Après des mois de tergiversations, d’hésitations et de polémiques des acteurs sociopolitiques maliens et de la communauté internationale, on pensait que l’heure était enfin à la mobilisation et aux grandes manœuvres en vue d’une intervention pour débarrasser le Nord-Mali du « cancer » islamiste qui le ronge depuis mars 2012. Ces derniers jours, les experts militaires locaux, de la CEDEAO, de pays occidentaux et d’organismes internationaux s’étaient retrouvés à Bamako pour, dit-on, trouver le meilleur angle de tir avant d’ouvrir cette chasse maintes fois annoncée et reportée.
Mais alors qu’on s’attelle aux détails pour obtenir l’accord du Conseil de sécurité des Nations Unies, voici qu’une délégation d’Ançardine (un des groupuscules salafistes qui sévissent dans le no man’s land sahélo-saharien) est envoyée à Ouagadougou et à Alger pour…discuter. Mais de quoi ? Là est la question, comme disait l’autre. Les bruits de bottes militaires se rapprochent du Nord, mais les partisans de la négociation ne désarment pas. Blaise Compaoré et Abdel Aziz Bouteflika redoutent peut-être que le remède soit pire que le mal, et ils n’ont jamais fait preuve d’un empressement particulier à monter au front, si ce n’est à reculons. Et s’ils ont semblé se ranger aux arguments, aux sollicitations, voire aux pressions amicales des interventionnistes, ils n’ont jamais été vraiment convaincus à 100% du caractère incontournable et surtout efficace d’une expédition qui sera tout sauf une virée touristique. Il est vrai que l’affaire n’est pas aussi simple qu’on le pense, et ceux qui traînent des pieds ont peut-être de bonnes raisons de se hâter lentement. Quelle est aujourd’hui la crédibilité d’un mouvement islamiste pur et dur comme Ançardine qui prétend vouloir négocier avec le Président du Burkina Faso et Médiateur de la CEDEAO ? Pourquoi de tels échanges justement maintenant ? Que faut-il en attendre et surtout, quelle posture adopteront les autorités et le Haut conseil islamique du Mali ? Difficile de prendre au sérieux des groupes islamistes qui se refusaient à négocier en arguant, des mois durant, qu’ils sont suffisamment armés pour tenir tête à l’ensemble des pays ouest-africains.
Tirer avant de négocier
Même si ce brusque changement de ton de la part de ceux qui tenaient des propos belliqueux et arrogants peut désorienter un petit moment, il a quand même de quoi rendre perplexe. Différentes raisons peuvent expliquer ces dernières prises de position des islamistes qui veulent négocier tout d’abord parce que le contexte international a évolué et que le rapport des forces a beaucoup changé : le consensus en faveur de la guerre est désormais une réalité, il y a moins d’hésitation et les Etats-majors sont quasiment prêts. Les Maliens ne sont donc plus seuls face à l’ennemi. Après avoir pris le temps de se préparer, les forces internationales coalisées sont aujourd’hui prêtes à bouter hors du territoire malien ceux qui prônaient et prônent encore un islam moyenâgeux et se prêtent au jeu des esclavagistes des temps modernes. Les groupes islamistes ont changé de langage et de position parce que la détermination ne fait plus aucun doute du côté de ceux qui veulent d’un Mali totalement libéré, laïc, vivant au rythme de la démocratie républicaine et ouvert sur le reste de l’Afrique et du monde. D’ailleurs, les irrédentistes voulaient-ils réellement la guerre ? En tout cas, les rebelles veulent aujourd’hui négocier car ils se sentent en danger. L’échec est d’autant plus patent que le fondamentalisme religieux prêché par Ançardine est totalement différent de celui, plus tolérant, humain et peu porté vers l’argent, qu’on connaît et pratique en Afrique Noire. Partout, c’est un islamisme borné qui s’effrite : au Nigéria, en Somalie, au Proche, Moyen et Extrême Orient. Non seulement les bailleurs de fonds du terrorisme ne sont plus aussi sereins, mais les prises d’otages rapportent moins en moins d’argent. Dans un contexte aussi difficile, comment ne pas profiter des dernières offres de négociation, ne serait-ce que pour gagner du temps ? Ainsi, on pourrait ralentir le déclenchement des opérations, le temps de se mettre à l’abri. Si le projet de la charia échoue, pourquoi se faire damer le pion par le MNLA ? Il est donc urgent de se repositionner dans la sphère politique malienne en redéfinition. Reste à savoir s’il n’est pas trop tard pour négocier, surtout que la patience a des limites, dit-on. Par ailleurs, comment croire qu’Ançardine renoncera à la charia pour se ranger du côté d’une République malienne laïque et indivisible ? Pourrait-il divorcer d’avec le MUJAO et combattre ses forces ? Aux éléments du mouvement de confirmer donc que le divorce est consommé, d’accepter de déposer les armes et de se constituer prisonniers. En fait, négocier ne signifie pas accepter l’impunité. Or dans le « placard » de ceux qui disent vouloir négocier aujourd’hui, il y a trop de crimes contre l’humanité et trop de contentieux à examiner : les morts, les amputés, les humiliés, les femmes violées, les profanations. Pourra-t-on jamais les oublier ? En tout cas, ils ne peuvent rester impunis et il ne faut donc pas se laisser divertir. La nouvelle position d’Ançardine et autres ressemble donc plus à une tentative de diversion qu’à une réelle volonté de paix. Par quelle tour de « prestidigitation » des intégristes du genre de ceux d’Ançardine et du MUJAO peuvent-ils se muer en démocrates ? Venir à la table de négociation suppose qu’on a choisi de renoncer à ses ambitions au profit de la démocratie. Or rien n’est moins sûr et l’expérience des « aller-retour » dans les négociations entre gouvernants et rébellions touarègues au Sahel est assez instructive. On ne peut donc prendre le risque de s’embourber dans des alliances sans lendemains. C’est pourquoi, le message doit demeurer clair, constant et ferme à l’endroit des islamistes : on ne négocie pas avec n’importe qui, et surtout pas à n’importe quelles conditions. En dehors de cette condition, pas de négociations. Mais au vu les propos et actes posés par ces individus (les rebelles), il y a de quoi être sceptique. On se demande d’ailleurs ce qu’on va négocier avec des gens qui veulent instaurer la charia à coups de machette. C’est quand même trop facile de lapider à mort des couples adultères, d’amputer des voleurs et de détruire des monuments historiques souvent classés au patrimoine mondial de l’UNESCO pour venir ensuite s’asseoir autour de la table de négociation où on se demandera même si l’eau qui est servie est « halal ». Même si la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens, l’idée de ceux qui s’accrochent désespérément à la négociation pour éviter d’en arriver aux armes serait de couper le cordon ombilical qui lie Iyad Ag Ghaly qui, lui, a le mérite d’être Malien, à l’émir AQMI, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, pour mieux isoler (et frapper ?) la filiale de la multinationale du terrorisme. Il faut seulement craindre que d’arrière-pensées en petits calculs, les différentes parties n’en viennent à s’entre-dribbler : d’un côté Alger et Ouaga, réputés conciliants, qui pourraient endormir l’ennemi par des négociations auxquelles personne ne croit alors que l’attaque du Nord est imminente, de l’autre les «Ançar-dinés» qui prennent de plus en plus au sérieux la menace et qui veulent juste jouer à la montre pour retarder l’échéance. Dans un cas comme dans l’autre, on perd inutilement du temps et mieux vaut charger que de se complaire dans un attentisme de mauvais aloi.
Jean Pierre James
Pourquoi ne pas négocier aussi avec les tueurs en série ? Avec les violeurs incorrigibles au lieu de les castrer chimiquement ? On capitule face à un coupeur de route en se faisant proprement rançonner, ou on va chercher la gendarmerie à la première occasion, si une gendarmerie il y a. Sinon négocier avec quelqu’un qui ne cherche qu’à t’humilier, te vexer, te violer voire te tuer à quelque de surréaliste. Parce que la politique du diviser pour régner n’a jamais rien donné jusque là. Personne n’a jamais vu ces criminels se faire réellement la guerre, juste de petites querelles de famille de temps à autre…
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