Le ministre Bathily peut continuer de reformer à satiété, mais, les auspices du renouveau dans le secteur de la justice ne sont aucunement perceptibles. Dans le milieu judiciaire malien, les mauvaises habitudes ont la vie très dure. A coup sûr, la juridiction de Ouélessébougou n’échappe pas à cette vérité implacable.
Dans notre article, intitulé “Différend foncier entre Makono et Dangassa : le juge de paix de Ouélessébougou soupçonné de partialité” paru dans notre édition n°84 du vendredi 11 juillet dernier, nous avions fait la genèse du différend, qui remonte aux années 1960 et le début des années 1970. Nous avons réussi à nous procurer de la copie du compte rendu de règlement par voie administrative de la crise entre les deux villages, adressé par le Chef d’Arrondissement de Ouélessébougou au commandant de cercle de Bamako, dont il relevait en date du 28 mai 1972. Il ressort de cette correspondance ainsi libellée :
” Monsieur le Commandant j’ai l’honneur de vous rendre compte que le Chef d’Arrondissement de Sanankoroba et moi même avons procédé à la matérialisation de la limite de nos Arrondissements entre les villages de Dangassa (Arrondissement de Ouélessébougou) et de Makono (Arrondissement de Sanankoroba) le mercredi 24 mai 1972. Cette limite part du point déjà marqué sur la piste en face du grand arbre “Lingué” entre Dangassa et Makono par A.B. Travelé, précédemment Chef d’Arrondissement de Sanankoroba, pour se diriger tout droit par le côté Est du “Kouakourou” et elle continue tout droit pour aboutir au fleuve. Les travaux ont été exécutés en présence du chef de village et des conseillers de Makono. Quant aux conseillers de Dangassa, leur délégation était composée de deux membres et ceux-ci ont refusé d’assister aux travaux en signe de désapprobation de cette limite.
Le champ du nommé Lamine Sinaba se trouve entièrement sur le côté est de cette limite, dans la zone du village de Makono. Nous avons notifié de vive voix à Lamine Sinaba le retrait de son champ, afin d’éviter que cela ne devienne une source de quelconque tension entre Dangassa et Makono.
Les arbres fruitiers (23 manguiers et 2 orangers) lui seront remboursés après évaluation par les chefs Z.E.R. du Nanguila et de Touréla. Quand aux conseillers de Dangassa, ils ont été convoqués à mon Bureau le dimanche 28 mai 1972, où je leur ai fait la mise en garde dans les termes les plus rigoureux. Ils ont promis qu’ils ne feront rien qui puisse ouvrir un conflit entre leur village et Makono”.
Selon nos sources, Lamine Sinaba et les siens ont refusé de prendre l’argent en son temps. Relatif à la valeur des arbres fruitiers.
Mais, la correspondance, qui comporte une double signature a été respectivement paraphée par les Chefs d’Arrondissement de Ouélessébougou, le sergent chef Sékou Sidibé, le 28 mai 1972 et de Sanankoroba, Tidiane Tambadou, le 15 juin 1972. Une copie conforme à l’originale a été transmise au Chef de village de Makono pour valoir décision.
C’est fort de cette décision administrative que l’actuel chef de village de Makono, Madou Doumbia, représenté par Minamba Doumbia, tous deux cultivateurs domiciliés dans le dit village et ayant pour conseil maître Mamadou Bouaré, avocat, à la Cour, a déposé au près du Tribunal de Ouélessébougou, le 30 avril 2013, une requête de confirmation de droit de propriété sur une parcelle située entre son village et celui de Dangassa, convoitée par Tamba Sinaba, infirmier à la retraite, domicilié au Badialan à Bamako, représentant les ayants droits de feu Lamine Sinaba avec comme conseil, Me Ibrahim Marouf Sacko.
Par exploit de maître Aliou Kéïta, huissier de justice, en date du 6 mai 2013, le défendeur (le représentant de Madou Doumbia et leur conseil) a été cité à comparaître à l’audience du 23 mai 2013. A cette date l’affaire fut successivement renvoyée au 6 juin 2013; 20 juin 2013, où une expertise de la terre litigieuse fut ordonnée, et le dépôt du rapport d’expertise fixé au 1er août 2013. Puis l’affaire a été renvoyée à nouveau successivement au 12 septembre 2013 ; au 24 octobre 2013 ; au 21 novembre 2013 ; au 30 janvier 2014 ; au 27 février 2014 ; au 13 mars 2014 ; 27 mars 2014 ; au 10 avril 2014 ; où elle sera mise en délibérée pour le 8 mai 2014 ; délibérée prorogée au 22 mai 2014. C’est au cours de cette incessante aller et retour que par requête en date du 3 juillet 2013, reçue au cabinet du juge le 5 juillet 2013, suivie de son ordonnance, sur requête n°oo1, le village de Dangassa, représenté par son chef de village, SiraTambaSinaba se porta intervenant volontaire. C’est le retour au scénario des années 60 où tout le village avait pris fait et cause aux côtés des leurs, Lamine Sinaba, contre ses oncles de Makono, dont les seuls torts ont été de céder à la demande de leur sœur un lopin de terre à leur neveu en faillite pour qu’il ait de quoi à nourrir son petit foyer. N’est-ce pas que de telle attitude fait réfléchir par deux fois quelqu’un qui veut du bien pour son prochain ? En tout cas le bon sens veut qu’on ne remercie pas quelqu’un qui te fait du bien de cette façon.
Aussi, les moyens de défense des parties pour soutenir leurs prétentions, reprennent textuellement les éléments cités dans la décision du Chef d’Arrondissement de Ouélessébougou.
“…Ceci sous-entend que la parcelle prêtée à Lamine Sinaba faisant partie de Makono ; qu’il avait été promis, sans succès le remboursement des arbres fruitiers plantés par lui; que d’ailleurs les héritiers de feu Lamine Sinaba ignorent la superficie exacte de la parcelle litigieuse, car ayant produit des documents où ils réclament tantôt 18 ha, tantôt 22 ha avec des dates différentes pour les deux documents ; que tout porte à croire qu’il s’agit de manipulation de documents ; qu’il met le défendeur au défi d’apporter l’original de ces documents datant de 1971 ; que les limites au parcelle litigieuse ne sont indiquées ni dans les conclusions du défendeur, ni dans les documents produits ; que pourtant cette zone située à la lisière des deux villages avoisine de 60 ha limitée au nord par la colline de “Kouyakourou” et le fleuve, au sud par un grand arbre “Lingué” et une piste allant de Makono à Dangassa, à l’est par le village de Makono et un vaste champ de riz, à l’ouest par le village de Dangassa ; que de tout ce qui précède, il ressort que la parcelle litigieuse est la propriété du village de Makono qui la réclame depuis 1972, année de la délimitation entre les deux villages ; que de 1972 à 2010, année de la réclamation ouverte de la parcelle par les héritiers de feu Lamine Sinaba, ceux-ci n’y ont pas exercé aucune emprise évidente et permanente au sens des article 43 et 45 du Code domanial et foncier (CDF), qui stipulent respectivement que “les droits coutumiers exercés collectivement ou individuellement sur les terres non immatriculées sont confirmés. Nul individu, nulle collectivité, ne peut être contraint de céder ses droits si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnisation. Nul ne peut en faire un usage prohibé par les lois ou par les règlements.” et “Les droits coutumiers individuels ainsi constatés, quand ils comportent emprise évidente et permanente sur le sol se traduisant par des constructions ou une mise en valeur régulière sauf, le cas échéant, interruptions justifiées par les modes de culture, peuvent être grevées de droits nouveaux ou concédés au profit de tous tiers. Dans ce cas, le nouveau concessionnaire est tenu de requérir et sans délai l’immatriculation de l’immeuble.Les droits ainsi constatés lorsqu’ils comportent emprise évidente et permanente sur le sol peuvent également être transformés en droit de propriété au profit de leur titulaire qui requiert à cet effet leur immatriculation.” ; que la parcelle fait partie du terroir de Makono qui y a naturellement un droit coutumier la dessus au sens de l’article 43 cité dessus ; que ses (celles de Madou Doumbia) allégations, notamment celles consistant à dire que la zone litigieuse se situe dans le village de Makono, même si elle semble être dans la zone limitrophe des deux villages, est corroborée par les données du rapport d’expertise qui précise que : “selon les données topographiques, la zone litigieuse est plus proche de Makono (1467 m) que de Dangassa (1728 m) ….) ; que l’expert lui-même renvoie au document signé des deux Chefs d’Arrondissement (Sanankoroba et Ouélessébougou) en 1972 et qui donne la limite entre les villages de Dangassa et de Makono ; qu’il apparaît donc à la lecture de ce rapport d’expertise du Chef de Service Local du Génie Rural de Kati, en date du 20 décembre 2013 qu’il y a une concordance de vue entre les termes de ce rapport d’expertise et le contenu de la correspondance du Chef d’Arrondissement de Ouélessébougou du 28 mai 1972 ; que devant cette réalité, le tribunal est tenu de confirmer les droits fonciers coutumiers de Makono sur la dite-parcelle.
Mais, en dépit de cette confirmation, grande fut la surprise du plaignant Madou Doumbia et les siens d’apprendre au terme de l’imbroglio judiciaire qu’ils ont été déboutés de leur demande et la confirmation des droits fonciers coutumiers de feu Lamine Sinaba sur la parcelle querellée au sens de l’article 43 du CDF.
Nous reviendrons sur les motifs qui fondent la décision du juge.
(Affaire à suivre toujours).
Mohamed A. Diakité