De Bamako à Niamey en passant par Ouaga, un tollé général a accueilli l’invitation-convocation adressé par le président Emmanuel aux chefs d’Etat du G5-Sahel. Ceux-ci doivent aller s’expliquer, le 16 décembre prochain à Pau…
En effet, le président Emmanuel Macron a invité à Pau le 16 décembre, les présidents des cinq pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad pour leur réclamer un appui plus clair face à la montée d’un sentiment antifrançais au Sahel :”Nous devons à très court terme reclarifier le cadre et les conditions politiques de notre intervention au Sahel avec les cinq Etats membres du G5-Sahel», exige-t-il. “Je ne peux ni ne veux avoir des soldats français au Sahel alors que l’ambiguïté perdure à l’égard des mouvements antifrançais”, a-t-il averti,
La présence de troupes étrangères au Sahel, notamment celles de la force française Barkhane, pour combattre les djihadistes fait face à un rejet apparemment grandissant chez les habitants du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
Mais cette invitation du président Macron aux chefs de l’Etat du G5 à clarifier leur position a irrité les Sahéliens.
L’invitation d’Emmanuel Macron suscite de nombreuses critiques au Mali et au Burkina Faso, Niger au sein d’opinions publiques où les critiques à l’égard de l’ancienne puissance coloniale trouvent de plus en plus d’écho, en particulier contre la présence militaire française.
« De façon générale cette invitation est mal perçue au sein de l’opinion publique. Les gens font le rapprochement avec le sommet de la Baule de 1990 avec Mitterrand et y voient une sorte de paternalisme : la France appelle ses valets en Afrique », analyse Bréma Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako.
Pour le sociologue malien, les attentes des populations concernent « une synergie d’action et de meilleures concertation de Barkhane avec les forces armées locales ». « Alors que le sentiment anti-français se développe, cette rencontre ne garantira pas l’adhésion des populations », ajoute-t-il.
Au Burkina Faso, cette formule d’invitation d’Emmanuel Macron ne passe pas, car elle rappelle les « temps coloniaux », estime Wakat Sera, journal selon lequel le président français a « jeté les pieds dans le plat » en annonçant qu’il conditionnera le maintien de Barkhane dans la région du Sahel à un « positionnement sans ambiguïté », de la part des pays de cette région où la force française est engagée dans la lutte contre le terrorisme.
Macron a exprimé son « ras-le-bol », dénonce ce quotidien ouagalais, mais pas que, il a « peut-être » aussi exprimé un « sentiment d’impuissance » dans une lutte qui devient comme « sans fin ». Et Wakat Sera invite les dirigeants africains à saisir cette opportunité du 16 décembre pour dire au « grand sachem » que « plus que la France, les armées nationales des pays du G5-Sahel sont endeuillées au quotidien par cette lutte contre le terrorisme », elles qui ne sont même plus en mesure de « compter leurs morts », sans omettre les « milliers de déplacés dans leurs propres pays ». Et ces dirigeants africains doivent montrer au président français que la lutte de longue haleine contre le terrorisme est un « same fight » pour la France et le Sahel, martèle Wakat Sera (étant ici souligné que, par « same fight », ce confrère ouagalais entend « même combat », mais c’est donc en anglais qu’il tient à l’exprimer).
Au Burkina-Faso encore, le journal Les Echos du Faso résume à sa manière le coup de menton du président français. « Pendant que je vous lave le dos, ne laissez pas vos concitoyens me taper sur le dos », formule-t-il. Et ce confrère ouagalais se demande ce qu’à Pau va répondre le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. « Comme Maurice Yaméogo, le premier président voltaïque, va-t-il renoncer à la présence de troupes françaises sur notre sol ? Comme Sankara, va-t-il répondre que nous préférons compter sur nos propres forces et rejeter l’aide des troupes françaises dans le combat contre le terrorisme ? », s’interroge donc Les Échos du Faso.
« La France est en partie responsable de la situation actuelle, car tout est parti du bombardement de la Libye », martèle Hervé Ouattara, à la tête du Front anti CFA au Burkina, et très critique de la politique africaine de la France. « Il est temps que ces cinq chefs d’États réaffirment leur indépendance et que l’on discute d’égal à égal, avec un respect mutuel. De plus, nous avons l’impression que les militaires français spolient nos matières premières. Leur présence ne fait que prolonger la France-Afrique. »
Pour le politologue Abdoul Karim Saïdou, « dans le fond, Pau servira juste à renouveler l’allégeance à la France, car aucun de nos présidents ne demandera le départ de Barkhane. Ce qui est en jeu, c’est la contestation du monopole diplomatique des États. Les sociétés civiles africaines investissent de plus en plus l’arène internationale pour influencer les politiques étrangères de leurs États ». « Ce qui se joue ici participe à la reconfiguration de la politique internationale, longtemps considérée comme « la haute politique », à laquelle les gens d’en bas n’ont pas accès », ajoute-t-il.
Au Niger, les propos d’Emmanuel Macron sont très mal accueillis par des Nigériens qui les qualifient de méprisants. “Si Emmanuel Macron convoque les chefs d’Etat pour leur dire : venez clarifier vos positions, alors que c’est avec eux que tout cela a été organisé, et que ceux-ci acceptent, alors cela signifie qu’il ne souhaite pas qu’ils refusent”, analyse Moussa Tchangari qui préside l’association Alternative espaces citoyens, une organisation de la société civile du Niger.
Pour Moussa Tchangari, le président français souhaiterait que «les chefs d’Etats lui donnent les garanties qu’ils prendront des dispositions pour empêcher les critiques contre la présence des forces militaires françaises. Donc c’est un défi et un recul sur le plan démocratique. De ce point de vue, c’est grave, il a été vraiment très mal inspiré”.
Mais pour Issa Garba, porte-parole de l’ONG Tournons la page, cette rencontre pourrait être l’occasion pour les chefs d’Etat africains d’affirmer la souveraineté de leur pays.
“Le président Mahamadou Issoufou ne devrait même pas envoyer Abba (son directeur de cabinet et par ailleurs son fils, ndlr) à cette réunion”, explique-t-il.
“Ma conviction est que Issoufou ne devrait même pas y aller. Il n’a pas de compte à rendre à Macron. Quand Nicolas Sarkozy avait des problèmes au Niger, il s’était déplacé. C’est lui (le président Macron) qui a des intérêts au Niger. Mais nous, quels intérêts avons-nous en France ? On n’a rien, on n’a aucune société nigérienne qui y opère. Ce sont eux qui ont des sociétés ici”, s’emporte Issa Garba qui souhaiterait plutôt voir Emmanuel Macron venir rencontrer ses homologues africains “en Afrique”.
Le gouvernement du Niger n’a livré dans l’immédiat aucune réaction officielle suite aux propos du président français. Le Front de l’opposition indépendante maintient pour sa part ses premières déclarations : “les forces militaires étrangères doivent quitter le Niger”.
Face à cette « invitation » du Président Macron aux chefs de l’Etat du G5 à se rendre à Pau le 16 décembre prochain, l’on se pose la question de savoir quelle sera la réaction des chefs d’Etat : celle de se « soumettre à l’invitation » où suivre l’exemple du président malien Alpha Oumar Konaré. En 1995, celui-ci avait refusé de se rendre à Dakar, où il avait été « convié » par Jacques Chirac pour participer à un Sommet rassemblant autour de lui tous les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest. Alpha Oumar Konaré avait alors refusé de se soumettre à ce qu’il considérait comme une convocation émise par un ministre des Colonies en tournée d’inspection.
Mohamed Sylla