Comment comprendre que depuis janvier 2012 jusqu’à aujourd’hui, tout le monde ne parle que de l’intégrité territoriale du Mali, un et indivisible, et que des élections présidentielles soient programmées, alors que ni la question de Kidal, ni la situation des déplacés et des réfugiés ne sont réglées.
Depuis des semaines, on entend les uns et les autres déclarer que l’armée malienne entrera à Kidal, que rien ne pourra se faire sans que le Mali n’ait retrouvé l’ensemble de son territoire, et pourtant toutes les dates butoir qui avaient été successivement annoncées sont, aujourd’hui, largement dépassées.
Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, a affirmé à Gao, fin avril, qu’il «est évident qu’il ne peut pas y avoir deux armées maliennes. Mais, dans le cas précis, pour recouvrer l’intégrité territoriale de Kidal -si on peut utiliser ce terme- il faut le dialogue. Il n’y aura pas de partition du Mali. Il faut donc que le dialogue reprenne, le dialogue qui permet au Mali de recouvrer sa souveraineté dans le respect des uns et des autres». Et, en effet, à la stupéfaction générale, à Ouagadougou, celui que la Cédéao avait nommé médiateur dans la crise malienne accorde des entrevues à des délégations de tel et tel groupement armé en vue de les fédérer pour un accord de négociation pour la tenue des élections. Les Maliens au pays comme à l’extérieur et les amis du Mali ne comprennent ni l’attitude et les propos du gouvernement malien, ni ceux du gouvernement français, encore moins ceux tenus dans certains médias internationaux qui laissent toujours une place redoutable à ceux qui sèment volontairement la confusion entre ce que veulent réellement les populations du septentrion et les revendications du MNLA et autre groupement, qui s’arrogent même le droit de permettre ou non l’entrée dans la ville de Kidal à l’armée et l’administration, comme s’ils en étaient les dirigeants reconnus. Les nouvelles qui nous sont parvenues dimanche dernier en sont le triste exemple. Depuis des semaines, il n’y a plus que soupçon et supputation sur les véritables desseins des uns et des autres, et il y a de quoi !
Chaque Malienne, chaque Malien souhaiterait s’exprimer et faire en sorte que sa voix soit entendue, mais, au pays, l’état d’urgence, instauré le 12 janvier 2013 et prorogé en avril jusqu’au 6 juin, paralyse les élans de protestation de masse.
La semaine dernière, ceux qui étaient sortis le 5 août 2012, dans un ultime élan de protestation contre la première tentative d’amputation annoncée par le MUJAO, dont ils allaient ensuite subir la violence et l’oppression, les «jeunes de Gao» ont décidé qu’ils devaient faire entendre leurs voix, malgré tout. Ces groupements locaux sont nombreux et variés, mais ils ont le même objectif, l’avenir de toutes les populations du Nord. Dans tout mouvement social, au Mali comme ailleurs, il faut du temps pour organiser les choses et décider des slogans. Parfois, malgré les bonnes volontés, le consensus n’est pas atteint, ce qui n’empêche pas le mouvement d’avoir lieu. C’est ce dont nous avons tous été les témoins lointains, le 30 mai, place de l’Indépendance. Les mouvements de jeunes s’y sont regroupés, mais ils n’y étaient pas seuls, car la colère enflait depuis trop longtemps à Gao. Des femmes, des transporteurs, des taximen, des commerçants, des pêcheurs, des bouchers, des artisans et bien d’autres encore sont sortis avec eux. Ils voulaient tous faire savoir leur incompréhension, leur inquiétude, et leur sentiment d’abandon. Incompréhension de ce qui se passe à Kidal. Inquiétude car le flou qui persiste quant à l’intégrité du Mali pourrait rouvrir les portes de toutes les régions aux bandits armés. Sentiment d’être abandonnés, car même si «l’administration» est revenue, rien ne fonctionne mieux que du temps de l’occupation. Ni l’accès à l’électricité, ni celui à l’eau potable ne sont assurés. Ils craignent le choléra. Ils craignent pour la vie des enfants et des vieillards, particulièrement en cette période de chaleur accablante. Ils ne pouvaient et ne voulaient plus attendre pour l’exprimer au monde entier.
Comme dans toute manifestation sociale ou politique, les slogans sur les pancartes étaient variés. Certains avaient écrit «stop à la corruption» et d’autres «l’impunité est un poison social». Beaucoup de questions et de remarques étaient adressées aux autorités maliennes et à François Hollande, car les populations ne comprennent pas comment on peut envisager des élections sans que Kidal ne soit effectivement libérée de l’emprise du MNLA. Les «groupes armés de la vallée», choqués d’avoir été qualifiés de «folkloriques», ont redit qu’ils voulaient être enfin reconnus.
Ce meeting s’est bien passé, il n’y a eu aucun incident. L’autorisation officielle n’avait pas été accordée, mais chacun savait qu’il y allait de la crédibilité de la population de Gao. Donc, la volonté commune a été de suivre un des principes de l’Unesco qu’on pouvait lire sur une pancarte : «si les guerres prennent naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans la paix que doivent être élevées les défenses de la paix.»
La combativité des habitants de la Cité des Askia a une nouvelle fois fait l’admiration des autres Maliennes et Maliens qui leur ont exprimé leur soutien et leurs encouragements, reconnaissant souvent qu’eux-mêmes auraient dû en faire autant depuis longtemps.
Françoise WASSERVOGEL