Crise sécuritaire au Mali : Une armée faible et divisée

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Le retour des militaires au pouvoir est à situer dans un contexte particulier. Depuis quelques semaines, la presse faisait état de rumeurs de révoltes au sein de l’armée, à commencer d’abord par la marche de protestation (fait rare) des épouses des militaires de la garnison de Kati, le corps d’origine des putschistes. Le 2 février 2012, pendant toute la journée, les femmes des soldats ont manifesté jusqu’au palais présidentiel en scandant : «des munitions pour nos maris», dénonçant «la mollesse du pouvoir» face aux rebelles touaregs. Le pouvoir tente de calmer le malaise des militaires en envoyant le ministre de la Défense à Kati.

Mécontents, les jeunes soldats lui ont jeté des pierres puis ont tiré en l’air. Au cours des heures qui ont suivi, plusieurs membres du gouvernement ont été arrêtés, le président arrive à s’échapper par une porte dérobée.

Certains analystes expliquent cette situation par la revanche des bérets verts (armée de terre) sur les bérets rouges (les para-commandos), fidèles au président Touré (son corps d’origine).

En effet, certains bérets verts n’’ont jamais supporté le renversement de Moussa Traoré (ancien président et béret vert), en 1991, par les éléments du RCP (Régiment des commandos parachutistes), dirigé à l’époque par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré.

Cependant, la tâche assignée au RCP relève de celle de la garde prétorienne. Ce rôle a contribué à la frustration chez les autres corps de l’armée. C’est pour cela que la junte a procédé à la dissolution de cette unité, juste après la tentative de contre coup d’Etat, perpétrée par les bérets rouges: «avec la dissolution des commandos, il n’y aura plus de super-homme dans l’armée», a fait entendre le jeune capitaine sur l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM).

Au regard de la situation difficile que traverse l’armée malienne, il est important également de savoir que le manque de matériel n’est pas le seul facteur de la défaite des militaires. C’est pour cela que nous pensons qu’il est judicieux de faire un petit rappel sur l’historique de cette armée qui s’est montrée incapable de remplir sa mission de défense du territoire, cinquante ans après l’indépendance du Mali.

Depuis, les effectifs ont peu évolué : d’environ 2 000 soldats au moment de l’évacuation de la base française. en 1961. Depuis 2013, les effectifs avoisinent 12 000 militaires pour un budget  de 180 millions de dollars.

Le renouvellement du matériel a été facilité par le biais de la France, des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine: coopérations militaires, organisations des manœuvres avec les armées française et américaine, achats de matériels chinois et russes (moins onéreux), la création d’une Ecole de l’état-major à vocation régionale (Koulikoro il ya plusieurs décennies), la mise en place d’un centre de langues anglaise au Prytanée militaire de Kati (15 km de Bamako) par les Américains.

Une autre évaluation faite par les forces françaises basées au Sénégal en décembre 2012 met en lumière les carences de l’armée malienne et préconise une réforme, y compris dans ses structures de commandement.

En 2013, malgré l’existence des moyens souvent obsolètes, des contacts établis avec la mission européenne chargée de la formation de l’armée malienne (EUTM-Mali) affirment que le Mali dispose d’officiers capables de bâtir une nouvelle armée, selon les besoins du pays.

Cependant, l’existence même de l’Etat au Mali-Nord reposait jusque dans les années 90 pour une part déterminante sur sa capacité militaire.

Au moment où intervient cette nouvelle rébellion à dominante touarègue, l’armée malienne avait achevé sa phase de restructuration avec la création de cinq nouvelles directions.

Si auparavant, la réforme visait principalement une efficacité opérationnelle des forces armées à travers la permanence des structures, l’unicité du commandement et la spécialisation du soutien à apporter au niveau des hommes et du matériel, force est de reconnaître que l’armée malienne a montré toutes ses limites. Elle n’a pas été sérieusement préparée quant à l’imminence de la rébellion et à la capacité de nuisance des narco-djihadistes.

Ainsi, face à la menace d’un embrasement  et celle des groupes islamistes et criminels qui sévissaient tout au long des frontières, les forces armées ont été incapables de mettre fin aux actions des rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), masquant ainsi leur faiblesse par l’adoption de repli du «stratégique».

Ces différents revers de l’armée malienne marquent également l’échec des coopérations militaires entreprises entre le Mali et ses partenaires occidentaux, notamment les Etats-Unis et la France. Ce triste état de l’armée malienne avait été mis auparavant en lumière par un télégramme diplomatique américain, daté de décembre 2009. Il montrait à juste titre, la défaillance des forces de sécurité pour combattre des groupes criminels mobiles, aguerris et possédant souvent des relations avec des populations locales.

Le responsable chargé de la formation rend compte que chaque soldat malien a tiré 1000 cartouches pendant les cinq (05) semaines d’exercices, soit autant qu’un soldat américain des forces spéciales en un jour.

Pour les formateurs américains, il était fort probable qu’en cas de nouvelle crise, l’armée malienne serait dans l’incapacité de remplir sa mission. Aussi, il n’en demeure pas moins que cette armée demeure confrontée à une situation de précarité à une situation de précarité de ses soldats (mal payés: moins de 150 euros par mois).

En dehors des humiliations (marquées par une série de défaites sur le terrain contre la rébellion du Nord), l’armée est secouée par de multiples affaires de corruption (détournements de solde des subalternes) et de trafic de drogue. Ce malaise interne a fait réagir également quelques militaires que nous avons rencontrés.

Sous couvert d’anonymat, beaucoup de témoins acceptent mal (discrètement) le comportement de certains officiers supérieurs impliqués dans le trafic de drogue et de corruption, d’où leur colère pour un changement notable. Parmi les motifs de frustrations, les promotions aux grades de généraux, jugés trop hâtives et injustifiées des officiers de la génération d’ATT.

La multiplication des prises d’otages occidentaux capturés dans les pays voisins et prestement transférés au Nord du Mali décrit comme le sanctuaire d’AQMI n’ont fait que saper davantage la crédibilité de l’Etat malien.

En somme, nous avons une armée malienne discréditée, mal équipée, mal formée, face à une rébellion qui a une base territoriale, renforcée par un certain nombre de Touaregs qui servaient de soldats et mercenaires dans l’armée libyenne.

Source : Abdoulaye TAMBOURA «Le Conflit touareg et ses enjeux géopolitiques au Mali»

 

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