L’affaire de Wagadou défraie encore la chronique, avec des versions multiples et contradictoires. Deux semaines après ce raid livré contre Aqmi, nous tentons d’apporter les réponses aux questions soulevées sur le bilan, les circonstances, les acteurs et les non-dits d’une affaire qui n’a pas fini de faire parler d’elle.
Nouakchott, dimanche 26 juin 2011, conférence de presse de l’armée mauritanienne. Objet : l’« opération conjointe » menée avec l’armée malienne pour « déloger » et « anéantir un camp d’AQMI installé en pleine forêt de Wagadou ». Cette base récente au Mali-elle aurait été installée en mars dernier à moins de 80 km du territoire mauritanien- ciblait la Mauritanie. Bilan officiel donné lors de ce point de presse : deux soldats tués, cinq autres blessés.
Du côté ennemi, 15 salafistes auraient été tués et le camp totalement détruit. Une victoire donc sauf qu’Aqmi ne le reconnaît pas. Dans un communiqué publié sur le site mauritanien Ani, les Salafistes revendiquent la victoire et disent avoir fait un carnage dans l’armée mauritanienne. Voici ce que nos investigations nous permettent de vous dire.
Sur les circonstances de l’affrontement
Toutes nos sources confirment que les combats ont commencé vendredi 24 et se sont terminés samedi 25 en fin de journée. A cause du danger des mines anti personnelles posées par Aqmi, l’armée mauritanienne n’a pu entrer dans le théâtre des opérations que lundi, selon les sources mauritaniennes elles-mêmes. Les dates ont leur importance ici comme on le verra plus tard.
Au-delà des communiqués des deux camps, le Républicain a approché plusieurs informateurs dont des sources militaires. Et voici ce que donnent les recoupements : vendredi 24 juin, les Mauritaniens sont tombés dans une embuscade, la forêt de Wagadou étant très longue et touffue, ce qui réduit la visibilité. Le bilan aurait été lourd pour l’armée mauritanienne : vingt militaires tués, sept véhicules brûlés et cinq saisis.
L’armée malienne présente dans les environs dut même transporter huit blessés mauritaniens dont le Capitaine Sidna de la tribu des Idawali, décédé par la suite à Néma.
Il est vrai que des informations dans la presse électronique mauritanienne faisaient état, dès le samedi, d’une dizaine de morts transportés à Bassiknou, au sud- est de la Mauritanie. Si l’armée mauritanienne n’a pu accéder au front que lundi, les dépouilles en question ne peuvent donc pas être celles des Salafistes qui se trouvaient à l’intérieur de la forêt. De plus, il est difficile de comprendre pourquoi une armée transporterait les corps ennemis.
Enfin, contrairement au raid du 10 juillet, les dégâts (y compris les corps) n’ont pas été montrés à la télévision mauritanienne, samedi, dimanche et lundi. Il est indiscutable cependant que l’entrée en action des deux avions Tucano de l’armée mauritanienne a renversé la situation au profit de Nouakchott, dès la nuit du vendredi au samedi. A l’heure où nous mettons sous presse, en raison du danger des mines qui ont même fait des dégâts chez des civils maliens, personne ne contrôle totalement la forêt.
Sur l’opération conjointe
Il ne paraît y avoir aucun doute sur le fait que l’opération est commune. Mais l’armée malienne, toutes nos sources le confirment, n’a pas participé au combat. La dépêche de l’Afp du 25 juin citant un Capitaine comme source avait d’ailleurs indiqué que « l’armée malienne n’avait pas participé à l’attaque proprement dite ». Un proche des palais de la sous-région croit même savoir qu’il y avait eu des divergences tactiques entre les Maliens et les Mauritaniens sur l’opération. « Les Mauritaniens voulaient en finir tout de suite en livrant l’assaut. Les Maliens, eux, estimaient qu’il fallait plus de préparation » car ce que demandait le partenaire mauritanien était à son avis une opération de guerre qui nécessitait une plus grande logistique.
Le porte parole de l’armée malienne nous avait confié ceci le 30 juin : « l’opération conjointe porte le nom ‘’Benkan’’ ou entente. Elle a été planifiée, les tâches reparties pour l’occupation de la zone et placée sous commandement malien. Cependant, c’est l’armée mauritanienne qui est tombée sur l’ennemi. Elle a bénéficié d’un appui de l’armée malienne ». Notre source sous-régionale qui n’est pas exactement un allié de Nouakchott va même plus loin : « sans l’armée malienne, les Mauritaniens auraient subi un carnage ».
Si les soldats maliens n’ont pas combattu, quid des onze prisonniers dont l’arrestation a fait l’objet d’un communiqué officiel ? Nos sources à Tombouctou, Nara et Ségou affirment qu’ils auraient été capturés entre Chouala et Nara. « Ce sont des prêcheurs de la Dawa et non des combattants salafistes », croit savoir un habitué des lieux. Parmi eux: deux peulhs, quatre maures dont deux haratines.
Sur les Fuites
« L’Armée mauritanienne est-elle tombée dans une embuscade de AQMI, après l’interception par Aqmi de communications radios permettant de localiser les positions de l’ennemi ? Pour certaines sources à Bamako, cela est une évidence. Sans que ces informations puissent être étayées, certains parlent même de fuites, ce qui suppose des complicités avec Aqmi dans l’armée mauritanienne. « C’est quelque chose qu’on ne peut pas écarter, et il doit même y avoir des taupes Aqmi dans l’armée mauritanienne », évacue un analyste qui rappelle cependant que les bilans de la nébuleuse sont généralement plus crédibles que ceux des Etats.
Parce que mourir au combat c’est accéder au statut de martyr. Si tel est le cas, il est à craindre que les pertes mauritaniennes à l’issue des affrontements de Wagadou ne soient plus importantes que celles officiellement déclarées. Or Aqmi, dans son communiqué du 3 juillet précise que ce sont quinze de ses combattants commandés par Khaled Al-Chinghuiti qui ont défendu leur base terroriste la plus avancée contre la Mauritanie.
Assane Koné / B. Daou