L’indépendance du Mali en 1960 ne marque pas une fin s’agissant des inquiétudes et de la stigmatisation exprimées par le pouvoir central vis-à-vis des touaregs, bien au contraire. A l’époque, le projet de l’OCRS (Organisation commune des régions sahariennes), initié par la France avec quelques relais locaux, entre 1957 et 1962, a, évidemment, contribué à aiguiser la méfiance régime qui était en place (l’US-RDA du président Modibo Keïta) à l’égard d’éventuels projets sécessionnistes au Nord-Mali. Or, les belligérants, les médiateurs et autres experts internationaux ont tendance à raisonner à partir des seuls enjeux contemporains.
À la suite de plusieurs incidents survenus entre les autorités maliennes des années soixante et quelques Touaregs qui refusent de se soumettre à l’omnipotence des militaires, une révolte armée éclate dans l’Adagh des Ifoghas (région de Kidal actuelle). La répression menée par l’armée malienne est sans commune mesure avec les quelques coups de feu tirés par les insurgés. De nombreux civils sont humiliés, torturés et tués. Dans les années qui ont suivi, des exactions se poursuivent ici ou là et une stigmatisation s’abat sur l’ensemble des Touaregs du Nord-Mali. Le cercle de Kidal, en particulier, est interdit aux étrangers et placé sous le contrôle exclusif de l’armée. Cette situation n’est donc pas sans rappeler celle des années 1916-1920 où la surveillance et les opérations policières étaient la priorité absolue des militaires coloniaux en charge des populations nomades.
La ressemblance entre les deux autorités centrales, l’État colonial puis malien, dans leur positionnement vis-à-vis des Touaregs, s’arrête à cette défiance de principe et à la cruauté des répressions mises en œuvre. En effet, jusqu’à l’année 1993, le pouvoir central malien, contrairement à celui des français, n’a pas véritablement cherché à intégrer les touaregs au sein de ses forces armées. Les anciens gardes ou goumiers de l’époque coloniale ont certes été maintenus, utilisés le plus souvent pour la collecte des impôts, et des recrutements dans l’armée ont pu avoir lieu, mais toujours à des niveaux subalternes. Jusqu’aux années 1990, les Touaregs qui le souhaitaient ne pouvaient que très difficilement gravir les échelons de la hiérarchie militaire. Si ce n’est dans les textes, l’École militaire interarmes (Emia) qui assurait la formation des officiers, était, dans les faits, fermée aux Touaregs. Pour les deux premiers régimes du Mali indépendant (présidences de Modibo Keïta et de Moussa Traoré), l’idée même de confier aux Touaregs de véritables fonctions de contrôle et de défense était impensable.
Déconsidérés, humiliés et marginalisés dans les premières décennies du Mali indépendant, les Touaregs ont, en outre, dû faire face à deux grandes sécheresses dans les années 1972-1974 et 1984-85. Des familles entières se sont alors retrouvées dans une impasse, tant économique que sociale. Les jeunes, en particulier, ont décidé de chercher à l’extérieur de chez eux les moyens de subsister. La plupart d’entre eux ont pris le chemin de l’Algérie et de la Libye. Vivant de petits boulots et de déplacements permanents, mais aussi de frustrations et de ressentiments, ils ont commencé, à leur tour, à ressentir le vent de la révolte. Accueillis dans les casernes libyennes de Kadhafi, ils y ont appris le maniement des armes modernes. Déterminés à réparer les injustices et les souffrances vécues, à rééquilibrer aussi les rapports de forces en leur faveur, ils sont rentrés chez eux, au Mali, en juin 1990, les armes à la main. Dès les premières attaques de la rébellion, le président Moussa Traoré parle de «bandits armés » pour qualifier les assaillants.
Les rebelles touaregs regroupés au sein du Mpa (Mouvement populaire de l’Azawad) lancent de nombreuses attaques sur les différents postes militaires des régions du Nord. L’armée malienne, incapable de parer aux attaques rapides des combattants touaregs, organisées sous la forme de rezzou, exerce une répression sanglante sur les populations civiles. Toute l’ambiguïté et la complexité résident dans le fait que ces populations du Sahel et du Sahara sont apparues, aux yeux des pouvoirs centraux, à la fois comme une source de tensions et de déstabilisations et comme un supplétif incontournable face aux dangers émanant tant de l’intérieur que de l’extérieur. De ce fait, les alliances et la confiance sont, jusqu’à présent, restées précaires et aléatoires. Et sur ce point, les expériences passées, les écueils, les faux-semblants, les trahisons vécus et conservés en mémoire jouent un rôle de premier plan.
Les hostilités réengagées entre l’État malien et une petite partie des touaregs, de la région de Kidal essentiellement, ne peuvent être appréhendées sans perspectives historiques. Les événements singuliers qui se trament depuis plus d’un siècle dans cette région du monde sont toujours interprétés par les premiers intéressés à l’aune de l’histoire. Le développement exponentiel des trafics illicites au Sahara, l’accélération des recherches d’hydrocarbures (pétrole et gaz) et d’uranium dans le septentrion malien, à quoi s’ajoute la présence de quelques groupuscules armés qui se font appeler « branches armées d’Al Qaïda ». La question de la sécurité et du contrôle dans une zone comme celle du Nord-Mali devient dès lors cruciale. Or celle-ci ne saurait être traitée en dehors, ou à l’encontre, des intérêts des «gens du lieu », en l’occurrence les Touaregs et les Arabes, sans oublier les Songhays, les Peuls qui constituent la majorité démographique des régions de Tombouctou et de Gao.
Enquête réalisée par Rokia Diabaté
bon article
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