Depuis quelques années, on assiste à la création des agences immobilières qui poussent comme du champignon, à telle enseigne qu’on a tendance à utiliser le terme « prolifération » des agences immobilières au Mali. Conséquence, ces structures constituent des couvertures pour des spéculateurs et prédateurs fonciers afin de faire mains basses sur la terre. Les responsables de ces agences procèdent à des manœuvres dilatoires consistant à escroquer les citoyens et les soutirer de l’argent. L’Etat assiste complice à cette situation sans exprimer une réelle volonté d’agir contre ce fléau. Face à cette situation, votre hebdomadaire a enquêté pour voir clair et situer les rôles des uns et des autres dans la gestion des terres au Mali.
Dans le contexte actuel de notre pays, le domaine foncier est devenu la ruée de tous. Chacun y veut sa part de parcelles. En réalité, selon le code domanial et foncier, la mission des agences immobilières est de gérer les morcellements de terrain, l’achat, la vente et la construction des bâtiments, le courtage des dossiers, le traitement des plans de construction, les forages, la gestion des locations pour les propriétaires de bâtiments à usage d’habitation ou de bureau, pour ne citer que ceux-ci. Aujourd’hui, force est de constater que large liberté accordée par l’Etat aux agences immobilières sur le point de se transformer en cauchemar pour les populations en raison des déboires qui y sont légions. En effet, aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une agence immobilière spolier tout un village de toutes ses terres.
C’est évident, le foncier fait partie de la vie du Malien, pour la simple raison que tout le monde veut un toit. Dans le rapport annuel 2016 du Médiateur de la République, 56 dossiers sur les 171 réclamations concernent les litiges liés aux affaires domaniales et foncières et constituent depuis des années le premier rang des préoccupations des citoyens.
Dans la pratique, il est très rare d’obtenir un titre foncier ou de parler du foncier sans toucher au moins à un démembrement des agences immobilières, par exemple, le géomètre ou le topographe, qui sont généralement des employés ou collaborateurs directs des agences immobilières. « Au Mali, on ne peut parler d’affaires domaniales et foncières sans pointer du doigt les agences immobilières. Elles sont parties intégrantes dans ce domaine », nous affirme un cadre de la direction nationale des domaines qui a souhaité garder l’anonymat pour la raison que les cadres de cette direction ont des amis dans le monde des agences immobilières. D’après nos investigations, contrairement à ce que pensent bons nombres de citoyens qui entretiennent une certaine méfiance, le secteur est bien réglementé. N’est pas agent immobilier qui le veut. Il faut des préalables.
Selon notre interlocuteur à la direction nationale des domaines et des affaires foncières, sur la base du code domanial, l’exercice de ce métier est conditionné à l’obtention d’un agrément, autrement dit l’autorisation de mener des opérations foncières précitées. Ce qui signifie que les centaines d’agences immobilières qui existent aujourd’hui au Mali doivent avoir leur agrément. Sur la question, nous avons rencontré Salia Daniel Fomba, de Z-Immobilière SARL au quartier de Médine, avec à sa tête Aboubacar Traoré dit Zerbo. Fomba a bien voulu répondre à nos questions. A l’en croire, «d’abord, il faut savoir que n’importe qui ne peut se lever comme ça pour dire qu’il est agent immobilier. Il faut différencier les agents immobiliers des spéculateurs communément appelés des «coxeurs». Depuis 2008, nous avons l’agrément. En tant que structure commerciale, nous avons des obligations. Il y a des impôts et taxes à payer au risque de voir ses dossiers rejetés au niveau des services des domaines. Il faut aussi assurer la sécurité sociale des agents, c’est-à-dire les inscrire à l’INPS. Sur le terrain, nous sommes souvent confrontés à des problèmes de délimitation qui font que les propriétaires de titre fonciers pendant le morcellement nous induisent dans l’erreur. Cela crée souvent des litiges. Ce qui rend difficile l’approbation des plans au niveau de l’Urbanisme. L’autre problème, c’est les géomètres et des spéculateurs. Souvent des géomètres nous mettent dans l’erreur. Au Mali, je pense que le vrai problème des agences immobilières, c’est le manque de ressources propres pour réaliser ses projets. C’est le manque de financement. Une agence immobilière, par vocation, c’est surtout de construire des maisons, sous forme de cité et les vendre. Les banques sont très réticentes à investir dans ce domaine. Il leur faut des garanties solides. Pour assainir le milieu, seul les services compétents des domaines peuvent le faire».
S’agissant de la hausse du prix des loyers au Mali, les agences immobilières sont également pointées du doigt pour être les responsables de cette situation. En effet, aujourd’hui, le loyer coûte de plus en plus cher au Mali, notamment à Bamako. Sur cette question, selon Lassine Diallo, gérant de l’agence immobilière, Express Services, détenteur de son agrément depuis 2014, les agences rencontrent beaucoup de difficultés avec les propriétaires de maison : « ils n’ont pas besoin de savoir si un locataire est à jour ou pas. Comme le contrat l’exige, nous sommes souvent obligés de payer à la place des locataires qui sont souvent en retard. Si tu n’as pas des ressources solides, c’est difficile. Faire expulser le locataire n’est pas toujours une bonne option. Nous sommes dans un pays où le social compte beaucoup. Ceux qui pensent que les agences ne font que ramasser des sous, qu’ils se détrompent. Souvent nous perdons, sans oublier la mauvaise foi de certains locataires. Quant aux flambées des prix des locations, cela ne dépend pas de nous. Nous gérons en fonction du prix fixé par le propriétaire. A ce niveau, il appartient au ministère du commerce de prendre ses responsabilités pour uniformiser les prix. Dans un passé récent, on a vu des réactions par rapport à ce sujet ».
Selon le chef d’antenne de l’Afrique Immobilière et Commerce Générale(AICG) depuis 2013 de Magnambougou, Soumaïla Samaké, la prolifération des agences immobilières est le reflet même de la société malienne, de notre environnement. « Si je ne me trompe pas, je pense que c’est en 2008 que nous avons eu l’agrément. Ce phénomène se justifie par le fait qu’avec l’agrandissement des villes, il y a un fort besoin de construire les maisons pour faire loger les gens. Le Malien a pris goût au foncier. Ceux qui sont très riches ont compris que cela fait du profit. Ces riches qui ont beaucoup de maisons les confie aux agences pour ne pas à faire directement avec les locataires. C’est pourquoi, les agences aussi se multiplient pour s’occuper de la gestion de ces maisons et mener d’autres activités domaniales comme le morcellement, le courtage des dossiers ». Il a conclu en signalant que les agences doivent se donner la main pour assainir le secteur qui devient de plus en plus à la merci de tous.
De ce qui précède, pour la sécurité foncière, il est indispensable que le département des domaines et des affaires foncières veille sur les agences immobilières comme du lait sur le feu. Car toutes ne sont pas crédibles.
Jean Goïta