La loi récemment adoptée par l’Assemblée nationale sous l’instigation de l’honorable Me Hamidou Diabaté « pour donner plus de garantie au titre foncier » suscite une vive polémique au sein des tribunaux administratifs qui se croient désormais être « dépouillés de leur pouvoir au profit du juge judiciaire ». En attendant l’application du nouveau texte promulgué le 10 janvier dernier par le président de la République, les deux camps livrent leurs arguments pour justifier leurs prises de position respectives.
L’Assemblée nationale a délibéré et adopté en sa séance du 15 décembre 2011, une loi portant modification de l’ordonnance N°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier modifiée et ratifiée par la loi N°02-008 du 12 février 2002. Le texte a été promulgué le 10 janvier par le président de la République.
A peine, la loi est déjà au centre de la polémique. Des magistrats administratifs ne voient pas d’un bon œil ce nouveau texte dans la gestion des contentieux fonciers dans notre pays. Ils expliquent que la nouvelle loi les dépouille de leur pouvoir au profit du juge judiciaire parce qu’elle stipule que « le contentieux relatif à la cession des titres fonciers de l’Etat est soumis exclusivement à la compétence des tribunaux judiciaires ». Or, auparavant, lorsqu’il y avait contentieux entre détenteur d’un titre précaire (lettre d’attribution, concession rurale, permis d’occuper , droit coutumier ou titre provisoire), la question était tranchée au niveau du tribunal administratif.
L’honorable se défend
Mais pour l’honorable Hamidou Diabaté, initiateur de ladite loi et surtout ancien magistrat durant 17 ans, la cession des terrains du domaine privé immobilier de l’Etat, qu’il s’agisse d’une cession entre l’Etat et les particuliers ou entre particuliers seuls, procède du droit commun de la vente et relève en conséquence des règles du droit privé. Il indique que lorsqu’il y avait contentieux entre un titre précaire et un titre foncier, le juge administratif, par le fait que le titre précaire est un acte administratif, se prévalait de cette donne pour s’adjuger la compétence de juger. « De ce fait, s’il constatait que le titre précaire (lettre d’attribution, permis d’occuper…..), était plus vieux que le titre foncier, il se permettait d’annuler l’acte de vente du titre foncier qu’il considérait comme un acte administratif. Ce qui, par voie de conséquence, annulait le titre foncier en question. Cette situation donnait donc une primauté du titre précaire sur le titre foncier ».
Me Hamidou Diabaté pense que la nouvelle loi contribue à donner plus de garantie au titre foncier, lequel est inattaquable comme admis depuis par le passé. « Maintenant, lorsqu’il y a contentieux entre un propriétaire de lettre d’attribution, permis d’occuper ou autre titre précaire et un détenteur de titre foncier, c’est le juge civil qui est compétent pour trancher. Lorsque le détenteur du titre précaire s’estime lésé, il appartient à l’Etat de l’indemniser par rapport aux préjudices subis », a expliqué le député Diabaté, lequel dit comprendre la préoccupation des juges administratifs. « Les gens sont jaloux de leurs pouvoirs, mais on ne doit pas faire entorse à la loi.», conclut-il.
La réplique d’un juge administratif
Selon un juge administratif que nous avons rencontré avant-hier au tribunal administratif, « ces arguments de l’honorable Diabaté ne tiennent pas la route ». Il explique que c’est le juge administratif qui est compétent pour l’appréciation des actes administratifs.
« Dans le cas précis, l’acte de vente d’un titre foncier est un acte administratif que l’honorable Diabaté confond avec la cession de droit commun. C’est un acte administratif dans la mesure où il n’y a pas d’égalité entre les parties (Etat et le particulier) d’autant plus que l’Etat impose sa volonté, ses conditions à l’acheteur. Il y a donc des clauses et l’Etat peut même résilier le contrat s’il le veut. Ce qui n’existe pas dans la vente privée. Son caractère administratif est légitimé par le fait que l’Etat même opte pour la voie administrative au lieu de la voie notarienne, qui révèle justement de la compétence du juge civil. C’est donc encourager la spéculation foncière dans notre pays. On sait comment s’acquièrent les titres fonciers au Mali. Notre administration n’est pas sérieuse. Ceux qui délivrent les titres fonciers peuvent ne pas se donner la peine de suivre la procédure normale que requiert l’immatriculation du titre, et à l’insu du détenteur du titre précaire, un riche peut se lever un beau matin pour acquérir un titre foncier dans un bureau sur le domaine d’un pauvre ayant une lettre d’attribution depuis 50 ans. Et puisque le titre foncier n’est plus attaquable, lorsque l’affaire est portée devant le juge civil, ce dernier tranchera immédiatement en faveur du titre foncier. Ça fait que l’acte de cession n’est plus sous contrôle. C’est le droit des pauvres qui est compromis au profit des riches parce que tout le monde n’a pas les moyens de se faire un titre foncier. Et les riches pourront allègrement en abuser quand on sait qu’on n’a pas une administration sérieuse », explique notre interlocuteur. Et la nouvelle loi ne fait que commencer à faire parler d’elle, assure-t-on dans les tribunaux.
Abdoulaye Diakité