Pourquoi les salafistes s’attaquent aux mausolées

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Vue d’une mosquée à Tombouctou © AFP

Cheikh Khaled Bentounes est membre de la Fraternité soufie alawiyya, et président honoraire de l’association internationale Les amis de l’islam.

Après avoir secoué le joug des dictatures et des pouvoirs autoritaires qui les gouvernaient sous l’oeil complaisant de l’Occident, les peuples arabo-musulmans se retrouvent confrontés à une prise en main par le courant néowahhabite qui fait de la religion islamique une idéologie servant à conquérir et à asseoir son pouvoir sur la société en la privant de sa liberté, chèrement acquise à la faveur du Printemps arabe.

Nous constatons aujourd’hui que, pour atteindre son but, le mouvement mondial de ce courant encourage, éduque et finance des groupuscules dits « salafistes », « jihadistes », etc. Pour réislamiser la société selon cette doctrine, ils utilisent la violence, la peur et la culpabilité au prétexte de lutter contre les innovations « archaïques » et « blasphématoires ». Le salafisme n’est en vérité que le cheval de Troie d’une pensée sur laquelle reposent les bases de régimes conservateurs qui craignent les effets d’une société démocratique garantissant les libertés fondamentales à ses citoyens, y compris la liberté des minorités, les droits de la femme et les convictions religieuses individuelles incompatibles avec leur credo.

La destruction des mausolées des saints au Mali, en Libye et en Tunisie, lieux d’enseignement, de recueillement et de mémoire respectés depuis des siècles, n’est que le prélude à une mise en condition pour enrégimenter la société et la priver de sa dignité et de ses droits fondamentaux afin de la ramener à « l’islam des origines ».

Quant aux accusations contre le soufisme, coupable à leurs yeux de magie et de charlatanisme, elles existent depuis le début de l’islam, colportées par ceux dont l’horizon borné se limite à leur propre chapelle ou par des théologiens au service d’écoles hostiles à cette pensée. Ainsi, du fait même de cet « affrontement », il s’est produit, dans le cadre de l’évolution de l’Histoire, une détérioration progressive du caractère universel et spirituel de l’islam. Cette détérioration ne touche pas bien sûr la Révélation en elle-même, mais ses formes d’expression religieuses.

Cette hostilité a par essence un caractère archaïque, dogmatique et obscurantiste, puisqu’elle pense réduire le message mohammedien à un conditionnement du croyant en fonction d’une logique sectaire et d’une pratique précaire vidée de la spiritualité, de la tolérance, de l’amour, de la raison qui contribuent à l’épanouissement d’une société. La Vérité ne peut être manipulée, tout simplement parce qu’elle englobe le tout, y compris sa propre manipulation. Autrefois, les débats entre écoles théologiques à Bagdad ou en Andalousie étaient libres et respectueux des points de vue différents, y compris celui des non-musulmans.

Ceux qui détruisent les symboles rappelant la mémoire de saints et de sages ayant oeuvré toute leur vie à enseigner aux êtres la paix, l’amour et l’unité de la communauté doivent méditer ce verset qui cite ces saints en exemples : « Non, vraiment, les Awliyâ [« amis »] de Dieu n’éprouveront plus aucune crainte, ils ne seront pas affligés. » (Coran X, 62). Quant aux responsables des États concernés par ces courants connus pour leur violence et leur ignorance des règles fondamentales de l’islam, ils doivent méditer cet autre verset : « Nulle contrainte en religion ! » (Coran II, 256). Mais adopter avec les néowahhabites une pédagogie fondée sur le dialogue et l’apprentissage de la tolérance est vain. Que les dirigeants prennent leurs responsabilités et fassent respecter l’État de droit en protégeant leurs concitoyens, quelles que soient leurs convictions. Que les organismes internationaux, islamiques ou non, ainsi que les intellectuels et les religieux honnêtes dénoncent cette profanation des lieux saints et la volonté délibérée de certains États de cautionner les « fatwas » appelant à leur destruction et au meurtre de ceux et celles qui ne partagent pas leur avis.

Quant à la société civile, qui semble tétanisée par ce phénomène, il lui appartient plus que jamais de démontrer aux siens comme au reste du monde que l’islam humaniste, spirituel et sociétal est compatible avec la modernité et les droits de l’homme. Étant entendu que l’humanité ne connaîtra ni paix ni stabilité sans la participation des musulmans à la construction d’un avenir meilleur pour tous. « Voici quels sont les serviteurs du Miséricordieux : ceux qui marchent humblement sur la terre et qui disent “Paix” aux ignorants qui s’adressent à eux. » (Coran XXV, 63).
13/11/2012 à 17h:24 Par Cheikh Khaled Bentounes /Jeuneafrique.com

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