Point d’histoire : L’origine du Soliyo des griots racontée par Youssouf Tata Cissé

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Selon les historiens, les Soninké seraient les fondateurs du Wagadou. Leur vie serait intimement liée à celle des chevaux d’où cette panégyrique du professeur Youssouf Tata Cissé lui-même soninké. Plusieurs noms de clans et de noms personnels dérivent de celui du cheval ou empruntent le nom de sa robe.

Il s’agit notamment des patronymes Cissé «le chevalier», Dafé «cheval argenté», Kalé «cheval immaculé , Sissoko ou Soussoko», qui «éperonne le cheval», Souwaré «cheval pommelé», Sy pour Sy-Sawané «cheval imposant du ciel», Sylla ou Syllanké «gens du cheval» ; il est ainsi pour les prénoms Sotigui «le cavalier», Sokè «cheval male», Djimbé ou Djimé «l’alezan» ou le biais, et Sodjè «cheval blanc» (un prénom féminin).

Les descendants de Niamey
Le règne de Niâmey fut des plus fastes, et sa gloire ne fut égalée que par sa beauté, sa générosité et son esprit de justice. Ce qui lui valut, sans coup férir, d’agrandir le royaume hérité de son père, Mâmy. Au terme de l’épouvantable sécheresse qui avait failli détruire son pays, ce vieux sage dit : «j’enjoins mes descendants et leurs alliés et sujets de ne vivre désormais qu’aux abords des cours d’eau et des grands étangs.»

Séré-Kollé (altéré en Sarakollé), «gens des rivières», devint depuis l’un des noms du peuple formé par les descendants de Mâmy et de Niâmey. Celle-ci aurait, selon les uns, régné à Bouré et selon les autres, fait exploiter au profit exclusif de la couronne les mines d’or de Bouré, d’où son titre de gloire : Bure sanu, Bure Nyaamè, que l’on traduit par «(Niâmey, maîtresse de) l’or de Bouré», et par «Niâmey belle comme l’or de Bouré».

Mama Dinga dit Dinga Khorè, ancêtre des Soninké du Wagadou
«Dinga, héros de Sonna, Dinga héros de Souan, Dinga héros de Kanan, Dinga héros de Guirka ou Guirga, Dinga héros de Faressi (Perse), Dinga, héros de Findi ou Hindi (Inde), Dinga, héros du Yamanou (Yémen), Dinga, héros de Kiridyo : on joua l’hymne Dyandyon en l’honneur de l’ancêtre Dinga, à Khayrawanè.» Tel est, d’après la tradition commune aux Soninké de tous pays, le panégyrique de l’ancêtre fondateur du Wagadou.

Grand conquérant devant l’Eternel, Dinga ramena de ses multiples expéditions un riche butin ainsi que de nombreux «esclaves» et prisonniers de guerre, de même que des chevaux de races qu’il fit croiser avec ceux de son pays plus résistants.

Peux de temps après son retour à Soana, on ne parlait plus que de la puissance de ses armées de sa cavalerie, et du fabuleux  butin qu’il rapporta de sa longue expédition. Il fit ombrage tant à ses pères qu’à ses consanguins ainsi qu’à une multitude de notables.
C’est alors que pour l’abattre, à défaut de ternir sa gloire, on décréta que tout noble soninké ayant contracté mariage en dehors des rites matrimoniaux de ses ancêtres est- de même que ses enfants, notamment les enfants métis- à jamais déchu de son droit d’accession au trône. Or, Dinga et ses hommes avaient ramené de leurs expéditions d’innombrables épouses et concubines blanches avec leurs progénitures, sans compter celles des étrangers qui s’étaient ralliés à la gloire des conquérants.

L’affrontement avec le pouvoir en place devint donc inévitable. Le premier choc eut effectivement lieu à Diaba, «Diaba la Grande», située non loin de Sonna, qui se trouvait au sud du site qui deviendra Le Caire. Dinga combattit à la tête de sa cavalerie et vainquit à Diaba, où l’on entonna et joua en son honneur l’hymne Mawlana, dont la première strophe dit : «O maître des espaces infinis/Le jour où la guerre éclata à Diaba/ On joua en ton honneur l’hymne «O Chevaux» Dinga combattit ensuite et vainquit à Kabalè (la plaine de Kaka).On chanta pour lui l’hymne Duga» (le vautour), parce que ce jour- là tout comme à Diaba, il nourrit les vautours avec les cadavres de ses ennemis.
Il combattit enfin à Souan, où, après la trahison d’une partie de ses troupes, il perdit la bataille. Il se dirigea alors  vers l’ouest, et atteignit cette terre qui deviendra le berceau du Wagadou ou Ghana «pays des héros de guerre». De nombreux sites et localités dont Souan près de Djenné, Dia, Touroungoumbé et Dalangoumbé, y évoquent l’épopée de Dinga.

Makan Djabé Cissé, le fondateur de l’empire du Wagadou
Si Dinga appelé aussi Mama Dinga, «Ancêtre Dinga», dit Dinga Khorè, fut le défricheur du Wagadou ainsi que celui qui a introduit le cheval en Afrique de l’Ouest, en revanche, c’est son fils cadet Djabé Cissé, «Le béni des dieux et le cavalier émérite, qui, à l’instar du culte de Kangalika, le dieu serpent de ses ancêtres, a instauré au Wagadou le culte de Bida, un génie mi-homme surnommé Wagadou sa ba, «grand serpent» ou serpent sacré du Wagadou. C’est également Djabé Cissé qui y vulgarisa l’élevage des chevaux.»

A Bida, Djabé Cissé  offrait tous les ans une magnifique pouliche montée par la plus belle fille du pays. L’animal provenait du haras royal et la fille était choisie en dehors des familles Wagué et des familles de castes. La première était richement harnachée, et la seconde parée de ses plus beaux atours. Cette pratique, qui devint très secrète avec l’adoption de l’islam, ne prit fin qu’avec le «second» empire, en l’occurrence celui de l’éphémère dynastie des Touré.

En échange de ces offrandes, Bida assurait pluies, prospérité et richesse au Wagadou. De plus, il faisait pleuvoir des grains d’or à l’intention des Wagué, dont il favorisait sans cesse les armes.
Du début à la fin du Wagadou, le fer de lance de l’armée royale fut la cavalerie, dont les combattants- des nobles Wagué et leurs alliés matrimoniaux- formaient des groupes constitués de chevaux de même robe. C’est ainsi qu’à l’occasion des grandes cérémonies leurs bardes, les gesere, jouaient et entonnaient en leur honneur les grands hymnes de guerre, dont le Kandyo, le Nyaamè et le Soliyo.
«Le cheval était leur propriété exclusive, la guerre leur principale activité, l’exercice du pouvoir leur «héritage», leur raison d’être.»

En l’honneur des nobles cavaliers Wagué et de leurs chevaux prêts à partir pour la guerre, on déclamait ces vers :

«La virilité ne s’accomplit pas en dehors de la magie»
De même que la magie ne se conçoit point en dehors de la virilité.
Ce que vous faites subir aux autres.
C’est bien cela qu’ils vous feront subir en vous vainquant.
Sachez donc, nobles cavaliers, que vous ne sauriez subir l’affront
Et encore moins survivre à l’humiliation.
Destriers qui vous complaisez dans votre superbe nudité,
Vous êtes ces lions de guerre que nul ne saurait fouler aux pieds.
J’appelle les ardents maîtres de la guerre que vous êtes,
Notamment le morceau à la belle robe noire.
Et l’alezan qui, hargneux comme une vieille harpie sans mari,
Ne se vêt que d’un pagne de feu.
Les voilà partis pour la guerre, mes destriers et leurs maîtres.
La  croyance rapporte qu’au plus fort de la bataille, tandis qu’ils sabraient leurs ennemis ou les transperçaient de leurs flèches ou de leurs lances, que leurs chevaux en  renversaient d’autres du poitrail avant de les fouler de leurs sabots d’airain, il arrivait aux Wagué d’être soudain possédé par la fasiya, «la nature inhérente à leurs ancêtres».

Nombreux étaient alors ceux dont la tête se transformait en tête de lion ou de vautour. Les plus grands de ces Wagué se métamorphosaient en de gigantesques wandyalaka ou en warasa, c’est-à-dire en sphinx à tête humaine et à corps de lion ou de serpent. La transformation commençait par les yeux, qui brillaient alors comme des braises ardentes. Dans ce nouvel état, un Wagué pouvait à lui seul neutraliser cent (100), voire milles (1000) hommes.
C’est par la guerre et grâce au cheval, à l’or et à l’argent dont ils contrôlaient jalousement l’exploitation et la circulation, que les Wagué, avec les Cissé à leur tête, assirent leur pouvoir sur une grande partie de l’Ouest africain. D’où ce panégyrique des descendants du fondateur de l’empire du Wagadou, le Ghana :

«Cissé, de la lignée des rois magnanimes du Wagadou
Fondé par des descendants de Niâmey (la reine mère !)
Dieu dans sa grandeur fit tomber pour vous des pluies d’argent, des pluies d’or et des pluies de diamant et finit par vous gratifier de la pluie de foi. Descendants des cavaliers en or et des cavaliers en argent, Vous êtes forts généreux et braves.

L’hymne «Sôliyô» était, il comporte autant de versions que de héros. Bassolé Dramé doyenne des griottes de San, le définit comme suit l’hymne Soliyo était, il n’y a pas si longtemps encore, chanté en l’honneur des seuls héros de guerre, et plus précisément des guerriers combattant à cheval. Il célébrait leurs actions d’éclat, en précisant les circonstances ainsi que les lieux ou ces actions ont été accomplies. Par ses accents et ses paroles, il s’apparente au pasa ou fasa, au panégyrique.
Les traditionalistes, les hommes comme les femmes, à quelque ethnie qu’ils appartiennent, s’accordent pour attribuer l’origine de cet hymne aux Marka, c’est à dire aux Soninké, qui furent incontestablement les premiers à posséder les chevaux, les premiers à les avoir introduits au Wagadou, où ils les élevaient à la manière dont les Peul élevaient les vaches, les moutons et les chèvres, et ce dans le seul but de faire la guerre et de défendre leur pays.»

Le premier nom de Soliyo s’intitulait Nyaamè, Dalla Nyaamè, du nom de la grande aïeule des Wagué fondateurs de l’empire du Wagadou, c’est-à-dire le Ghana. Il célébrait les faits d’armes des braves, la vertu des hommes d’honneur et de parole, autrement dit les actions des hommes de pouvoir et d’autorité qui n’avaient en rien violé leur serment ni rompu leurs interdits totémiques, des meneurs d’hommes qui ne variaient point dans leur résolution, des guides de peuples qui, doutant parfois de leurs sujets, les conduisaient néanmoins sur le chemin de l’honneur.

C’est pour cette raison que des origines à la fin du Wagadou, les bardes gesere chantaient à l’oreille des princes Wagué, comme pour leur rappeler les exigences de leur charge au service de leur pays et de leur peuple, les hymnes fondateurs de leur lignée, à savoir le Nyaamè.
D’ailleurs pour déclamer de nos jours encore l’histoire du Wagadou, les gesere jouent l’hymne Nyaamè, auquel ils adjoignent le Kandyo et le Djandjo pour la chasse et la  guerre, qui lui seraient antérieurs et qui sont eux aussi exclusivement réservés aux braves, aux hommes d’honneur et de parole.

Mais, avec le temps, on en vint à chanter Nyaamè en l’honneur des braves guerriers- cavaliers aussi bien lorsqu’ils se mettaient en selle pour partir à la guerre qu’à leur retour du combat, lorsque victorieux, ils descendaient de leurs montures. On le chante de nos jours pour saluer les jeunes adolescents revenant des camps de circoncision, où ils ont subi cette épreuve avec bravoure. Les mères et les sœurs aînées des opérés chantent alors en dansant le traditionnel farin farin, n’den farinnyana, farin farin  n’dogo farinnyana «brave, brave mon fils a été brave ; brave, brave, mon cadet a été brave.»

«Que dire pour clore cette présentation des hymnes sinon qu’ils sont graves ? On comprend dès lors la tristesse qu’éprouvent les initiés de voir les « griots modernes» les dédier à n’importe qui, n’importe comment ! En effet, tous les grands hymnes de guerre, kèlè masa foli, «chants et musiques célébrant les guerriers émérites», ont été dénaturés. Il en est ainsi de Nyaamè et de Kandyo, dont les gesere, ces chantres des princes Wagué du Wagadou (empire du Ghana) ont l’apanage ; il en est également du Djandjo, dans la déclamation duquel excellent les griots (djéli) du Mandé.

Même le Badjuru et le Boloba, ces cordes sacrées qui célèbrent les bras vainqueurs ont été dénaturées. Oui, les griots et les griottes les ont tous mis sens dessus- dessous, les ont aussi corrompus par des fioritures insensées. C’est pourquoi les grandes initiées qui sont des gens d’âge ne daignent plus les chanter.

D’autant que ces jeunes qui, de nos jours, déclament ces hymnes «sacrés» ignorent jusqu’à leur valeur, et ceux à qui ils sont dédiés ne comprennent point leurs sens véritable. Or, qui veut connaître le bien  fondé du danbé, c’est-à-dire de la gloire et des vertus qui présidèrent aux destinées du Mali, doit d’abord s’imprégner des leçons contenues dans les chants anciens. Le constat est sévère, mais juste. L’hymne Nyaamè, Dala Nyaamè, dit Dyamu Nyakalen (chanté en soninké par Bassolé Dramé)

Comme son titre l’indique, cet hymne glorifie Niâmey l’Eminente, émule de Nyakalen, surnommée «le père des femmes, l’égale des hommes» et «même l’époux des hommes et le père des femmes». (Le mythe dit qu’après qu’elle eut défié Dieu, Nyakalen domina le monde et défendit la liberté ainsi que le droit des femmes dans tous les domaines.) Niâmey fut la première femme au monde à avoir conduit au combat, et à cheval une multitude d’hommes.

Notons que pour inviter les griottes à entonner le présent hymne, les Soninké disent sinu kili, et les Malinké- Bambara solu weele, ce qui signifie dans ces deux langues : Appelez les chevaux.
Youssouf Tata CISSE,
Historien

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