À quelques encablures de la finalisation du plan d’attaque des niches rebelles et jihadistes dans le Nord-Mali, les protagonistes de la crise se bousculent devant le portillon du dialogue entr’ouvert par la communauté internationale comme alternative à l’affrontement armé. Après le MNLA – qui n’avait plus le choix après sa débâcle devant le MUJAO à Gao -, c’est au tour d’Ansar Dine de frapper à la porte des négociations. Sa démarche, si elle aboutissait, est préférable de toute évidence à une intervention militaire. Il n’en demeure pas moins qu’elle suscite polémique et interrogation quant aux motivations réelles de l’intraitable Iyad Ag Ghali.
Les médias internationaux en ont fait leurs choux gras en fin de semaine dernière. Le Mouvement Jihadiste Ansar Dine du chef rebelle reconverti en islamiste, Iyad Ag Ghali, est bel et bien disposé à lâcher du lest, profitant ainsi de l’ouverture faite par la communauté internationale et dont la dernière manifestation s’est faite lors de la récente réunion du Groupe de Soutien et de Suivi de la Situation au Mali dans la capitale malienne. Cette rencontre, intervenue au lendemain de la résolution 2071 et parallèlement à l’entrée en action de la médiation nigériane, a été assortie, en effet, d’une résolution qui ouvre une large brèche à la possibilité d’une négociation avec les groupes armés. Le passage des conclusions de la rencontre de Bamako du 19 octobre parle en clair de “mener des négociations avec tous les groupes armés dans le nord prêts à s’engager dans un dialogue pour trouver une solution à la crise sur la base du strict respect de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale du Mali , du rejet du terrorisme et de la criminalité transnationale organisée, ainsi que de la rébellion armée”.
En dépêchant des émissaires auprès du Médiateur de la Cédéao, Blaise Compaoré, et du ‘Parrain’ algérien, Bouteflika, Ansar Dine et Iyad Ag Ghali agissent visiblement dans la droite ligne de cette opportunité qui leur est offerte de s’affranchir des prétentions intégristes partagées avec les autres groupes extrémistes installés dans le Nord-Mali et avec lesquels ils s’illustrent par des exactions, ainsi que par une application impitoyable et rigoureuse de la charia aux populations locales. Leur démarche, sans doute une conséquence du passage d’Hilary Clinton à Alger, parait d’inspiration algérienne et vise à épargner aux combattants touaregs le sort qui attend les autres organisations terroristes de la part d’une communauté internationale réellement désireuse d’en finir avec le régime de terreur instauré dans la bande sahélo-saharienne. Ce faisant, l’Algérie de Bouteflika aura en outre donné la preuve de sa volonté d’entonner la symphonie planétaire sur une situation où son attitude a toujours prêté à confusion, compte tenu d’une apparente indifférence qui cache mal les intérêts objectifs d’exporter les gênantes niches du terrorisme vers le faible voisin malien.
Considérée sous ce prisme, la démarche d’Ansar Dine d’engager son processus de déconnexion du reste des ‘jihadistes’ dégage les relents d’un canular et pourrait dissimuler une simple manœuvre de diversion à l’effet de freiner l’élan de la communauté internationale dans la résolution de la crise malienne. Et pour cause, il est pratiquement inimaginable que son chef Iyad Ag Ghaly, un nœud parmi tant d’autres de la chaine pyramidale d’Aqmi, puisse renoncer à la totalité des combats qui donnent un sens à son existence : le séparatisme et le jihad. Au demeurant, des Accords de Tamarasset jusqu’à ce ceux d’Alger, entre autres, les négociations avec lui se sont toujours déroulées avec les germes d’un rebondissement inévitable
– Quid de l’opportunité d’accepter une main-tendue d’Iyad?
Reconquérir les régions Nord du Mali, sans coup férir, et en épargnant la vie de potentiels boucliers humains passe pour le scénario idéal tant aux yeux de la communauté internationale que pour les autorités officielles maliennes. Toutes y perçoivent notamment une opportunité pour isoler les ramifications maghrébines du terrorisme et de la criminalité internationale. Ils n’en demeurent pas moins, cependant, qu’entrer en négociation avec Iyad Ag Ghaly est une option qui fait jaser plus d’un observateur. Sur quoi transiger, en effet, avec un personnage d’autant plus controversé qu’il traine l’étiquette peu enviable de vecteur principal de la pénétration et de l’occupation des deux tiers du pays par les mêmes forces obscurantistes étrangères ? C’est la question qui revient sur toutes les lèvres au sujet de la tournure nouvelle que prend le processus de décrispation sécuritaire enclenché sous l’égide de la communauté internationale. La réticence et la circonspection des observateurs ne sont pas dénuées de fondement. Elles reposent notamment sur un degré de comptabilité trop avancé pour paraître inexcusable et indigne de repentance, à bien des égards, à en juger par le rôle prépondérant du mouvement islamiste d’Iyad Ag Ghaly dans la crise sécuritaire et institutionnelle que connaît le Mali, le pire des épisodes que le pays ait traversés depuis son accession à l’indépendance. Le premier responsable d’Ansar Dine – dont les fréquentations douteuses ont ouvert la brèche aux rescapés de la débâcle Kadhafiste – ne traîne pas seulement les présomptions d’une complicité active dans les atrocités commises à Aguel Hoc, dossier d’ailleurs pendant devant les instances juridiques internationales. Il a été également aperçu en train de fouler la terre historique de Tombouctou où ses associés d’Aqmi ont lapidé et amputé à tour de bras, et porté gravement atteinte au patrimoine culturel de la ville. Idem à Gao où les alliés islamistes et sécessionnistes d’Ansar Dine, après s’être introduits par une barbarie d’une ampleur innommable, ont soumis les populations locales à un régime impitoyable d’amputations, de lapidation et de flagellation au nom de l’islam.
Ce n’est pas tout. À la différence de ses alliés obscurantistes étrangers, le chef rebelle Iyad Ag Ghaly est certes admissible à la table du dialogue en tant que citoyen malien, mais il n’en est pas moins solidairement comptable du déplacement massif de populations ainsi que de la situation humanitaire catastrophique qui en a découlé. Au regard de tant de passifs à son compte et d’une ligne de démarcation à peine perceptible entre composantes nationales et étrangères, l’ouverture de négociations à ce stade, pour nombre d’observateurs, ne peut que se résumer à une opportunité gracieusement offerte à un criminel en position de faiblesse d’échanger son cheval aveugle contre un borgne : la conversion de ses prétentions ‘jihadistes’ en possibles concessions autonomistes en faveur de sa région d’origine. Un tel schéma se produira sans doute au détriment de la justice due aux nombreuses veuves de soldats froidement exécutés, au grand dam de populations soumises à la terreur, aux exactions ainsi qu’à la privation en tous genres.
A.Keïta