La tension est retombée comme en atteste la reprise, hier, des travaux de clôture du terrain que se disputent un opérateur économique et les jeunes du quartier.
Les litiges fonciers sont des hydres à plusieurs têtes et à vies multiples. Et quand la jeunesse est partie prenante à un de ces conflits, l”affaire peut prendre une ampleur insoupçonnée. On se souvient ainsi qu”une des affaires les plus retentissantes de ces dernières années avait opposé les jeunes de Bozola à la CMDT sur le terrain appelé "Poussière rouge".
Le quartier Badalabougou connaît aujourd”hui un conflit similaire. Ici les protagonistes sont les jeunes du quartier et l”homme d”affaires, Babou Yara. L”objet du litige : un espace situé près du marché de Badalabougou et qui sert depuis des décennies de terrain de football aux jeunes du secteur. La tension est brusquement montée mardi quand ceux-ci ont décidé de marcher sur la mairie de la commune pour manifester leur mécontentement.
Comment expliquer cette poussée de fièvre ? Mme Sissoko Fanta Matchini Diarra, député élue en Commune V (circonscription dont fait partie Badalabougou), a acquis un financement pour faire clôturer le terrain de football comme cela est entré dans les usages. L”initiative a naturellement enthousiasmé les jeunes de Badalabougou, à commencer par les responsables de la commission sportive du quartier.
LE "SOTRAMA" FOU
L”entrepreneur commis à la tâche a entamé les travaux. Mais voilà une semaine, les habitants de Badalabougou assistèrent surpris à l”arrêt du chantier. Ils apprendront par la suite que l”opérateur économique Babou Yara (lui-même habitant du quartier) s”était opposé au projet. Il se serait plaint auprès des autorités municipales et du gouverneur du District, lequel aurait alors intimé l”ordre à l”entrepreneur d”arrêter les travaux, en attendant de clarifier la situation.
Cette décision n”a, évidemment, pas fait plaisir aux jeunes. Déterminés eux aussi à tirer au clair cette affaire, ils s”enflammèrent et organisèrent une marche de protestation qui a failli tourner au drame. En effet, au moment où les marcheurs se dirigeaient vers la mairie de Commune V, un "Sotrama" fonça droit sur eux et heurta un jeune marcheur qui sera transporté à l”hôpital Gabriel Touré. Entre temps, les manifestants avaient sérieusement molesté l”imprudent conducteur qui n”échappera au lynchage qu”en se réfugiant dans une concession après en avoir escaladé le mur d”enceinte.
Parvenus à la mairie, les marcheurs ont été reçus par le maire de la Commune V, Demba Fané, qui a pu les calmer en multipliant les apaisements. Le maire donnera 50 000 Fcfa pour assurer les premiers soins et les examens radiographies que devaient subir le jeune marcheur fauché par le minibus.
Cette attitude conciliatrice de l”édile était destinée à apaiser le climat. C”est vrai, Babou Yara dispose d”un titre sur la zone, admet le maire. Mais, relève-t-il, "en matière de foncier, lorsque vous achetez un terrain sur lequel il y a des équipements marchands ou sportifs, vous ne pouvez pas en disposer, car ceux-ci appartiennent à la collectivité".
"Il appartient à la Sema de trouver une compensation pour l”opérateur. Nous sommes prêts, si cela est nécessaire, à l”aider dans ce sens, car il reste après tout un citoyen malien et un habitant de la commune", tempère le maire, en soulignant que la clôture du terrain de football va dans l”intérêt de la jeunesse, donc de la collectivité.
Les autorités municipales estiment donc que l”usage fait de l”espace est fait un bien de la collectivité. Demba Fané aurait d”ailleurs rencontré Babou Yarra pour lui expliquer ce point de vue. "Pour moi l”incident est clos puisque les choses sont claires", estime le maire.
La commission sportive de Badalabougou se dit satisfaite à moitié car les travaux ont repris depuis hier. Le président de la commission, Oumar Dembélé dit "Ken", estime toutefois qu”il faut trouver une solution définitive au litige qui persisterait depuis 1983 et qui rebondit à intervalles plus ou moins réguliers.
Oumar Dembélé veut que le terrain soit définitivement attribué à la jeunesse et cela sur la base de documents officiels. "On a seulement l”accord verbal de la mairie. Ce n”est pas totalement rassurant", souligne-t-il. Même s”il se dit partisan de la non violence, il avertit que dans certaines circonstances, on ne peut pas contenir la colère populaire, surtout celle des jeunes.
Babou Yara que nous avons rencontré, n”a pas voulu faire de commentaire. "Si vous voulez avoir des informations, il faut aller à la Sema", a-t-il lâché laconiquement.
EN COMPENSATION ?
Selon des informations recueillies dans le quartier, l”homme d”affaires avait acheté une parcelle avec la Sema à Badalabougou-Sema. Ce terrain qu”occupent actuellement des vendeurs de chaussures est situé en face de la pâtisserie Amandine. Quand l”opérateur économique a voulu construire là, il aurait été contraint de reculer face l”opposition farouche des notabilités du secteur qui considèrent cet espace boisé comme le poumon du quartier. C”est donc en compensation que la Sema lui aurait attribué le terrain, objet du présent litige.
Le directeur adjoint de la Sema confirme que le terrain en question a été effectivement vendu à Babou Yara. "Mais je ne sais pas si c”est en compensation d”un autre terrain, car je n”étais pas là à l”époque", indique-t-il.
Comme Babou Yara, la communication ne semble pas la préoccupation première de l”entrepreneur en charge des travaux de clôture. Joint par téléphone, il a donné rendez-vous avant de se rétracter. Pourtant chacun sait que les litiges fonciers sont trop sensibles pour se régler par le mutisme.
Cette affaire n”est pas sans rappeler un autre litige qui avait opposé il y a quelques années, les jeunes de Badalabougou (déjà) à un homme d”affaires installé au Gabon, qui avait acheté le terrain de football situé près du Palais de la culture pour y construire un hôtel. A l”époque, l”affaire avait également fait grand bruit. A juste titre car sous la pression de la spéculation foncière, les quartiers perdent tous leurs espaces de vie sociale, de détente, de sports. Places publiques, espaces verts, terrains de jeux, rien ne semble pouvoir arrêter le béton.
B. DOUMBIA
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