La prise du pouvoir par le MPSR, dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, s’explique par l’exaspération des populations face à l’insécurité. Le nombre de déplacés va croissant.
Cinq mois après le coup d’État militaire contre le Président Roch Kaboré, la situation sécuritaire du pays ne s’est pas améliorée. Les attaques djihadistes se multiplient dans le pays, poussant des milliers de populations à l’exode. C’est le pays du Sahel qui compte le plus de déplacés internes. Le nombre est estimé à 1 902 150 selon le Bureau de la Coordination des Affaires humanitaires des Nations Unies et la dernière attaque en date, celle de Seytenga, a causé le déplacement de plus 30 000 personnes.
La junte militaire sous pression après Seytenga
Le pouvoir de transition fait face à la réalité du pays. Il ne suffisait d’un coup d’État pour que les défis liés à l’insécurité disparaissent. La junte militaire est dos au mur face à la recrudescence des attaques djihadiste. L’impatience commence à se faire sentir au sein de l’opinion publique qui avait pourtant placé un grand espoir aux militaires. La capacité des nouvelles autorités à faire face au terrorisme est remise en cause et Damiba demande du temps pour voir l’impact des opérations en cours. Les militaires perdent du temps comme on l’a vu récemment à Seytenga, la province de Séno et dans la région du Sahel. L’Etat islamique au Grand Sahara est en train d’étendre son influence au Sahel central par une série d’attaques au Burkina Faso et au Mali, depuis le début de l’année.
L’armée burkinabè a mené plusieurs opérations de sécurisation menées dans le pays, mais le phénomène reste de l’asymétrie et les résultats tardent à venir. Le 12 juin dernier Seytenga a été la cible de l’EIGS dont le bilan officiel fait état de 86 morts. Le poste avancé du détachement de gendarmerie de la zone avait subi une attaque quelques jours avant faisant plus d’une dizaine de victimes. Ce qui a obligé le détachement à se replier. Au regard de la situation sécuritaire du pays, le MPSR ne semble pas répondre aux aspirations de l’opinion publique.
Création de deux zones d’intérêts militaires
En dépit des efforts déployés par la junte militaire depuis le coup d’État du 23 janvier 2022, la situation sécuritaire demeure préoccupante au Burkina Faso. Le 20 juin, le Conseil supérieur de Défense, présidé par Damiba, s’est réuni autour de la situation sécuritaire du pays. A l’issue de ce conseil, le Président de la transition Paul-Henri Sandaogo Damiba a pris une série des décisions sécuritaires importantes pour la sécurisation du pays. On note la création de deux zones d’intérêt militaire dans les régions les plus touchées par le nord du pays et une réorganisation au sein des volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP), qui devient la brigade de veille de défense patriotique (BVDP), placée sous la tutelle du ministère de la Défense nationale. Ces zones d’intérêt militaires couvrent les régions de l’est et du Sahel qui sont les principales zones les plus touchées par les violences djihadistes.
Des opérations d’envergure s’annoncent et toute présence ou activité humanitaire est interdite au risque de s’exposer à des opérations militaires. Cela risque d’augmenter davantage le nombre de déplacés internes dans le pays quand on sait que les capacités d’accueil commencent à être débordées. Cela nécessite en urgence des mesures d’accompagnement pour ces populations déplacées.
Des sanctions disciplinaires ou pénales seront réservées contre les militaires qui désertent en zone de combat ou ceux qui auront des mauvais comportements envers les populations. Très souvent les armées nationales ont été accusées de dérives par des organisations de défense des droits de l’homme contre des populations locales. Ces dérives créent une certaine frustration des populations vis-à-vis des Forces de Défense et de Sécurité. Cela renforce les groupes armés terroristes qui instrumentalisent ces ressentiments. Cette nouvelle stratégie à l’environnement djihadiste. Dans leurs zones d’influences, les groupes armés terroristes exploitent la frustration des populations et se cachent au sein des communautés. Ces mesures pourraient alerter les groupes à changer de stratégie car toutes celles adoptées par les États ont échoué. Il y a un risque qu’en déplaçant les populations vers des zones inoccupées, les terroristes n’en profitent pour ouvrir de nouvelles lignes de front.
La table ronde entre Damiba et Roch Kaboré
Le palais de Kossyam a abrité le 21 juin dernier, une rencontre entre l’ancien Président du Faso Roch Kaboré et le lieutenant-colonel Damiba, placée sous le signe de la réconciliation nationale. C’est la première rencontre officielle entre ces deux hommes depuis l’événement du 24 janvier, date du coup d’Etat contre Kaboré. Le Président déchu, bien qu’ayant regagné son domicile, est toujours en résidence surveillée. La Cedeao et certaines organisations de la société civile exigent sa libération immédiate et sans condition. Cette démarche, salutaire pour certains et propagandiste pour d’autres, s’inscrit dans une dynamique purement politique. M. Kaboré était accompagné d’un autre ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo qui a dirigé le pays entre novembre 1982 et août 1983 lorsqu’il s’appelait encore la Haute Volta.
Les hommes d’État ont échangé sur les questions sécuritaires, la conduite de la transition et bien d’autres sujets d’intérêt national. Selon le communiqué officiel de la présidence du Faso, « cette rencontre témoigne de la volonté de réconciliation du chef de l’État, pour un Burkina uni, déterminé et solidaire dans la lutte contre l’hydre terroriste et traduit la matérialisation de l’appel à l’unité nationale et à la cohésion sociale». Cette réunion intervient à quelques jours du prochain sommet de la Cedeao sur la situation au Mali, au Burkina Faso et en Guinée prévu pour le 3 juillet à Accra. L’organisation régionale réclame la libération sans condition de Roch Kaboré.
Bah Traoré
Chercheur, analyste politique et sécuritaire au Sahel, Dakar