Comprendre : Les conflits armés en Afrique

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L’Afrique est caractérisée par un certain nombre d’enjeux géopolitiques qui sont internes au continent africain tout en étant liés à l’environnement international, tant  au niveau de leurs causes que de leurs conséquences, de leur prévention que de leur résolution.

Les conflits résultent d’un enchevêtrement de facteurs ayant chacun leur propre temporalité. Ils réactualisent des conflits séculaires non résolus et instrumentalisés par les pouvoirs (population arabo-berbère contre négro-africaine, Islam vs animisme et christianisme, pasteurs nomades vs agriculteurs sédentaires, razzieurs vs razziés, réseaux commerçants islamisés vs créoles ou natifs) tout en résultant de crises économiques, sociales, environnementales ou politiques.

Ils sont intra-nationaux tout en ayant une dimension régionale par le biais des Etats ou des milices se déversant des pays voisins. Ils résultent d’une crise identitaire sur fonds de décomposition institutionnelle et de fractionnement territorial.

L’analyse factorielle précédente cherchant à décomposer analytiquement et à hiérarchiser les facteurs explicatifs ne peut intégrer les enchainements et interactions conduisant à des processus non régulés.

La cause initiale de déclenchement peut être mineure alors qu’une fois déclenchés, les conflits violents peuvent devenir incontrôlables. La violence engendre la pauvreté, l’exclusion et l’absence d’institutions qui elles-mêmes nourrissent les conflits.

 

Les facteurs culturels et civilisationnels jouent évidemment un rôle en Afrique

Selon la thèse sociologiste de Kaplan, ils permettraient de penser les nouveaux conflits en termes de pressions démographiques face à des facteurs rares. Les guerres sont d’autant plus probables que l’on  assimile le religieux et le politique, l’absolu et le relatif, l’infini et le fini.

L’intégrisme religieux s’est largement substitué aux nationalismes ou aux socialismes comme projet de sociétés. L’Afrique est toutefois peu concernée par ces conflits inter-civilisationnels même si les violences internes au Nigeria, au Soudan, entre l’Érythrée et l’Éthiopie, peuvent être considérées en partie comme des conflits entre chrétiens et musulmans. Il existe en revanche, des réseaux islamistes plus ou moins liés à la nébuleuse Al-Qaida, implantés dans la Corne de l’Afrique (Soudan, Somalie) et dans  l’arc sahélo- saharien (Boko-Haram, Ansar Dine, Mujao).

L’Islam noir s’appuie sur le terreau de la pauvreté, de l’exclusion et des frustrations. Lors des crises, les référents ethniques ou religieux deviennent dominants dès lors qu’ils apparaissent comme les principaux référents de la rhétorique politique et que la complexité des situations est réduite à des identités ou à des combats entre les forces du bien et du mal.

Ainsi, en Cote d’Ivoire, comme dans beaucoup de sociétés africaines, les mouvements pentecôtistes témoignent de la confusion entre la morale, le religieux et le politique, affrontent une montée en puissance des instrumentalisations du religieux par les  Imams du Nord de la Cote d’Ivoire.

Les facteurs politiques sont évidemment essentiels, que ce soit en termes de déficit de légitimité des pouvoirs en place, de disparition des compromis sociopolitiques, de querelles de chefs pour l’accès au pouvoir, de décomposition des citoyennetés, de volonté de nouvelles configurations territoriales et d’exclusion de la citoyenneté.

Les conflits sont d’autant plus présents que les systèmes d’accaparement des richesses ne donnent pas lieu à redistribution, contrôle et sanction. La guerre peut avoir ainsi une finalité politique: accéder au pouvoir par la force. Elle prend une forme ethnique dans la mesure où l’ethnicité est devenue un enjeu de pouvoir.

L’inégalité d’accès aux postes de responsabilité et la compétition pour le pouvoir et le contrôle aux ressources créent des tensions entre des groupes sur des bases identitaires (ethnie ou religion). Les diasporas, conglomérats ou puissances régionales s’appuient sur ces factions.

 

De nombreux Etats ne contrôlent plus les territoires, le respect des Lois et des règles par le monopole de la violence légitimée. Les facteurs proprement militaires sont nombreux. Les conflits armés sont davantage liés à une faiblesse des dépenses militaires gouvernementales qu’à leur importance. Seule la guerre  entre l’Ethiopie et l’Erythrée présente la caractéristique d’une guerre conventionnelle interétatique. L’Afrique, qui comptait, en 1985, 10% des importations officielles d’armes en représentait moins de 2%, en 1995.

Les dépenses militaires de l’Afrique étaient passées de 10, en 1985; à 8,1, en 1995, en milliards de dollars courants soit de 3,5% à 2,8% du Produit intérieur brut (PIB) du fait de la fin de la guerre froide, de la réduction des conflits et des ajustements budgétaires. Elles sont passées en dollars constants de 2005 de 7,3, en 1995; à 12,6 milliards de dollars, en 2008.

Quatre (04) pays représentent plus de la moitié de ces dépenses: l’Afrique du Sud, 3,95 milliards de dollars en 2008 soit 1,4% du PIB, l’Angola 1,5 milliards soit 3,9% du PIB, le Nigeria 1,16 soit 0,6% du PIB, l’Ethiopie 0,24 soit 1,7% du PIB (Sources: SIPRI, 2005).

Les guerres sont d’autant plus aisées que le trafic des armes légères s’est développé: recyclage, vente des surplus des pays de l’Europe de l’Est. On estime à 100 millions le nombre d’armes circulant en Afrique. Les vendeurs d’armes sont liés aux circuits mafieux, que ce soit de narcodollars, de diamants de la guerre, de pétrole, ou de blanchiment de l’argent. Le cout des armes a fortement chuté.

Dans certains pays africains, un AK -47 (Kalachnikov) coute moins de dix (10) dollars. Les mercenaires, milices et enfants soldats jouent un rôle croissant dans les guerres africaines. L’arrêt de conflits dans un espace conduit généralement à un déplacement de la conflictualité dans un espace voisin (cas du Liberia et de la Sierra Leone vers la Cote d’Ivoire, du déplacement des Hutu rwandais vers la RDC et le Congo, ou des milices Djandjawid du sud vers l’ouest du Soudan au Darfour).

Les enfants en situation précaire trouvent dans les enrôlements plus ou moins forcés des moyens de survie et ils sont resocialisés par la violence. Le faible cout d’opportunité des activités militaires, notamment pour les enfants-soldats, résulte du chômage, de la désocialisation et de la déscolarisation des jeunes.

Les armées régulières et les forces  de maintien de l’ordre sont souvent en déshérence. Alors se développent les solreb (soldats le jour, rebelles la nuit); un mercenariat, des clivages claniques voire des milices privées traduisant une décomposition des armées nationales et mobilisant les enfants soldats. Là encore, les  configurations diffèrent selon les pays. Les facteurs géopolitiques pèsent avec influence, voire mise sous tutelles, de la part de puissances régionales ou internationales.

Après la fin de la guerre froide, les puissances hégémoniques s’étaient largement  désengagées d’Afrique, avec toutefois une inflexion récente conduisant à une intervention de la Grande-Bretagne au Sierra  Leone, de la France en Cote d’Ivoire (Opération Licorne), de l’Union européenne en RDC (Opération Artémis) et une présence accrue des Etats-Unis (base militaire de Djibouti, présence dans le Sahel et au Sahara).

La fin de la guerre froide et de la bipolarité s’est traduite par des dynamiques de fractionnement et de fragmentation territoriale. Les dividendes de la paix n’ont pas été affectées à la réduction des facteurs de guerre. Il existe de nouveaux enjeux hégémoniques liés au pétrole et à la lutte contre le terrorisme.

De nombreux conflits africains sont liés, à la fois, à une fragmentation de l’espace national non contrôlé par un Etat fort, et aux réseaux transnationaux (diasporas, conglomérats, puissances régionales) avec des jeux d’alliance ou d’allégeance qui interdisent d’opposer le territoire national et le système international.

En 2009, le Rwanda était ainsi impliqué dans la guerre du Kivu en RDC alors que l’Angola soutenait les forces gouvernementales. L’Ethiopie et l’Erythrée se battent par procuration en Somalie.

En Somalie, pays en sécession de fait et où se développe la piraterie maritime, après vingt (20) ans de guerre ayant fait 400 000 morts, les islamistes radicaux et shebabs soutenus  par l’Erythrée et dont une faction est liée à Al Qaida s’opposent au gouvernement de transition appuyés par les États-Unis, l’Ethiopie et l’Union africaines (force AMISOM).

Le Burkina Faso a été présent au Nord Cote d’Ivoire en liaison avec Charles Taylor du Liberia. Certains conflits concernent le contrôle de territoires (cas de l’accès à la mer pour l’Ethiopie en Erythrée).

Au Tchad, les Zaghawa au pouvoir sont menacés par les rebelles venus du Soudan alors que le Darfour a conduit à de nombreux réfugiés au Tchad. Ce pays comme le Soudan opposent la Chine et les Etats-Unis dans leurs appuis politiques pour des enjeux pétroliers alors que la France cherche à maintenir ses positions pour défendre la francophonie, maintenir un équilibre entre le monde arabo-musulman et le monde négro-animiste et chrétien et éviter des effets domino dans la région.

Les conflits du Soudan ,de l’Éthiopie, de l’Erythrée ou de l’Angola ont été largement liés à la fourniture d’armes par la Chine, jouant sur son rôle au Conseil de sécurité et permettant à certains pays de contourner les sanctions de la communauté internationale. On peut ajouter à ces facteurs, les conflits environnementaux liés aux ressources rares (eau, paturages, terres agricoles, déforestation), accélérés par les changements climatiques, la désertification et les migrations.

Les facteurs démographiques jouent également un rôle du fait  de la pression démographique (exemple de 1,2 million de réfugiés rwandais au Kivu), des migrations et du poids de la jeunesse désœuvrée et non formée.

Les zones de conflits armés en Afrique résultent, ainsi, à la fois de la résurgence des référents identitaires ethniques, religieux ou nationalistes, de la faillite des Etats de droit et des souverainetés en déshérence, des immixtions des puissances régionales et internationales et d’une montée en puissance des organisations criminelles internationales.

Source: Géopolitique de l’Afrique (Philippe Hugon)

 

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