Al islam wa Al Moumini (Groupe pour la victoire de l’islam et des fidèles) commandé par Iyad Ag Ghali. Et pourtant, l’émir du terrorisme au Sahel n’avait pas mentionné le Mali parmi les pays menacés par cette alliance en début avril.

En effet, le Mali, la Mauritanie et l’Algérie ne figuraient pas sur la fameuse liste de onze pays (Etats-Unis, Allemagne, France, Pays-Bas, Suède, Tchad, Guinée-Conakry, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Sénégal le Niger) auxquels le chef de la nouvelle nébuleuse jihadiste Nus rat al-Islam Wal Musli min a proféré des menaces.

Des pays considérés par Iyad Ag Ghali comme des “ennemis de l’Islam”. La partition du Mali (indépendance ou autonomie de l’Azawad) n’est pas une préoccupation de ce seigneur de guerre qui se bat plutôt pour fonder une République islamique. Et on avait constaté une accalmie dans les attaques terroristes sur le sol malien. Et elles ont aussitôt repris avec la visite des ministres français et allemands des Affaires étrangères qui ont obligé Bamako à renoncer de négocier avec des terroristes.

IBK à contre-courant de la CEN pour plaire à Paris

Le chapitre 7.3 de la Conférence d’entente nationale (du 27 mars au 2 avril 2017 à Bamako) recommande de “promouvoir une culture de paix et de dialogue avec tous les fils de la nation, y compris avec des islamistes maliens une fois que leurs préoccupations, comprises, n’entament pas l’unité nationale et les fondements de la République”.

Un passage qui a fait bondir la France qui, depuis 2013, a déployé des milliers d’hommes pour combattre les groupuscules jihadistes implantés au Sahel. Dix-neuf soldats de l’opération “Serval”, puis “Barkhane” (à partir d’août 2014), sont morts au Mali. Certains dans des attaques revendiquées par des islamistes maliens, notamment Iyad Ag Ghali.

“Il n’y aura aucune discussion avec les terroristes”, a finalement déclaré Ibrahim Boubacar Kéita sous la dictée de l’Elysée. Doit-on négocier avec un ennemi qui a recours à des actions terroristes pour atteindre ses objectifs ?

Pourquoi pas d’autant que la France a toujours utiliser des gens comme Iyad pour prendre langue avec les ravisseurs des otages Français pour obtenir leur libération. Et si on sait que cette “option terroriste” est la seule pour l’intéresser pour exprimer ses revendications et qu’ils bénéficient au grand jour de la complicité des parties à l’accord pour la paix et la réconciliation nationales, notamment le MNLA et le HCUA officiellement formés par des affranchis du terrorisme.

Sans compter que sous la pression de la France et de la communauté internationale, le gouvernement malien a été contraint d’élargir des criminels aux mains tachée du sang des militaires et civils maliens sous prétexte de la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale.

Touareg de la lignée noble des Ifoghas, Iyad Ag Ghali est un vétéran des guerres du Sahara. Passé par les rangs de la Légion verte de Kadhafi, il fut, dans les années 1990, l’une des figures centrales de la rébellion touareg contre le pouvoir central.

A ce titre, il signa un accord de paix avec Bamako qui conduisit, le 26 mars 1996, à la dissolution de son Mouvement populaire de l’Azawad (MPA), au cours d’une cérémonie symbolique appelée “Flamme de la paix” au cours de laquelle 3000 armes furent brûlées à Tombouctou.

Début mars, Iyad Ag Ghali a pris la tête d’une nouvelle coalition (Ançar Eddine, Aqmi et du Front de libération du Macina) qui a renouvelé son allégeance à Al-Qaeda.

“Cela n’est pas très encourageant. Mais c’est un enfant du pays, pourquoi ne pas essayer de lui tendre la main ?…”, s’interroge le président du Haut conseil islamique du Mali (HCI/Mali) interrogé par la presse française.

“On peut toujours le ramener à la raison. Iyad est un musulman comme nous et il s’est assis à la table des négociations par passé. Je suis convaincu qu’il se comporte comme tel parce qu’on ne lui laisse plus le choix des moyens à utiliser pour se faire entendre”, nous déclarait un haut responsable touareg rencontré dans les coulisses de la Conférence d’entente nationale.

D’ailleurs, le président du HCI avait déclaré un moment avoir convaincu Iyad Ag Ghali à renoncer à la lutte armée pour discuter avec le pouvoir. Et une fois de plus, cette démarche avait échoué à cause des basses manœuvres de la France.

Reprendre notre souveraineté sur la gestion de la crise

Pourquoi Iyad dérange-t-il tant la France ? Il y a d’abord le fait qu’il est opposé à la partition du Mali et il est capable de dissuader tous ces mouvements (MNLA, HCUA, MAA…) fondés par ses hommes de main d’enterrer leur projet d’autonomie ou d’indépendance.

“Iyad est un cousin mais ceux qui me connaissent depuis longtemps savent bien qu’on ne partage pas la même vision. Pendant la rébellion de 2005-2006, j’avais demandé un statut particulier pour les régions du Nord, qu’on appelle Azawad. Iyad lui était pour le gouvernement malien à l’époque”, souligne le président de l’Autorité intérimaire de Kidal, Hassan Ag Fagaga, dans une interview accordée à Jeune Afrique.

Officiellement, le gouvernement français juge “inacceptable” le principe même de dialoguer avec un homme désigné comme terroriste, et qui a revendiqué des attentats contre la France.

Et pour les autorités françaises, “Iyad doit être capturé et jugé ou, au mieux, éliminé” pour l’empêcher de révéler des secrets encombrants pour l’Hexagone, notamment sur l’intervention en Libye suivie de l’occupation du Nord du Mali. La France est donc farouchement opposée au recyclage d’Iyad.

Et pourtant pour aboutir à la paix, analyse Yvan Guichaou (maître de conférences sur les conflits internationaux, University of Kent), il est indispensable de “requalifier la crise malienne selon ses paramètres maliens pour mieux cerner les impasses du contre-terrorisme musclé qui, s’il peut remporter des succès militaires ponctuels, ne saurait faire émerger des solutions durables à la crise”.

Bien sûr que l’option du dialogue avec Iyad ne garantit en rien son succès. Mais, reconnaît le spécialiste, “l’alternative de la poursuite à la lutte antiterroriste sous sa forme actuelle n’est pas plus encourageante, du fait de son indifférence aux complexes fractures maliennes… L’option étroite et incertaine du dialogue semble refléter la perception locale de la crise”.

Mais après tout, comme le défend un diplomate occidental à Bamako, n’est-ce pas plutôt une question de souveraineté malienne ?

Et cela d’autant plus que, rappelle Yvan Guichaou (auteur de l’article : L’horizon compromis de la force Barkhane au Mali publié sur le site theconversation.com), “les premiers concernés par la crise malienne vivent au Mali, pas à Paris”.

Moussa Bolly

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