Dans son rapport publié le 10 février 2020 et intitulé « Combien de sang doit encore couler », Human Rights Watch documente les atrocités commises en 2019 contre des civils dans le centre du Mali. Nous vous livrons ici le résumé de ce rapport que nous avons consulté.
Des groupes armés ont tué des centaines de civils dans le centre du Mali en 2019, ce qui en fait l’année la plus meurtrière pour les civils depuis l’éruption, en 2012, de la crise politique et militaire dans ce pays. L’épicentre de la violence se situe dans le centre du Mali, notamment dans la région de Mopti.
Des islamistes armés et des groupes d’autodéfense à caractère ethnique ont massacré des gens dans leurs villages, les ont abattus alors que ceux-ci fuyaient et ont exécuté des hommes après les avoir séparés des autres passagers de véhicules de transport publics en raison de leur appartenance ethnique. De nombreux habitants qui n’ont pas pu échapper aux attaques armées ont été brûlés vifs chez eux, tandis que d’autres ont été tués par des explosifs.
La violence qui touche le centre du Mali s’intensifie de façon soutenue depuis 2015, lorsque des groupes islamistes en grande partie alliés des groupes islamistes militants d’Al-Qaïda ont commencé leur descente depuis le nord du pays vers le centre. Depuis lors, ils n’ont cessé d’attaquer l’armée, la police et les postes de gendarmerie, de commettre des atrocités contre les civils et d’attiser des tensions communautaires préexistantes.
Les groupes islamistes armés ont principalement recruté leurs membres parmi la population pastorale peule, en exploitant leurs récriminations sur l’État et les autres groupes ethniques. Le recrutement des Peuls a avivé les tensions au sein des communautés agraires bambara, dogon et tellem qui, face à la protection inadéquate de l’État malien, ont constitué des groupes d’autodéfense afin de protéger leurs communautés. Les Peuls ont fait de même en réponse à ces tensions.
Ce rapport décrit des dizaines d’attaques perpétrées de janvier à novembre 2019 dans le centre du Mali, vraisemblablement par des milices ethniques et des groupes islamistes armés, faisant au moins 456 morts et des centaines de blessés parmi les civils. Les attaques décrites ont eu lieu dans plus de 50 hameaux, villages et villes de la région de Mopti, situés pour la plupart près de la frontière entre le Mali et le Burkina Faso. Les civils étaient les principales cibles des attaques, dont plusieurs semblaient avoir été soigneusement planifiées et organisées.
Selon Human Rights Watch, le nombre total de civils tués dans le centre du Mali en 2019 lors d’attaques communautaires et d’attaques d’islamistes armés est bien plus élevé que celui indiqué dans ce rapport, car d’incessantes représailles sont exercées dans des zones souvent isolées. Les victimes de ces attaques, pour lesquelles il n’y avait souvent pas de témoins, ont été tuées par balle ou à coups de couteau alors qu’elles s’occupaient de leur bétail, travaillaient dans leurs champs ou se rendaient au marché pour faire des achats ou vendre leurs produits.
Dans la quasi-totalité des attaques commises par des groupes d’autodéfense dogons ou peuls, et par des islamistes armés, les villages, hameaux et greniers ont été brûlés et détruits, et le bétail, les réserves de nourriture et les objets de valeurs ont été pillés. Les violences qui ont touché le centre du Mali en 2019 ont contraint des dizaines de milliers d’habitants de fuir leur domicile et sont à l’origine d’une famine de grande ampleur.
Human Rights Watch a documenté ces violences au cours de quatre missions de recherche à Bamako, capitale malienne, et dans les villes de Sévaré et de Mopti, dans le centre du Mali, ainsi que par le biais d’entretiens téléphoniques réalisés tout au long de l’année 2019, et en janvier 2020. Human Rights Watch a interrogé 147 victimes et témoins des exactions commises, ainsi que les leaders de différentes communautés ethniques, des fonctionnaires de sécurité et de justice, des diplomates, des travailleurs humanitaires et des experts en questions de sécurité.
Les conclusions de ce rapport s’appuient sur les études que Human Rights Watch a réalisées au Mali depuis 2012, notamment son rapport de 2018 intitulé « Avant, nous étions des frères » : Exactions commises par des groupes d’autodéfense dans le centre du Mali, où les causes fondamentales des violences communautaires, le rôle de l’État dans la protection des civils et l’absence de justice pour les atrocités commises sont examinés en profondeur.
Des groupes d’autodéfense dogons, notamment le groupe Dan Na Ambassagou, dont les attaques ciblaient la communauté peule, étaient impliqués dans la première atrocité commise en 2019 — le meurtre, le 1er janvier, de 39 civils peuls à Koulogon — ainsi que dans la pire atrocité qu’ait endurée le Mali dans son histoire récente, à savoir, le meurtre, le 23 mars, de plus de 150 civils peuls à Ogossagou. La milice dogon a également été impliquée dans plus de 10 autres attaques contre des villages, ainsi que dans trois incidents lors desquels plusieurs hommes peuls ont été tués après avoir été forcés à descendre du transport public dans lequel ils se déplaçaient.
Les attaques communautaires qui auraient été perpétrées par des groupes d’autodéfense peuls en 2019 sont les suivantes : le meurtre, le 9 juin à Sobane-da, de 35 civils dogons dont plus de la moitié étaient des enfants ; le meurtre, le 31 juillet, d’au moins sept commerçants dans le village de Sangha et aux alentours ; le meurtre en novembre de neuf hommes près de Madougou, et plusieurs autres incidents.
Nous avons également documenté les meurtres dans le centre du Mali, par des groupes islamistes armés, de 116 civils dont la majorité appartenait aux ethnies dogon et tellem. Il s’agit notamment du meurtre d’au moins 38 civils dogons et tellems dans les villages de Yoro et de Gangafani II et de l’exécution d’au moins 14 civils, principalement des Dogons, qui avaient été forcés à descendre de leur transport en commun dans les environs des villes de Sévaré et Bandiagara.
Plus de 50 civils ont été tués par des engins explosifs improvisés que des islamistes armés auraient posés au moment d’un choc avec leurs véhicules ou, dans un cas particulier, en piégeant le cadavre d’un civil. Plusieurs leaders communautaires ont été enlevés et auraient été exécutés par des groupes islamistes armés.
Face à de telles atrocités, le gouvernement malien s’est engagé à traduire les responsables en justice. Les enquêtes que mène le ministère de la Justice sur quelques massacres progressent, et les tribunaux maliens ont jugé et condamné en 2019 environ 45 personnes suite à plusieurs incidents de violence communautaire commis à une moindre echelle. Toutefois, au moment de la rédaction de ce rapport, les magistrats n’avaient toujours pas interrogé les puissants chefs de milices impliqués dans les pires atrocités.
Des représentants du gouvernement ont attribué la lenteur des progrès réalisés dans la recherche des responsabilités à une situation tendue en matière de sécurité et à des ressources inadéquates. De leur côté, les leaders communautaires ont affirmé que le gouvernement semblait privilégier les tentatives de réconciliation à court terme plutôt que la dissuasion par voie de poursuites judiciaires. Plusieurs personnes interrogées se sont dites profondément préoccupées par le fait que l’absence de poursuites judiciaires encourageait les groupes armés à poursuivre leurs exactions dans un climat généralisé d’impunité.
Human Rights Watch a exhorté le gouvernement malien à accélérer le désarmement des groupes armés violents, les enquêtes et les poursuites contre responsables des exactions graves décrites dans le présent rapport ainsi que dans des rapports antérieurs, quel que soit leur camp. Les milices ethniques et les groupes islamistes armés devraient cesser toutes les attaques contre les villages, les exécutions extrajudiciaires, les enlèvements et les autres violences graves à l’encontre des civils.
Les partenaires internationaux du Mali devraient enjoindre au gouvernement de garantir que les auteurs des violences communautaires sont dûment tenus pour responsables et d’offrir un plus grand soutien aux institutions judicaires dans le centre du Mali, ainsi qu’au Pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, basé à Bamako et dont le mandat a été élargi en 2019 afin d’y inclure les crimes relatifs aux droits humains internationaux.
NB : le titre et le chapeau sont de la rédaction.
Source : Nouvelle Libération