Zone aéroportuaire: D’une zone «d’utilité publique» à une zone à usage d’habitation

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Zone aéroportuaire: D’une zone «d’utilité publique» à une zone à usage d’habitation
Kidalbougou face à Toguna

Le domaine aéroportuaire de Bamako Sénou est classé depuis février 1995 «domaine à caractère d’utilité publique». Par conséquent, «inaccessible» et «inaliénable» selon le Code domanial et foncier du Mali. Pourtant, d’attribution en attribution, des concessions surgissent dans de la zone aéroportuaire.

Maliweb.net- Des centres de formation en béton armé, des dépôts de carburant, des usines, des entrepôts de stockage de matériels en tous genres, des bases militaires dont celle de la mission de l’ONU, des bâtiments de l’administration publique ou encore des villages créés de toutes pièces. La Zone aéroportuaire de Bamako-Sénou est devenue, en 23 ans, la cible privilégiée des prédateurs fonciers. Cet espace de 7194 ha cristallise, à lui seul, toute la controverse dans le foncier au Mali.

Comment en est-on arrivé là ?

Nous sommes en 1995. Sur décret gouvernemental, sept bulldozers débarquent sur le site défini pour abriter l’aéroport international de Bamako. Niamakoro – Diallobougou, un village à la périphérie de Bamako n’a pas été épargné. «Ce jour-là, j’ai vu des malades alités transportés de leur maison pour démolition. J’ai tout perdu et  mes enfants ont quitté l’école, se souvient Sénoumou Samaké. C’était à quelques jours de la fête de Tabaski.» Dans la vague de protestation, 69 personnes ont été arrêtées et jetées en prison pendant six mois. C’est le début d’une gestion opaque de cet espace à caractère «d’utilité publique.»

Zone aéroportuaire: D’une zone «d’utilité publique» à une zone à usage d’habitation
Base militaire de la Minusma située dans la même zone

Huit ans plus tard, le 6 mars 2002, sous l’impulsion de l’économiste Bouaré Fily Sissoko alors ministres des Domaines et des Affaires foncières, le décret n°02 – 111 est adopté. Le texte confère au ministère des Domaines, la gestion des domaines publics de l’Etat. Son article 5 stipule que pour des raisons économiques «les terrains nus ou mis en valeur du domaine public immobilier de l’Etat peuvent faire l’objet d’occupation». Selon le texte, l’occupation temporaire du domaine public de l’Etat donne lieu à la perception d’une redevance annuelle. Le montant de cette redevance fixé de gré à gré en fonction de la superficie. Cependant, le texte se veut méfiant. Son article 12 précise que «le droit d’occupation est temporaire et révocable à tout moment». L’article suivant durcit: «l’occupant temporaire ne peut réaliser sur le terrain concerné que des investissements démontables»

Zone aéroportuaire: D’une zone «d’utilité publique» à une zone à usage d’habitation
Le chantier du centre de formation offert par le Qatar

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Le contenu des textes est clair mais la réalité sur le terrain est tout autre. Nous avons donc demandé à l’Agence nationale de l’Aviation civile (ANAC), organisme chargé de la protection du domaine aéroportuaire, ce qu’elle fait réellement contre ce phénomène. «Beaucoup», assure un agent de l’ANAC qui requiert l’anonymat. «C’est une question trop sensible», indique-t-il. Pour témoigner des actions de son agence, notre interlocuteur sort de ses tiroirs plusieurs correspondances adressées aux autorités de tutelle. La dernière concerne la demande d’installation d’une centrale de l’Energie du Mali (EDM Sa). Dans cette correspondance, Oumar Mamadou Ba, directeur de l’ANAC, évoque à sa hiérarchie «une installation à haut risque pour la sécurité de la navigation aérienne».

De l’ANAC, nous repartirons avec un compte rendu de réunion. On peut y lire que le 19 octobre 2012, les structures en charge du domaine aéroportuaire se sont réunies «pour mieux discuter et analyser» la demande d’installation d’une raffinerie d’or dans la zone aéroportuaire. Il est également mentionné dans le document que le représentant de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) «a fait savoir ses préoccupations qui sont d’ordre sécuritaire par rapport aux mouvements des aéronefs (le positionnement des obstacles, leur hauteur hors sol et les fréquences utilisées)».

La poule aux œufs d’or…

Face à l’impuissance ‘’avouée’’ de l’ANAC, nous nous sommes intéressés aux dossiers d’attribution de certaines parcelles. Le constat est effarant. Ainsi, dans la seule semaine du 21 juin au 02 juillet 2013 alors que David Sagara est ministre des Domaines, huit (08) arrêtés d’attribution de parcelles dans la zone aéroportuaire ont été signés pour une superficie totale de 60 hectares. Pourtant, de la définition de la zone en 1995 à décembre 2012, seules trois espaces y avaient été accordés pour une superficie totale de 21 hectares. Le putsch militaire de mars 2012 et le disfonctionnement administratif pendant la transition qui a suivi ont favorisé beaucoup d’opérations peu transparentes.

Le 05 avril 2014, Moussa Mara est nommé Premier ministre. L’ancien ministre de l’Urbanisme et des Politiques de la ville veut assainir le secteur foncier tout comme Mohamed Ali BATHILY, actuel ministre des Domaines mais à l’époque ministre de la Justice. Les résultats ne se feront pas attendre. En août 2014, David Sagara est interpellé et placé en détention au Pôle économique de Bamako. Deux hauts fonctionnaires de l’Etat sont, eux aussi, placés en détention. L’industriel Seydou Nantoumè, PDG de TOGUNA SA,  sera lui aussi interpellé. Mais il sera libéré, très vite, au bout de quelques heures d’interrogation seulement. En gros, les uns et les autres sont accusés d’avoir «vendu» ou «acheté» des parcelles dans la zone aéroportuaire.

De la gestion de la zone aéroportuaire, des pressions viennent parfois de très haut. En témoigne, l’attribution d’une parcelle à la Raffinerie d’or Kankou Moussa. Dans une correspondance en février 2013, dont nous avons copie, le président de la République, Pr Dioncounda Traoré, à l’époque, ordonne au Premier ministre de «bien vouloir prendre les dispositions nécessaires pour diligenter… l’installation de la raffinerie d’or Kankou Moussa sur le site aéroportuaire». Une semaine plus tard, le 13 février le Premier ministre, à son tour, transmet le message au ministre des Domaines et à son homologue des Transports. La suite, on la connait: le 1er mars, le président Traoré pose la première pierre de la Raffinerie Kankou Moussa.

L’occupation anarchique du domaine aéroportuaire ne s’est pas arrêtée avec la transition. Sans doute, avec des précédents, les choses étaient devenues plus simples. Ainsi, le 08 mai 2014, le ministre des Domaines Tièman Hubert Coulibaly envoie une correspondance à la directrice nationale des Domaines pour l’attribution «d’un terrain de 15 000 m2 pour abriter le Centre de formation professionnelle que le Qatar veut réaliser pour le Mali». Dans sa réponse cachetée «confidentiel», la directrice Sy Awa Diallo indique au ministre que l’attribution de la zone aéroportuaire, classée selon le Décret n°99-252/P-RM du 15 septembre 1999 domaine à «caractère d’utilité publique», requiert l’avis du ministère des Transports. Nous n’avons pu vérifier si cela a été fait, en tout cas, le bâtiment en béton armé, est en chantier.

«Si j’étais président de la République, je casserai tout»

Depuis quelques mois, un village pousse des terres dans la zone aéroportuaire, en face des usines de Toguna SA. La presse le surnomme Kidalbougou (le village de Kidal), en référence à son attribution à des dignitaires de Kidal à Bamako. L’ordre d’installation, selon des indiscrétions serait venu de Koulouba. Cependant, les documents (bulletins) que nous sommes amenés à voir, sont signés du maire du district de Bamako.

Pour Aly Waïgalo, président de l’Ordre des géomètres experts du Mali, quiconque autorise l’installation de ce village opère dans l’illégalité. «En 1995, ils ont démoli les maisons des Maliens pour cause de zone aéroportuaire», s’indigne l’expert des questions foncières.  Et d’ajouter, non sans humour: «si j’étais président de la République, je casserai tout ça. Mais puisse que ça n’arrivera pas».

De l’arrêté d’installation de Kidalbougou, nous n’en avons pas trouvé de trace. Et nous aurions voulu poser la question au ministre des Domaines. Mais le ministre Mohamed Ali Bathilly, «en préparatif» pour la Mecque, au moment de notre passage n’a pas pu nous accorder d’audiences. A son absence, son secrétaire général refuse de discuter du sujet. Il ne reste  plus qu’à espérer que son retour du lieu Saint de l’Islam puisse insuffler au ministre Bathily la baraka nécessaire pour une gestion saine de la zone aéroportuaire. Car, les déguerpis de Niamakoro – diallobougou,  ne décolèrent pas.

Mamadou TOGOLA/Maliweb.net

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2 COMMENTAIRES

  1. Tout le monde sait qui délivre les documents des parcelles et les autorités ne disent rien. Anarchie totale et Bathily ne fait que parler

  2. Ne vous en faites pas, tout sera cassé au moment venu. N’oublions pas le cas du Parking des camions à Banakanbougou et bien d’autres. Laisser mouton courir, Tabaski viendra. La raison d’Etat est toujours la plus forte. A bon entendeur salut.

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