Centre du Mali : Chronique d’une spirale meurtrière

2
L'armée malienne déployée dans le centre du pays (ici à Mopti)
L'armée malienne déployée dans le centre du pays (ici à Mopti). © MICHELE CATTANI/AFP

 

Le Centre (la région de Mopti et une partie de Ségou) est devenu la zone névralgique de l’insécurité au Mali. Plus qu’au Nord, la situation sécuritaire dans cette zone du pays est telle que l’Etat n’y exerce quasiment plus son autorité, laissant le champ libre aux bandits armés, milices et aux djihadistes d’appliquer leur loi. De 2013 à nos jours, la violence est montée crescendo. Il ne se passe pratiquement plus de jour sans que de pauvres populations civiles, précisément la communauté peulhe, ne soient tués ou assassinés. En effet, c’est une haine accrue qui s’est développée à l’égard de la communauté peulhe avec une longue série d’exactions et des crimes odieux. Retour sur une spirale de violence au Centre.

Les populations de la 5è région et une partie de Ségou se meurent, particulièrement dû à plusieurs conflits communautaires et autres crimes. En longueur de journée, celles-ci font, en effet, l’objet d’exactions de toutes sortes : meurtres, assassinats, coups et blessures, enlèvements de bétails, vols d’engins et d’objets de valeurs de la part des groupuscules armés et autres bandits de grands chemins. Les principales victimes étant en majorité les peulhs du Macina, du Farimaké, du Méma, du Kounari, du Séno, du Guimballa etc., l’association Tabital Pulaaku (Association des amis de la culture peule) avait longtemps alerté sur la situation qui prévaut au Centre, mais les autorités maliennes n’ont quasiment jamais réagi à son cri de détresse.

Pour mieux comprendre les malheurs que vivent ces populations et mesurer l’ampleur du danger qui profile à l’horizon, il convient de faire la chronologie de certains faits extrêmement graves enregistrés çà et là dans cette zone sensible du pays et la passivité des autorités face à cette situation dramatique…

 Le charnier de Doungoura : 25 cadavres au fond d’un puits

L’une des tragédies enregistrées dans la zone de Mopti est sans doute celle de Doungoura. En effet, dans l’après-midi du lundi 18 mars 2013, des forains, sur l’axe Dioura-Léré, ont été interceptés dans la plaine dite de Ngagna par des bandits armés enturbannés, à bord de deux véhicules.

Ils furent dépouillés  de tous  leurs biens, puis, attachés, les yeux bandés, transportés au lieu-dit Neenga, à une dizaine de kilomètres du village de Doungoura (commune rurale de Toguéré Coumbé, cercle de Ténenkou, région de Mopti).

Dans une furie indescriptible, les bandits (ou terroristes)  fusillent 25 d’entre eux qu’ils  jettent  dans les profondeurs d’un  vieux puits.

Et depuis, aucune poursuite n’a été engagée contre les auteurs du crime, alors qu’ils ont été formellement identifiés par des rescapés. Les  dépositions des témoins sont restées sans suite.

Pis, aucune autorité administrative et politique majeure  ne s’est présentée sur les lieux : pour constater les faits, pour témoigner les regrets de la Nation aux populations terrifiées, pour consoler les familles  éplorées, les veuves et  les orphelins.

Les multiples démarches entreprises par les parents des victimes, par des responsables d’organisations  de la société civile comme Tabital Pulaaku (Association des Amis de la Culture Peulhe) et Jikke suudu baaba (Espoir de la patrie) et le Collectif Justice pour les Victimes de Doungoura (Cojvd) auprès des autorités régionales et nationales n’y ont rien fait.

Cycle infernal

Seule la Minusma, à travers son département chargé des droits humains, s’est rendue à Doungoura du 2 au 4 avril  2014,  pour observer  les  faits et échanger avec les populations.

Le silence d’Etat sur le massacre de Doungoura a engendré un sentiment de frustration et de révolte intérieure, parce qu’il apparait comme un quitus octroyé aux malfaiteurs qui ont commis beaucoup de crimes plus tard. Ainsi, de nombreux citoyens, administrateurs et notabilités furent ciblés puis assassinés… Dans ce lot, il y a Boubou Tiello Tamboura, accusé d’excès de loyauté  et froidement abattu dans sa concession, devant ses femmes et ses enfants  à Saré-Kouyé (commune rurale de Toguéré Coumbé) le 4 mars 2015 ; le chef du poste forestier de Diafarabé (cercle de Ténenkou),  criblé de balles  sur son lieu de travail le 6 avril 2015 ; le chef du village de Dogo (cercle de Youwarou), Amadou Issa Mody Dicko,  assommé pour refus de se soumette au diktat des djihadistes,  le 22 avril 2015.

Le 31 décembre 2015, Souleymane Bah dit Kouragal a été assassiné entre Nampala et Dioura. Le 7 janvier 2016, Dioura a été attaquée et les locaux de la mairie saccagés.

Le lendemain, 8 janvier 2016, Ténenkou a été prise pour cible à un moment où le Gouverneur de la région y tenait une conférence de cadres. Les assaillants reviendront à Ténenkou, le 16 janvier 2016. Ils y seront chassés par les forces de défense et de sécurité malienne.

En avril 2016, un homme âgé, Nabé Tamboura, est assassiné à son domicile, à Samina. Le samedi 27 août 2016, quatre personnes ont perdu la vie à Falada, à 20km de Dioura.

En réaction à ce silence coupable des autorités, les communautés des secteurs concernés, meurtries dans leur chair et dans leurs âmes, ont décidé d’organiser la riposte. À l’issue d’une grande rencontre qui a regroupé le mercredi 26 février 2014, 46 villages après le massacre de Doungoura, une association de 120 membres avait été formée sur place pour suivre, encadrer et veiller à l’exécution d’une instruction: « Défendez-vous ! Financez-vous ! Préservez votre cheptel, vos biens, vos vies ! Un mauvais signe dans un pays.

Plus tard, naîtra un vaste mouvement armé peul appelé Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (Ansiprj). Dirigé par Oumar Aldjana, son objectif est de mettre fin aux exactions contre tous les Peulhs du Mali, mais particulièrement ceux du Centre du pays, victimes d’amalgame : « on les tue, on les agresse pour cela. Ils sont la cible de l’armée, mais aussi de milices proches du gouvernement. Dans la région de Ténenkou, le pouvoir a mis en place une milice bambara pour attaquer les Peuls. Cette milice a reçu des armes, et elle est dirigée par un capitaine de l’armée basé à Ténenkou. Il est temps de réagir. Des gens meurent. D’autres fuient dans des camps de réfugiés en Mauritanie. Nos familles sont dispersées. Les responsables maliens doivent mettre fin à cette barbarie. Tant qu’ils ne feront rien, nous nous battrons ».

Pour Oumar Aldjana, l’ennemi, c’est l’armée malienne, qui s’en prend à tous les Peuls. « Nous ne tolèrerons plus un seul mort. Nous ne sommes ni des djihadistes, ni des indépendantistes. Nous ne revendiquons pas un territoire. Nous ne sommes pas contre l’accord de paix d’Alger. Nous réclamons aussi la justice. En 2013, l’armée a tué trente Peuls à Léré, qu’elle a balancés dans des puits. Il n’y a eu aucune enquête. Le mois dernier, 90 Peuls ont été tués près de Ténenkou. Des hommes ont été arrêtés, puis ils ont été libérés. C’est inadmissible. Nous ne faisons que réclamer le droit de vivre, comme tout citoyen de ce pays. Et nous irons jusqu’au bout pour sauver l’identité peule. Partout où nous croiserons des soldats maliens, nous les attaquerons ».

 

Le carnage de Maleimana : 50 morts

Dans les journées de dimanche et lundi mai 2016,  un conflit ethnique entre Peulhs et Bambaras de Maléimana, village situé à 42 km de Dioura, commune rurale du même nom, cercle de Ténenkou, région de Mopti a causé entre 38 et 50 en fonction des sources.  Comme à Ké-Macina, le récit des événements montre clairement et de manière regrettable que l’amalgame a (encore) fait des ravages et que les Djihadistes ont gagné un autre combat, celui de verser ou faire couler largement le sang…

Que s’est-il passé ? Sur la base d’une dénonciation, des Djihadistes (qui parleraient peulh) ont abattu deux villageois bambaras de Maléimana, supposés être des indicateurs pour les Famas et les « Blancs ». Les Bambaras ont conclu que c’est sur dénonciation des peulhs que les Djihadistes (eux-mêmes taxés d’être des peulhs) ont repéré et abattu leurs cibles. En guise de représailles, ils ont tué 4 Peulhs. La tension monte dans les deux camps. Chacun de son côté se réunit pour dégager la conduite à tenir. En route pour la réunion des Bambaras (présidée par le maire), le 1er adjoint du maire et non moins responsable des jeunes, est intercepté et assassiné par les Peulhs (qui venaient de perdre quatre parents). Ce qui mit le feu aux poudres. Les réunions sont écourtées pour faire place à l’affrontement. Mais, le duel était inégal. Et pour cause : les Bambaras, en majorité des chasseurs ont envahi le quartier des Peuls et tiré à bout portant sur tout ce qui bouge. Ce n’est pas tout. Durant le reste de la journée du dimanche 1er mai 2016 et le lendemain, les Bambaras ont constitué des groupuscules qui ont investi les coins de brousse pour exterminer tous les peulhs qu’ils croisent ou dans les campements. Le bilan est lourd, et même très lourd.

 Dimanche funeste à Ké-Macina : 42 morts

A ce jour, on ne connait pas encore le bilan exact des affrontements qui ont endeuillé, le 12 février 2017, la commune rurale de Macina suite à des affrontements ethniques entre Bambaras et Peulhs. Le bilan officiel faisait état de 13 morts. Le correspondant permanent du quotidien national L’Essor avait donné le chiffre définitif de 20 corps, alors que des sources locales parlaient de 42 peulhs massacrés.

Tout était parti de l’assassinat d’un boutiquier de Diawaribougou, village situé à 5 km de Macina par deux individus présumés djihadistes. En représailles, les chasseurs de la localité ont investi tous les hameaux peulhs de la zone, laissant derrière eux des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux et des ruines de maisons incendiées.

Après coup, les autorités ont apporté leur compassion aux blessés et aux familles des victimes.

 L’horreur de Nantaga, Koumaga…

En 2017, les Etats-Unis avaient demandé au gouvernement de mener une enquête « crédible et transparente » après la découverte de 25 corps dans trois fosses communes dans la région de Mopti et la reconnaissance, par le ministre de la Défense, de l’implication de « certains personnels » de l’armée. Aussi, l’Union européenne a également fait part de sa préoccupation face à cette situation.

Les corps de 25 personnes ont été retrouvés dans le Centre du Mali après une série d’arrestations par l’armée malienne, selon certaines sources.

L’association de défense des droits des populations pastorales Kisal a affirmé dans un communiqué que, « lors d’une opération de l’armée malienne dans les localités de Kobaka et Nantaka, (région de Mopti), 25 personnes issues de la communauté peulh ont été arrêtées ».

« Les riverains alertés par les coups de feu ont effectué par la suite un ratissage dans les environs », découvrant « trois fosses communes contenant au total 25 corps », selon Kisal, qui a fourni une liste nominative de 18 personnes identifiées et « s’indigne contre cette énième exécution de trop ».

« Dans la première fosse, il y avait sept corps. Dans la deuxième 13, et cinq autres dans la troisième », a précisé Oumar Diallo, membre de Tabital Pulaaku.

Du côté du gouvernement, une source au ministère de la Défense avait démenti « ces accusations d’exécutions sommaires », ajoutant qu’une enquête avait été ouverte.

Selon un habitant de Nantaga, Hama Kelly, à leur arrivée dans le village des militaires ont commencé par arrêter toute personne qu’ils rencontraient. « Ils ont récupéré leurs téléphones portables et cartes d’identité. C’est après que les Songhaï ont été libérés, mais tous ceux qui sont peulhs sont restés avec eux », avait-il déclaré.

Le président de Tabital Pulaaku, a confirmé : «… une milice armée à la recherche d’animaux volés est tombé dans une embuscade dans un petit village du nom de Tekere Finadji. Echanges de tirs. Cinq personnes sont tuées et au moins sept autres blessées ».

De son côté, le Parti pour la renaissance nationale (Parena) estimait que la côte d’alerte est atteinte. « L’instabilité fait des ravages. Au cours du seul mois d’avril 2017, plus de 200 personnes ont perdu la vie au Nord-Est et au Centre du Mali. Du 1er janvier au 31 mars 2018, au moins 316 personnes sont mortes dans notre pays, du fait de l’insécurité », a indiqué parti de Tiébilé Dramé.

32 victimes à Koumaga

Le cycle infernal continu ! Le samedi 23 juin 2018, 32 civils peulhs ont été tués dans le village de Koumaga (Djenné) au cours d’une attaque attribuée à des chasseurs traditionnels (Dozo), selon l’association peulh Tabita Pulaaku.

«Des gens habillés en Dozo, sont arrivés dans le village de Koumaga, dans le cercle de Djenné (Mopti). Ils ont encerclé le village, isolé les Peulhs des autres communautés et, froidement, ils ont tué au moins 32 civils. Dix autres sont portés disparus », a déclaré le président de cette association, Abel Aziz Diallo.

Les Peuls dénoncent régulièrement des exactions à leur encontre, au nom de la lutte contre les djihadistes, de la part de groupes de chasseurs traditionnels, tolérés voire encouragés selon eux par les autorités, ou de l’armée…

Ces derniers mois, les annonces par l’armée malienne de la « neutralisation de terroristes » dans le Centre ont souvent été contestées par les organisations de défense des droits de l’homme et par des habitants, qui dénoncent des exécutions extrajudiciaires.

« Ce qui se passe est très grave. Il faut éviter les amalgames. Ce n’est pas parce qu’on est peulh qu’on est djihadiste », a déclaré Abdel Aziz Diallo. Selon le président de l’association Tabila Pulaaku, il avait informé les autorités maliennes de l’imminence de l’attaque et « c’est seulement après les faits que l’armée malienne s’est rendue brièvement sur les lieux ».

La poudrière communautaire !

Pour échapper à ces affrontements, le nombre des réfugiés peulhs à Dialakorobougou venant du Cercle de Koro s’est augmenté. Ainsi, le 10 mai 2018, 15 (nouveaux) cas de déplacés ont été enregistrés à Bamako dont 6 femmes, 7 enfants et 2 hommes. Au total, 96 personnes ont quitté leurs villages.

Par ailleurs, ces affrontements ont été déclenchés avec l’attaque, par des éleveurs Peulhs, de deux villages (Sabérré-Darrah et Diankabou) habités par des Dogons. Ce à quoi les chasseurs Dogons ont répliqué en attaquant et en incendiant le village peulh de Madougou, le dimanche 11 mars 2018. Le lendemain (12 mars), de violents heurts ont opposé les deux communautés à Kewa, dans le cercle de Djenné (Mopti). Bilan : 10 morts (8 Dogons et 2 éleveurs Peulh) et plusieurs blessés. Dans le cercle de Koro, à Aama, village situé dans la Commune de Kassa à Diankabou, des affrontements intercommunautaires ont également été enregistré. L’incident s’est produit autour d’un puits à grand diamètre. Pas de perte en vie humaine. Au même moment, le village de Bombou dans la Commune de Madougou avait été attaqué par des individus non identifiés. Le bilan fait état deux morts.

Depuis, d’autres mouvements militaires non terroristes ont vu le jour tels que l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peulh et la restauration de la justice au Mali. Ce dernier a notamment mené une offensive contre des milices à Karéri le samedi 27 aout 2016 causant la mort d’une dizaine de personnes. Face à ces violences, des centaines de civils de cette ethnie ont pris la route vers le Sud du pays. Plusieurs milliers de peuls ont quant à eux été contraints de fuir la région de Mopti en direction de la Mauritanie voisine.

Le ras-le-bol de la communauté peulhe

L’une des dernières attaques meurtrières a eu lieu il y a quelques semaines. En effet, le 1er janvier 2019, un village peulh a été attaqué, dans le Centre (région de Mopti), par des chasseurs traditionnels. Cette attaque particulièrement violente a fait une quarantaine victimes.

Des « hommes armés habillés en tenue de chasseurs traditionnels dozos » ont mené cette attaque. « Outre les 37 morts enregistrés, tous des civils, le bilan fait état de plusieurs blessés et de nombreuses habitations incendiées », selon un communiqué officiel…

La dégradation de la situation sécuritaire au Centre du Mali se détériore quotidiennement avec son cortège de massacres des populations civiles (peulhs), de crimes commis par des milices armés qui agissent en toute impunité et de déplacements des populations… Ainsi, Tabital Pulaaku (Association des amis de la culture peulh) a organisé un meeting, le samedi 26 janvier dernier, à Bamako pour dénoncer les crimes odieux perpétrés au Centre. L’Association a demandé le désarment pur et simple de toutes les milices qui sèment la terreur dans cette partie du territoire national.

Aussi, cette association a organisé une série d’actions à commencer par un grand meeting, qui a été suivie par d’autres actions à Bamako et dans les villes de l’intérieur destinée aux éleveurs peulhs et qui concerner tous les centres urbains du pays…

Mohamed Sylla

(L’Aube 1040 du jeudi 31 janvier 2019)

Commentaires via Facebook :

2 COMMENTAIRES

  1. je pense que ce journaliste là n’est pas au courant des réalités de la région de Mopti et une parties de Segou.
    Qui a amené cette guerre là au centre c’est pas les peuls ? qui ont d’ailleurs suivis aveuglement leur soit disant Amadou Kouffa ?
    d’accord désarmé toutes les milices en commençant par les peuls d’abord et vous verrez qu’il n’y aura plus d’attaque .

Comments are closed.