Ghana est le nom que les Arabes lui ont donné. Ce terme est une déformation du mot « nwana » signifiant héros. Ce titre a été attribué d’abords au souverain, puis a paradoxalement désigné la contrée. Par ailleurs, ces mêmes Arabes l’appellent pays des Noirs (Kwarizmi). Cependant, la zone était primitivement appelée Kagorotan ou domaine des Kagoro (Kakolo ou Kagolo). Pour les Maninka, c’est le pays des animaux ou bagan (Baganna). Enfin, la tradition orale a retenu l’appellation Ouagadou, pays de la végétation et des troupeaux.
Le Ouagadou est la province englobant la majeure partie du cercle de Nara et du sud mauritanien à proximité du Bakhounou (Ballé), et du Sambourou (Dilly). La zone s’étend autour de Goumbou, la ville millénaire fondée en 622, année de l’Hégire par deux frères jumeaux Boubou et Toumani venus de Dia. Les jumeaux de Dia, avant d’atteindre Goumbou s’établirent d’abord à Gori, puis à Tambacara, dans le cercle de Yélimane, et enfin à Tanganaga, dans le cercle de Nara, entre Dilly et Ballé. Goumbou est plus ancienne que Koumbi-Saleh. Elle fut la première capitale du Ouagadou.
Notons aussi que Koli est aujourd’hui la plus vieille ville du Ouagadou. Les traditions locales rapportent d’autre part que Koumbi Saleh aurait été bâti sur l’emplacement d’une ancienne ville Kagolo du nom de Kalaka. Cette capitale était à ses débuts un lieu gardé par un saint marabout du nom de Salaha ou Saleh d’où le surnom donné à la ville Koumbi- la sainte. Elle se trouvait à cent dix kilomètres au nord-ouest de Nara. Elle est aujourd’hui en territoire mauritanien. Lors de la fondation de Goumbou, le premier coup hache fut donné par Djiriblé CAMARA un habitant du village kagolo de Koli. Or les génies des lieux avaient prédit la mort de celui qui abattrait le premier arbre sur le site de la future ville. Djiriblé se sacrifia et Goumbou naquit. Les Kakolo, après une résistance acharnée, furent les hôtes des Soninké, malgré eux.
Le Ouagadou était comme aujourd’hui, une zone essentiellement sahélienne. Mais, avant les sécheresses d’antan, les sécheresses légendaires, son climat était beaucoup plus humide et doux que de nos jours. Il y pleuvait abondamment, et les pluies assuraient un hivernage fécond. Les greniers n’y étaient point vides. La production régulière en mil et sorgho garantissait la sécurité alimentaire. En ces temps là, la nature était couverte d’une végétation abondante. De hautes herbes et de beaux arbres poussaient partout, encadrant de vastes parcelles de terrains bien cultivés. De tous côtés, des troupeaux d’animaux domestiques paissaient tranquillement l’herbe des prairies verdoyantes.
A proximité de ces pâturages luxuriants, coulaient de grands cours d’eau qui sillonnaient le territoire et l’arrosaient de toutes parts et les bêtes s’abreuvaient dans les grandes mares de Goumbou (Khiniè) de Kabida, Koumbi Saleh dans Kani-lambé (la mare de kani). Parmi les lieux historiques, il y a Koumbi Djoufé et Khoronga ou se trouvaient les cavaliers de l’armée impériale. Nous parlerons aussi de la vallée légendaire du serpent, un fleuve disparu sous les sables (entre Goumbou et Kaloumba), où les chevaux de l’écurie royale allaient boire quotidiennement.
Au Ouagadou existent de vieux puits : Mossi kolonw (les puits mossis). En effet pays de tradition guerrière, le Ouagadou a su contenir les assauts des guerriers mossis montés sur les meilleurs chevaux de la savane. Après des batailles sanglantes, les Kagolo les ont refoulés jusqu’aux bords du lac Débo qu’ils ont traversé pour ne plus revenir. Enfin, retournons au Kagorotan ou Ouagadou primitif. Tout y chantait le bonheur, la nature, les bêtes et les hommes. Tout y reflétait la richesse. Tout y respirait la santé. C’était le domicile de l’abondance et de la prospérité (hère ni baden so, disent les narrateurs).
Les Kagolo
Les soninkés ne sont pas les autochtones du Ouagadou. A leur arrivée dans la zone, ils trouvèrent sur place les Kagolo. Quelle signification les traditionalistes donnent ils à ce mot ? Tout son sens se trouve dans cette phrase « munun tun bè Ouagadou ka Kôrô ») Ceux qui vivaient anciennement au Ouagadou, c’est à dire les aborigènes). Les Sarakholé disent d’eux qu’ils sont les gens de la grande maison, les autochtones (ka khorè n’sérun). Les Kagolo seraient arrivés dans notre pays dans les premières vagues des migrations qui ont conduit les populations noires de l’Egypte en déclin, du Soudan (Darfour) vers l’Ouest africain (Bafour).
L’ancêtre commun des Kagolo se nommait Maghan Camara. Ce patriarche eut plusieurs enfants. Nous citerons ceux que nous avons eu la chance de connaître : Fofana Kanindio (Fofana veut dire premier en soninké c’est l’aîné des enfants de Maghan) Camara Dansôkô (Dansôkô chasseur distingué), Kamassoko ou Kamissoko Détéba (Détéba : pur sang), Mountan Mamoudou, Sokhona Diaba….Ainsi, au Kagorotan, les noms claniques étaient les suivants : Fofana, Camara, Kamissoko, Bagayogo, Doumbia, Djitè, Sinayogo, Kamité, Dagnon, Kanté, Kamaté, Konaté, Kanouté, Kwaté (Kouyaté)…..
Ces clans kagolo luttèrent avec acharnement pour préserver leur sol des agressions venues de l’extérieur. Ils durent subir les coups rudes de Diabé Cissé et ses compagnons. Après de durs combats, le Kagorotan connut la domination soninké. Par la suite, l’assèchement progressif provoqué par les sécheresses légendaires (catastrophiques) contraignit les Kagolo à s’exiler. Ils fuirent en masse vers le Mandé devenant du coup des Maninka (habitants, de Mani. Cette ville portera le nom Niani à l’époque de Soundjata). Niani se trouve en territoire guinéen à la frontière avec le Mali.
Ainsi, les Kagolo actuels sont : Fofana, Camara, Magassa, Sissoko (même si certains aujourd’hui sont assimilés à d’autres ethnies. A partir des patronymes venus du Ouagadou, il se produisit au Mandé d’autres divisions claniques : (Konaté – Couloubali, Keïta) Kanouté (Diarra, Koné, Kondé, Konté, N’Diaye) Camara Dansôkô (Traoré Dembélé, Diop, Kané, Mané. En résumé, le Ouagadou fut la patrie des Kagolo (ce mot n’est pas soninké). Autour de ce noyau, les Sarakholés ont constitué un puissant empire qui s’est développé entre l’an 300 de notre ère et sa chute ayant coïncidé avec le règne de Soundjata (1235) et, peut être avant cela, au moment de son déclin qui correspond à la période de la Jihad almoravide (1076).
La dignité du kagolo, c’est le carquois et l’arc
Kagolo danké ye ton ni kala ye (la dignité du kagolo, c’est le carquois et l’arc). Les Kagolo étaient à l’origine de grands agriculteurs (Samokow), mais aussi de grands chasseurs (donsow) et des guerriers redoutables. De nos jours encore, les musiciens du Sahel évoquent leurs hauts faits d’armes. La griotte Kagolo de Mourdiah (Nara) Djallou Damba (Damba et Sakiliba sont les féminins de Sissoko) dans une jolie chanson vante le mérité des Kakolo d’autrefois. Elle met un accent particulier sur leur adresse à la chasse et leur bravoure à la guerre, en rappelant que la singularité du Kagolo, ce qui le différenciait des autres, sa dignité, c’était le carquois et l’arc. Le « danbé », nous explique Wa Kamissoko de Kirina, repose sur de bons principes, la décence, la dignité que l’on tient de ses origines.
Les Kagolo étaient attachés à cette dignité qu’ils n’échangeaient contre rien, renchérit Djeli Baba Sissoko. Fiers combattants, les Kagolo se battaient jusqu’à la mort. C’est pourquoi ils payèrent un lourd tribut à la guerre. Dans les troupes d’El Hadji Oumar, des Kagolo nouvellement convertis à l’islam formaient un maillon important. Ils faisaient partie de l’élite. Ici nous parlerons d’Alpha Moussa Fofana et de Djadjiri Magassa. A Woïtala, le second nommé se fit remarquer contre l’armée de Ségou au cours de durs combats. Gouverneur de Djenné sous le règne d’Amadou, Alpha Moussa obligea les conquérants français à se battre pour s’emparer de la ville. Komaghan Magassa périt dans la vaillance à Hamdallaye.
La fierté de ce guerrier était celle d’Artaban. Son courage légendaire est encore chanté par les troubadours : « douze cavaliers ennemis, disent – ils étaient laissés pour Komaghan seul, dans les moments où la bataille devenait dure « A Guémou Kouta et Sakhora, les Kagoro Magassa livrèrent l’impitoyables combats à Sira Bô souverain Massassi. « Quand la lutte fut chaude, ils s’entravèrent les pieds pour ne pas fuir. Ils furent tous exterminés. Ils voulurent préserver leur dignité même au prix de leur vie. Elle le fut.
Ce courage suicidaire leur a valut leur nom Magassa, déformation de l’expression peule « fagassa (jusqu’à la mort). Bien que n’ayant pas été sollicités par leurs voisins bamanan, pendant le soulèvement du Bélédougou contre l’occupation française, les Kagolo s’étaient présentés nombreux au rendez-vous du Khôdialan. Là, les attendait la déroute qu’ils partagèrent avec Koumi Diossé TRAORE et les siens. Tous savaient du reste, que les Blancs étaient mieux préparés et bénéficiaient de la supériorité en armements. Mais les Kagolo, tout comme les Bamanan, n’étaient pas hommes à abandonner le terrain sans se battre.
Alors, pourquoi les Kagolo étaient ils venus se donner à la mort sans y être invités ? La réponse n’est pas à chercher loin. Ils ne voulaient pas qu’on reprochât à leur descendance un mauvais acte, par exemple, le fait d’avoir manqué « une rencontre d’hommes » (tié ben). Ils craignaient plus que tout, qu’on ne les traitât de fils de lâches. Ce qu’ils ne voulaient surtout pas entendre, ce sont ces paroles : « Y a t’il dans ce pays une personne aussi brave que le jeune homme bamanan ?
Où étaient les autres quand les intrépides guerriers du Bélédougou bravaient les canons français ? ». Les griots racontent la prise du village des Camara de Bassaka par les Foutanké : « Ce jour-là, des héros se sont couchés pour toujours sur le sol qu’ils ont aimé et défendu jusque dans leur dernier retranchement. A Bassaka, la veillée d’armes a été suivie par des actions d’éclat jamais égalées. L’armée toucouleure a frôlé ce jour la catastrophe. Les fils de Biranté, Karounga Diawara, l’homme aux trois tresses et ses alliés Kagoro ont trouvé une mort héroïque. Nous ne pourrions terminer sans écrire quelques lignes sur la vie de ce roi guerrier Kakolo que fut Silamaghamba Koïta.
A Sorotomo (entre Ségou et Bamako), il établit une solide royauté. Ses milliers de cavaliers intrépides neutralisaient les ambitions des souverains de l’époque. Silamaghan bâ Koïta, à l’issue d’un combat d’homme à homme vainquit Lambidou Soma Niakhaté et mit fin à son pouvoir despotique. Pour une raison futile ce tyran tua (en le décapitant) le père de sa femme Niakhalé Mouké Traoré. Cette reine était d’une beauté sans égale. Elle était « la mère des femmes ». Niakhalé Mouké fit appel à Silamaghamba Koïta qui la vengea de l’affront subi. Lambidou Soma Niakhaté fut terrassé, attaché et humilié.
Leçons de vie
« On doit se retenir de faire tout ce dont on est capable », dit un vieux dicton. Ces hommes dont nous avons retracé ici le parcours ont œuvré pour l’accomplissement de ce que nous considérons aujourd’hui comme des idéaux : défense des causes justes et du sol natal, rejet strict de la duplicité, aversion pour la trahison et tout ce qui peut porter atteinte à la dignité humaine. Ces personnages ont tous posé des actes bons ou mauvais. Ils ont commis des excès, fait des erreurs.
De tout cela, on tirera des leçons qui, comme des lanternes éclaireront le chemin de la jeunesse actuelle. Nos enfants retiendront que nous n’avons pas besoin aujourd’hui du courage suicidaire qui caractérisait ces héros disparus. Ils comprendront aussi que cette bravoure qui faisait la témérité correspondait à une règle de conduite établie à l’époque : « plutôt mourir que de rejeter sur les siens la honte ». Ceux qui « descendent » de ces guerriers Kakolo ne doivent pas, après avoir lu ces pages, se gonfler la poitrine en affichant une fierté mal placée.
Disons le pour eux nous leurs pères ; il faudrait enfin qu’ils sachent que d’autres hommes qui n’étaient pas des Kagolo ont contribué eux aussi dans le passé à donner à notre patrie commune cette grandeur et ce prestige dont nous sommes tant fiers. Enfants du Mali descendants de bâtisseurs de trois grands empires (Ouagadou, Mandé, Songhoi) le travail de construction nationale vous incombera, quand sonnera l’heure de vous transmettre le témoin du relais. Notre patrie se bâtira dans le respect de l’autre et de la différence, dans la concorde, la tolérance et avec la farouche détermination de nos aïeux.
NB : Kagoro Dunbe (Kagoro rouge, pur et dur, authentique)
Moussa FOFANA, Formateur au Collège Moderne de Sincina
Conseiller Pédagogique à la retraite Koutiala.
“