Les terroristes étaient sans doute venus pour faire un carnage. Mais le professionnalisme avec lequel l’opération de libération des otages a été menée a permis de limiter les dégâts
Il est environ 7 heures, ce vendredi 20 novembre à Bamako. Un véhicule de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique vient chercher un Américain à l’hôtel Radisson Blu situé au quartier d’affaires ACI 2000 à Hamdallaye. Pendant que le chauffeur attend l’homme devant l’établissement, deux hommes armés profitent de ce temps pour ouvrir le feu sur les agents des services de sécurité en faction. Trois agents sont tués sur le champ. Le crépitement des armes automatiques fait frissonner les occupants de l’hôtel 5 étoiles (dont la capacité d’accueil est de 170 lits), de 14 nationalités différentes, ainsi que les 30 employés locaux de l’établissement.
Seydou Dembélé, agent de sécurité dit avoir vu « deux hommes armés » et assure que l’un était cagoulé, tandis que le second était même à visage découvert « habillé correctement, en jean et chemise, comme Monsieur tout le monde. « Ils tiraient sur les gens et couraient après eux dans le couloir de l’hôtel. Quand l’un d’entre eux m’a vu, il a pointé son arme vers moi et je me suis enfui. Ses balles m’ont raté ».
Pendant la fusillade, des clients sont tués. De même que certains employés de l’hôtel dont le cuisinier Abdoulaye Tapily et d’autres gens. Dans la débandade, certaines personnes auraient eu la vie sauve, en récitant des versets du Coran sur injonction d’un des hommes armés.
« Ils avaient à peine 25 ans, et ne devaient pas dépasser les 60 kg, confie un autre témoignage. Nous avons pu voir le cadavre d’un d’entre eux. C’est un jeune homme Noir », confie un employé de l’hôtel.
Autre témoignage apporté par l’artiste guinéen Sékouba Bambino, indique que les assaillants s’exprimaient en anglais. Le musicien a pu les entendre s’exprimer depuis sa cachette, à l’intérieur de sa chambre d’hôtel.
Un autre témoin, un ressortissant ivoirien dit avoir vu un homme armé faire sortir les gens de leur chambre pour les regrouper. « Je me suis mis à l’abri sous mon lit, en éteignant mon téléphone portable. Il est venu faire un tour à côté de mon lit et ne s’est pas rendu compte que j’étais caché en dessous. Quand il est sorti, ma chambre est restée ouverte pendant une heure de temps. C’est lorsque je n’ai plus n’entendu de bruit dans les couloirs que je me suis levé pour fermer la porte. C’est à travers la télé de la chambre que j’ai su qu’était c’était une attaque terroriste. J’ai éteint la télé et j’ai commencé à prier, car j’étais convaincu que c’était fini pour moi. J’ai présenté mes excuses à mes épouses et à nos enfants. J’ai dit à mon comptable de présenter toutes mes excuses à mes employés. Ensuite je suis resté couché à plat ventre pendant plus de 2 heures jusqu’à l’arrivée de 4 militaires maliens qui ont fouillé la chambre. Je me suis mis à pleurer quand ils ont dit « Monsieur, nous sommes là pour votre sécurité. Calmez-vous, c’est fini, c’est fini ».
D’autres témoins disent qu’ils n’ont pas eu le temps de réaliser ce qui se passait dans les couloirs de l’hôtel « J’ai entendu des coups de feux et je me suis barricadé dans ma chambre pour appeler la réception par téléphone. Personne n’a décroché. Je suis donc resté dans ma chambre pour attendre la fin des tirs. Mais ça continuait. Quelques instants après, mes parents m’ont informé qu’il s’agissait d’une prise d’otage et que je devais rester caché dans ma chambre», rapporte un autre rescapé.
Entre temps, le dispositif de sécurité se renforçait autour de l’hôtel. Les voies d’accès à l’hôtel furent bloquées par les forces de sécurité pour ne pas donner de chance aux assaillants de se fondre dans la population après l’attaque. On était alors parti pour presque 9 heures de suspense. Tout le Mali retenait son souffle. Le reste du monde aussi.
Les services installés dans les parages de l’hôtel (banques, écoles etc..) libérèrent leurs employés. Au niveau de l’école Collège Horizon, c’était le cafouillage. Des parents d’élèves vinrent chercher leurs enfants. D’autres élèves rentrèrent chez eux par taxi.
Une fois le dispositif de sécurité mis en place, les forces spéciales maliennes appuyées par leurs collègues français, américains donnèrent l’assaut vers midi. L’intervention durera jusqu’à 16h. Au cours de l’assaut, deux terroristes sont tués. Les forces spéciales maliennes ont enregistré des blessés dont le gendarme qui a malheureusement succombé à ses blessures. Il s’agit du maréchal de logis Moussa Sangaré.
Après l’assaut final, les rescapés furent conduits au Palais des Sports situé non loin de l’hôtel, avant d’être repartis entre les hôtels de la ville. Les opérations de ratissage ont continué jusqu’en début de la soirée. Les forces de sécurité veillaient toujours pendant le week-end, sur les lieux pour les besoins de l’enquête. Désormais, c’est la police scientifique et technique qui est en train de rassembler les éléments d’enquête.
Pour le moment, le bilan de cette attaque meurtrière est de 21 morts dont 18 clients de l’hôtel, 1 gendarme malien et 2 terroristes, selon le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le colonel-major Salif Traoré (voir article de C. M. Traoré en page 10). Les autres morts sont des ressortissants étrangers. Plusieurs sources parlent de 6 Russes (des membres d’équipage d’une compagnie aérienne), 3 Chinois, une Américaine (une spécialiste en santé publique). Les 12 membres d’équipage d’Air France contrairement aux Russes eux ont eu la vie sauve.
Samedi matin, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta s’est rendu à l’hôtel pour réconforter les employés de l’hôtel et sa direction.
Au terme de sa visite qui a été particulièrement bien apprécié par les responsables de l’hôtel, le chef de l’Etat a accordé un entretien à la presse. « Comment comprendre que l’on puisse se lever et aller ôter la vie à des gens innocents ? Nous sommes dans un monde qui a basculé, qui est maintenant un monde de l’inadmissible de l’intolérable. Mais le terrorisme ne passera pas », a dit en substance, le chef de l’Etat en soulignant que le Mali n’est pas le seul pays ciblé par le terrorisme. « Ça pourrait se passer dans d’autres pays », a-t-il ajouté, saluant une nouvelle fois le courage, la bravoure et le professionnalisme de forces de sécurité maliennes et des leurs collègues d’autres pays.
Avant de quitter, les lieux il a envoyé un message d’optimisme et d’encouragement à la direction de l’hôtel : « Monsieur le directeur, vous me retrouverez à diner ici bientôt. Inchallah ! »
A. DIARRA