Tribune sur l’extrait de Modibo Keita : ‘’ Jubilé du Cinquantenaire un autre regard’’ : La marche vers le 22 septembre, la raison d’un choix, les leçons de l’histoire

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Le peuple malien célèbre, le dimanche 22 septembre, le soixante-quatrième anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale : de son indépendance. Cette célébration, ces dernières années, est de plus en plus banalisée. On commémore plus qu’on ne célèbre. Depuis des lustres, le peuple est sevré de la retraite aux flambeaux et du bal populaire dans la nuit du 21 au 22 septembre, des défilés et des manifestations populaires la journée du 22 septembre. En particulier, c’est du défilé militaire sur le boulevard de l’Indépendance dont les Bamakois sont sevrés. Dans cette tribune déduite d’une étude, le Professeur Issiaka Ahmadou Singaré nous plonge dans un retour à la réalité avec la réponse à trois questions : quelles ont été les étapes franchies avant le 22 septembre 1962 ?  Pourquoi le choix de la date du 22 septembre ? quelles leçons tirer de ce qui s’est produit dans notre pays de 1946 au 22 septembre 1960 ?

  1. L’évolution politique du Soudan Français vers l’indépendance

Entre le 6 novembre 1946 le 22 septembre 1960, notre pays a connu quatre périodes différentes de son histoire contemporaine : celles de l’Union Française, de l’autonomie interne au sein de l’Union Française, de la Communauté Franco-Africaine et, enfin, de la Fédération du Mali. Le 22 septembre 1960 est à considérer comme la résultante des faits qui se sont déroulés durant ces quatre périodes.

  1. 6 novembre 1945 – 23 juin 1956 : l’Union Française

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France est sommée, par les vainqueurs, de décoloniser. Elle s’y résout à contrecœur. Plutôt que de plier bagages et de partir, elle choisit de partir en restant. Elle se dote, le 13 octobre 1946, d’une nouvelle constitution, celle de la IVè République et forme, avec ses possessions d’outre-mer, l’Union Française. Le 25 octobre, comme pour associer les colonisés à la gestion de leurs affaires intérieures, elle crée les Conseils généraux qui évolueront pour devenir des Conseils territoriaux. Le Conseil général du Soudan et son avatar, le Conseil territorial du Soudan seront dominés par le PSP jusqu’en 1956. Se succéderont à leur présidence, Tidiane Fagadan Traoré et Fily Dabo Sissoko.

L’Union Française est acceptée par les colonies d’Afrique subsaharienne. A l’époque, celle-ci comportait deux fédérations de colonies, deux Etat sous tutelle et l’île de Madagascar. Les deux fédérations de colonies sont l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Equatoriale Française (AEF). Les deux Etats sous tutelle sont le Cameroun et le Togo. L’AOF comportait huit colonies : la Côte d’Ivoire, le Dahomey (actuel Benin), la Guinée Française, la Haute-Volta (actuel Burkina Faso), la Mauritanie, le Niger, le Soudan Français (actuel Mali) et le Sénégal.

La France mettra dix ans (1946 – 1956) pour leur reconnaître un début d’émancipation. Durant ces dix années, les seules avancées notables sont, en général, outre l’obtention de certaines libertés individuelles, la transformation des colonies en Territoires d’Outre-Mer (TOM), l’octroi de la citoyenneté de l’Union Française aux « indigènes » des TOM, la suppression du travail forcé.

En particulier, les Soudanais profitent des espaces de libertés qui leur sont reconnus pour créer des associations, des syndicats et des partis politiques, voter et envoyer des députés aux deux Assemblées nationales constituantes, celle de novembre 1945 et celle de juin 1946.

Deux hommes briguent les suffrages du deuxième collège, celui des « sujets de l’Empire » par opposition au premier collège, celui des citoyens français : Fily Dabo Sissoko et Mamadou Konaté. Le premier est élu député de la circonscription du Soudan-Niger le 18 novembre 1945. Au lendemain des élections, les deux adversaires transforment leur équipe de campagne en partis politiques. Ainsi voient le jour, en 1946 : le Bloc Soudanais de Mamadou Konaté et le Parti Progressiste Soudanais (PSP) de Fily Dabo Sissoko à côté du Parti Démocratique Soudanais (PDS) d’Idrissa Diarra. Déjà, le clivage, quand tout incite à constituer un front uni contre les abus de la colonisation.

La France consacre l’essentiel de son activité outre-mer à la lutte contre aux nationalistes ayant rejeté l’Union Française. Se sentant relégués au second plan à Paris, les députés subsahariens s’organisent, se rencontrent à Bamako et créent un parti supra-territorial en octobre 1946 : le Rassemblement Démocratique Africain (RDA). Le RDA doit être représenté dans chaque territoire par une section. Les trois partis soudanais se rencontrent pour fusionner. C’est un échec ; de nouveau, le clivage. Le Bloc Soudanais et le PDS fusionnent pour donner naissance à l’Union Soudanaise-section territoriale du RDA (US-RDA). Le PSP choisit de préserver son autonomie, reprochant au RDA son apparentement avec le Parti Communiste Français (PCF).

Aucun des deux partis n’est à l’abri des divisions internes. Elles sont très marquées au sein de l’US-RDA avec les oppositions entre partisans de Mamadou Konaté et ceux de Modibo Keïta. A noter que Mamadou Konaté est membre fondateur du RDA dont il est le premier vice-président là où Modibo Keïta n’est membre fondateur ni du RDA ni de l’US-RDA. En octobre 1946, comme Ahmed Sékou Touré du reste, il ne figure pas parmi les congressistes n’est même pas présent à Bamako.

Les partisans de Mamadou Konaté sont conduits par Tiémoko Diarra. Ils remportent une première manche lors de la tenue du IIIè Congrès de l’US-RDA en septembre 1952, avec la création du poste de président du parti et l’élection de Mamadou Konaté à ce poste. Les seconds auront l’année d’après, le dessus en réussissant à faire élire Modibo Keïta comme Conseiller de l’Union Française contre Tiémoko Diarra, candidat sortant. A cette occasion, le parti a frôlé l’implosion. Mais la sagesse a prévalu. Tiémoko Diarra a retiré sa candidature quelques heures avant la clôture du dépôt des listes.

Le clivage s’accentue et atteint son paroxysme lors du désapparentement du RDA avec le PCF. De nouveau, le parti est au bord de l’implosion. Mamadou Konaté est pour la rupture, Modibo Keïta, contre. Lors d’un vote du Comité directeur de l’US-RDA, ce dernier est mis en minorité avec un résultat de 11 voix contre 5. Ses adversaires poussent plus loin, le sommant de démissionner de son poste de Secrétaire général du parti pour rejoindre son nouveau poste d’affectation, Tombouctou.

En décembre 1951, il a dû se sentir concerné par cette phrase de Mamadou Konaté : « Que ceux qui veulent faire un parti communiste aillent le créer… » La querelle rebondit lors de la tenue du IVè Congrès ordinaire de l’US-RDA (22-25 septembre 1955) avec des échanges peu amènes entre les deux hommes, le Président du parti et le Secrétaire général à l’ouverture et à la clôture des assises. La disparition de Mamadou Konaté sera suivie d’une période d’accalmie. Modibo Keîta renforce son emprise sur l’US-RDA contraignant Tiémoko Diarra à démissionner pour créer, avec Me Sylvandre, le Mouvement Socialiste de Défense des Intérêts du Soudan (MSDIS).

Le PSP non plus n’est pas à l’abri des dissensions. La plus notoire est celle qui voit la rupture entre Fily Dabo Sissoko et Tidiani Fagadan Traoré. Le PSP a été constamment présenté comme un parti de « notables ». A tort. Certes, Fily Dabo Sissoko est chef de canton et président des chefs de canton du Soudan Français. Cependant, le PSP ne manque pas de cadres. Il en dispose même plus que l’US-RDA.

En 1951, le double collège est supprimé. Fily Dabo Sissoko doit se choisir un colistier pour les législatives de cette date en remplacement de Me Sylvandre. Les prétendants ne manquent pas : Tidiane Faganda Traoré, Yalla Sidibé, Ya Doumbia, Hamounet Dicko, Mamadou M’Bodge… Sur recommandation du gouverneur Louveau, Fily Dabo Sissoko choisit Hamadou Dicko, 37 ans. Tidiani Faganda Traoré estime le choix inconcevable. Il démissioone du PSP pour créer son propre parti, l’Action Progressiste. De la fusion de ce parti avec le MSDIS naît le Bloc Démocratique Soudanais (BDS).

AU RDA comme au PSP, les clivages continueront de se manifester jusqu’à la dissolution des deux partis, en 1968 pour le premier, en 1959 pour le second

  1. 17 juin 1956 – 13 mai 1958 : l’autonomie interne

La France subit de véritables déculottées outre-mer, en Indochine, au Maghreb. Pour ne pas perdre l’Afrique subsaharienne, elle laisse du lest. Elle promulgue une loi-cadre connue sous le nom de loi Gaston Defferre. Cette loi ne consacre pas l’indépendance des TOM. Elle autorise une décentralisation une déconcentration des pouvoirs. Chaque territoire est doté d’une Assemblée Territoriale élue au suffrage universel. Le parti majoritaire à l’Assemblée Territoriale forme un conseil de gouvernement présidé par le gouverneur du Territoire avec, comme vice-président du conseil, un élu du parti majoritaire.

L’ US-RDA remporte les élections territoires de 1956 en supplantant le Parti Progressiste Soudanais. Mahamane Alassane Haïdara est élu Président de l’Assemblée Territoriale, Jean Marie Koné est nommé vice-président du Conseil de gouvernement. Il en est ainsi dans chacun des huit Territoires de l’AOF, des quatre de l’AEF, à Madagascar, au Cameroun et au Togo. Pour le député de la Côte d’Ivoire, ces dispositions donnent entière satisfaction. Celui du Sénégal, Léopold Sédar Senghor la compare à l’association entre le cavalier et sa monture », en conteste la pertinence.

Son choix, contrarié, est celui d’une confédération unissant la France aux « fédérations primaires » que sont l’AOF et l’AEF auxquelles serait reconnue le droit à l’indépendance. Il est sur la même longueur d’onde que Modibo Keïta. Tous deux s’abstiennent lors du vote pour l’adoption des décrets d’application que le Sénégalais assimile à des « joujoux et [à] des sucettes »,

A partir de ce moment s’effectue le clivage entre deux conceptions de l’évolution des relations entre l’Afrique subsaharienne francophone et la France. Houphouët-Boigny est partisan de la dislocation de l’AOF, estimant que la Côte d’Ivoire, territoire économiquement mieux doté que les autres ne saurait être la vache laitière de territoires comme la Haute-Volta ou le Soudan. A l’inverse, Senghor prône le renforcement des pouvoirs du Grand Conseil de l’AOF, donc, des liens fédérateurs.

La balance penche du côté de Senghor. Les députés subsahariens non issus du RDA se regroupent et créent deux partis fédéraux : le Mouvement Socialiste Africain (MSA) et la Convention Africaine (CAf). Le vent de l’unité souffre. Les trois regroupements de partis veulent se fédérer. Le 29 septembre 1957, le RDA tient, à Bamako, son IIIè Congrès interterritorial. Houphouët-Boigny, inamovible Président du parti depuis sa création est présent. Les ténors de la rencontre sont Gabriel d’Arboussier, Modibo Keïta, Ahmed Sékou Touré.  Le chef du gouvernement Sénégalais, Mamadou Dia, y assiste en qualité d’observateur.

Le débat porte sur l’unification des forces politiques en vue de constituer une fédération. Houphouët-Boigny qui s’y oppose est mis en minorité. Il se retire des assises et, en sa qualité de ministre français, choisit de prendre ses quartiers au palais du gouverneur à Koulouba. Le reste du congrès se déroule en son absence. Mais, ses cadets du RDA lui évitent le déshonneur : l’idée de jeter les fondements d’une fédération n’ est pas abandonnée, mais repoussée.

Les débats entamés à Bamako se poursuivent à Paris. Mais, Houphouët-Boigny pose des conditions inacceptables pour les responsables du MSA et de la CAF. Ces derniers se retrouvent pour fusionner et donner naissance au Parti du Regroupement Africain (PRA) en mars 1958. Le duel entre Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor Senghor continue. Un événement majeur va intervenir et changer la donne.

III. 13 mai – 28 septembre 1958 : la Communauté Franco-Africaine

Le 13 mai 1958, la France connaît son énième coup d’Etat depuis qu’à la fin du XVIIIè siècle Avec l’appui des généraux de l’Armée d’Afrique, Charles de Gaulle accède à la présidence du conseil de gouvernement. Son programme tient en quatre points : mettre fin à la guerre d’Algérie, définir de nouveaux rapports entre la Métropole et l’Outre-Mer, moderniser la France, construire l’Union Européenne.

La modernisation de la France commence par la modernisation de ses institutions. De Gaulle choisit de mettre fin aux régimes des partis, source d’instabilité gouvernementale. Assisté par Michel Debré, il rédige une nouvelle Constitution et la soumet au référendum des Français, métropolitains comme ultramarins. Il leur est demandé de se déterminer par « Oui » ou par « Non ».

Dans les rangs des députés ultramarins, c’est, de nouveau, la division. A la place de l’Union Française, il leur est proposé la Communauté Franco-Africaine. Pour eux, l’alternative est la suivante : voter « oui » et devenir république indépendante membre de la Communauté Franco-Africaine ad vitam aeternam ; voter « non » et faire sécession en se mettant hors de cette communauté. En votant « oui », les Territoires, devenus Républiques », continueront à bénéficier de l’aide au développement. En votant « Non », ils font sécession et se privent de cette aide.

Face à cette proposition, trois tendances se dégagent.

La première est incarnée par Ahmed Sékou Touré. Il n’est pas contre l’association entre la France et les TOM au sein de la Communauté Franco-Africaine. Mais, il propose le schéma suivant : que la possibilité leur soit donnée d’être membres de la Communauté non en tant que TOM, mais en tant qu’Etats indépendants et souverains ; en un mot, que l’indépendance précède l’adhésion.

La deuxième tendance est celle de Houphouët-Boigny. Elle consiste faire voter « oui » conformément au vœu de Charles de Gaulle, en se privant de toute possibilité d’évoluer, par la suite, vers l’indépendance. Depuis sa rupture avec les communistes en 1954, le député de la Côte d’Ivoire a choisi son camp. Il exclut toute formule d’indépendance, son vœu étant la transformation de son Territoire en Département d’Outre-Mer (DOM). Il le fait savoir à Kwame Nkrumah, Premier ministre du Ghana en visite officielle à Abidjan : vous avez fait le choix de l’indépendance, nous avons fait celui de la lierté.

La troisième tendance est celle de Léopold Sédar Senghor. Se déterminer est plus que douloureux pour ce dernier. D’emblée, il écarte la rupture avec la France en votant « non » comme le recommande Mamadou Dia. Mais, il n’est pas non plus en faveur d’une adhésion excluant toute possibilité d’évolution vers l’indépendance. Il n’écarte pas l’adhésion à la Communauté. Mais, il recommande qu’une fois membre de la Communauté, les nouveaux Etats puissent évoluer vers l’indépendance, seuls ou groupés.

Charles de Gaulle commence par trancher en faveur d’Houphouët-Boigny. Ce dernier occupe, à ses côtés, une place de choix. Il est ministre d’Etat et membre du Conseil constitutionnel chargé de la rédaction de la Constitution. Georges Pompidou, en sa qualité de directeur de cabinet du Président du conseil, intervient en faveur de son condisciple et ami, Léopold Sédar Senghor. La Constitution est légèrement modifiée. La possibilité d’être membre de la Communauté et d’évoluer, par la suite, vers l’indépendance, seuls ou groupés, est reconnue aux TOM, au grand dam d’Houphouët-Boigny qui se dit trahi.

Le référendum a lieu le 28 septembre 1958. Au Soudan (l’épithète « français » a cessé d’accompagner le nom depuis la loi-cadre), l’US-RDA, parti majoritaire, appelle à voter « oui ». Son rival, le PSP, fait le choix contraire. Fily Dabo Sissoko assimile la proposition de de Gaulle à un diktat, voire, à un chantage ; d’où sa phrase : « Nous sommes d’un pays où l’on préfère mourir de faim plutôt que d’être substanté par celui qui vous le rappelle constamment ».

Charles de Gaulle est plus que satisfait des résultats du référendum, aussi bien de ceux de la Métropole que de ceux de l’Outre-Mer. A l’exception de la Guinée, tous les Territoires ont voté, massivement, « oui ». Il en est de même pour Houphouët-Boigny car l’esprit fédéraliste est, momentanément, enterré. Chaque TOM est indépendant et traite directement avec Paris. Le 24 novembre 1958, le Soudan devient République Soudanaise, membre de la Communauté, avec, à sa tête, Modibo Keïta, Président du conseil des ministres, Jean Marie Koné, Vice-Président.

Une nouvelle page dans les relations franco-africaines s’ouvre. Elle réserve bien des surprises à de Gaulle.

  1. 4 avril 1959 – 22 septembre 1960 : la Fédération du Mali

Léopold Sédar Senghor n’a pas renoncé à son idée de fédération. Ni Modibo Keïta. Pour celui-ci, l’heure est au choix entre continuer à cheminer avec Houphouët-Boigny et entériner la balkanisation de l’AOF ou rompre avec le Président du RDA et rallier Senghor. Il opte pour la seconde solution. Son option est également celle de Sourou Migan Apithy (Dahomey), et de Maurice Yaméogo (Haute-Volta).

La décision de créer la Fédération du Mali est prise. Quarante députés, soit dix députés par Etat, en rédigent les textes fondamentaux. Mais, vite, le nombre d’Etats fédérés tombe à deux. Ni Charles de Gaulle, ni Houphouët-Boigny ne peuvent souffrir l’idée d’un regroupement allant dans le sens contraire de leurs intérêts. Ils choisissent de le torpiller. Un port en eau profonde est proposé au Dahomey à condition qu’il se démarque de la fédération. Il n’hésite pas, il choisit le port. A la suite de pressions exercées sur la Yaméogo par Houphouët-Boigny, la Haute-Volta, à son tour, quitte le regroupement.

Sénégalais et Soudanais restent ensemble. Les textes fondamentaux sont revus pour être adaptés à la situation née du départ des deux Etats sécessionnistes. Le 4 avril 1959, le transfert des compétences est signé entre la France et la Fédération du Mali. Les institutions sont mises en place ; dont : un Parti fédéral, une Présidence de la Fédération, un Conseil de gouvernement fédéral composé de huit ministres, une Assemblée fédérale. Le 20 juin 1960, la Fédération du Mali proclame son indépendance.

Sénégalais et Soudanais se répartissent les postes de responsabilité. Senghor est élu Secrétaire général du Parti Africain pour l’Indépendance (PAF). Il cumule cette fonction avec celle de Président de l’Assemblée fédérale dont le Vice-Président est Dramane Coulibaly, député de Ségou. Modibo Keïta est nommé Président du conseil du gouvernement. Mamadou Dia est Vice-Président du conseil, cumule cette fonction avec celle de ministre de la Défense. L’élection du Président de la Fédération est prévue pour le 20 août.

Elle n’aura pas lieu, à cause de la candidature de Senghor à ce poste, candidature que récuse, fermement, les Soudanais pour les raisons suivantes : la francophilie très affirmée du candidat, son union avec une Française, sa confession religieuse. Pour eux, il n’est pas le candidat idéal ; que les Sénégalais en proposent un autre, entre Lamine Guèye et Mamadou Dia. Ce dernier, à son tour, fait preuve d’intransigeance : ce sera Senghor ou la Fédération va éclater.

Elle éclate dans la nuit du 19 au 20 août, mais pour une autre raison. Une armée fédérale est créée. Il faut en nommer le chef d’état-major. Modibo Keïta propose son aide de camp, le colonel Abdoulaye Soumaré. Mamadou Dia propose le sien, le colonel Fall. En conseil de gouvernement, un vote intervient pour trancher. Les quatre ministres soudanais et un ministre sénégalais, Boubacar Guèye, votent en faveur de Soumaré. Modibo Keïta signe le décret de nomination, Mamadou s’abstient de le contresigner. C’est le blocage.

Deux semaines durant, le conseil de ministres ne se tient pas. La date du 20 août approche. Modibo Keïta décide de mettre fin à la crise. Il convoque, le 19 août, un conseil de ministres extraordinaire. Cinq ministres sur huit sont présents, les quatre Soudanais et Boubacar Guèye. Le quorum est atteint, les délibérations sont valables. Pour crever l’abcès, Modibo Keïta prend quatre décisions importantes : il destitue Mamadou Dia de son poste de ministre de la Défense, se nomme ministre de la Défense à sa place, décrète l’état d’urgence et donne instructions au colonel Soumaré d’assurer le service du maintien d’ordre.

Les Sénégalais réagissent. Avec l’appui de la gendarmerie française, ils mettent le colonel Soumaré aux arrêts. Les agents du maintien d’ordre, placés aux points stratégiques de Dakar, sont relevés et remplacés. Les militants UPS de l’intérieur sont invités à venir investir la capitale. Enfin, les ministres fédéraux maliens ainsi que tous les responsables soudanais présents à Dakar sont assignés à résidence. Dans le courant de la nuit, l’Assemblée législative est convoquée. A l’unanimité, elle vote la loi actant le retrait du Sénégal de la Fédération, proclame l’indépendance de la République du Sénégal. Charles de Gaulle et Houphouët-Boigny exultent : la Fédération du Mali a vécu.

  1. Le choix d’une date
  2. En souvenir de la mémorable bataille de Sabouciré ?

Le 22 septembre 2010 a été celui du Cinquantenaire. Amadou Toumani Touré, Président de la République, veut lui donner un cachet particulier. Les livres d’histoire ont dû être consultés et l’on y a découvert la date du 22 septembre 1878. Ce jour, après Médine et le siège de son fort par Oumar Saïdou Tall-al-Foutiyyou, notre peuple subissait le deuxième acte d’agression des troupes d’invasion coloniale française contre son territoire.

Sur instruction du général Faidherbe, gouverneur du Sénégal, le lieutenant-colonel Reybaud, depuis Saint-Louis, marche sur la cité de Sabouciré, capitale de la principauté malinké du Logo. Le prince Niamody Sissoko s’était refusé à rompre l’alliance qui le liait à Oumar-al-Foutiyyou pour se placer sous protectorat français. Or, sans cette entente avec les envahisseurs français, impossible d’arriver à Bamako perçu comme tête de pont pour descendre le Niger, atteindre Tombouctou et, de-là, progresser vers le Nord pour faire la jonction avec les troupes venues d’Algérie et vers l’Est pour réaliser l’axe Dakar-Djibouti.

Dans cet ordre d’idée, Sabouciré est devenu un verrou à faire sauter. Faidherbe ne lésine pas sur les moyens. Avec le siège de Médine, il a mesuré la détermination avec laquelle un peuple défend sa patrie. Aussi met-il à la disposition de Reybaud le nécessaire pour une campagne conçue pour être des plus courtes : 585 hommes, des militaires français appuyés par des tirailleurs sénégalais et des spahis, 80 chevaux, 4 canons.

L’attaque de la cité débute à 8 heures, le 22 septembre 1878. Sabouciré est fortifiée. Sur les remparts, les résistants se relaient, opposant une défense farouche aux agresseurs. Mais, il faut se rendre à l’évidence. La supériorité technique de l’ennemi finit par faire la différence. Après huit heures de combat, les résistants proposent au prince l’évacuation de la cité. Ce dernier déclare préférer la mort à la honte et veut rester sur place, s’il le faut, mourir les armes à la main.

Quatre esclaves ne l’entendent pas de cette oreille. Ils l’enlèvent et, sur leurs épaules, le transportent vers les berges de la Falémé où l’attend une pirogue. Le lieutenant-colonel Reybaud, avec ses jumelles, voit la manœuvre, fait pointer le canon en direction de l’embarcation, ordonne le tir. Niamody Sissoko disparaît dans les flots. Son corps ne sera pas retrouvé. La France venait de commettre, sur notre territoire, son premier crime de guerre et son premier crime contre l’humanité.

Le Président Amadou Toumani Touré se rappelle cette bataille et en récupère la symbolique. A l’occasion des festivités du Cinquantenaire, il fait procéder à une restitution de la résistance sur les lieux mêmes de l’événement. L’acte inspire à Nouhoum Dicko, envoyé spécial à Sabouciré le 3 septembre, la réflexion suivante : « 82 ans après, le Mali de Modibo Keïta accédait à l’indépendance. Sabouciré se pose en cela comme un symbole de la résistance. Point de départ de la colonisation au Mali, le village de Sabouciré est aussi un lieu de mémoire incarnant à travers le 22 septembre 1960 l’arrêt de la colonisation. »

  1. Cependant, non Sabouciré, mais plutôt la nécessité de parer au plus pressé

Certes, Sabouciré est un lieu de mémoire. Mais, elle l’est, au même titre que tous les lieux de résistance à la pénétration coloniale : le Woyowayanko, Diéna, Sikasso, Taquinbawt, Andéranboucane… L’on peut faire entorse à la vérité historique et flatter le sentiment national en établissant la continuité entre le 22 septembre 1878 et le 22 septembre 1960. Cela ne doit nullement occulter que des motivations particulières ont conduit la République Soudanaise comme date de la proclamation de l’indépendance du Mali.

Le congrès extraordinaire de l’Union Soudanaise RDA, convoquée le 22 septembre 1960, était prévue pour durer quatre jours. Il n’a duré qu’un jour. Si le calendrier initial du congrès de l’Union Soudanaise RDA avait été maintenu, cette proclamation serait intervenue le 25 septembre et cette date aurait été retenue comme celle de notre accession à la souveraineté nationale et international.

  1. 1. La sécession du Sénégal

Les raisons du choix de la date du 22 septembre sont à rechercher dans la succession des événements qui se sont produits à partir du 20 août 1960 à Dakar. Ce jour aurait dû être celui de l’élection du Président de la Fédération du Mali. Il a été le jour de son éclatement.

A partir du 20 août, il ne sera plus possible de rapprocher les deux Etats naguère fédérés ; d’où une divergence d’appréciations de la situation entre Sénégalais et Soudanais. Cette divergence transparaît clairement dans les messages que les présidents des conseils de gouvernement des deux Etats adressent au Secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, pour l’informer de ce qui s’est produit à Dakar dans la nuit du 19 au 20 août et des dispositions qu’ils souhaiteraient que le Conseil de Sécurité prenne.

Pour les Sénégalais, leur retrait de la Fédération est irréversible. Dès le 20 août, le télégramme de Mamadou Dia est, en ce sens suffisamment explicite. Il est conçu comme pour signer la première manifestation du nouvel Etat indépendant sur l’arène internationale. Le chef du gouvernement sénégalais rend compte des événements et sollicité l’adhésion du Sénégal à l’ONU en tant qu’Etat indépendant et souverain. Cette demande est réitérée le 23 août.

  1. 2. Le refus de reconnaître la sécession du Sénégal

De leur côté, les Soudanais ne demeurent pas inactifs. Pour eux, pour Modibo Keïta en particulier, la sécession du Sénégal, assimilée à une trahison, ne possède pas de fondement légal car aucune disposition constitutionnelle ne l’autorise. Aussi est-elle sans effet, « la Fédération du Mali continue ».

Les communications avec l’extérieur sont interrompues. Tous les centres de transmission sont occupés. Les Soudanais sont assignés à résidence. Grâce à un petit émetteur, depuis ses appartements, Modibo Keïta parvient à faire parvenir à Hamaciré N’Douré, Président par intérim du Conseil de gouvernement du Soudan, le texte d’un télégramme destiné à Dag Hammarskjöld et daté du 20 août. Le Président du conseil fédéral y donne des précisions sur les événements récemment survenus à Dakar et sollicite une intervention du Conseil de Sécurité pour empêcher la sécession du Sénégal.

Les dirigeants soudanais ne resteront pas longtemps en résidence surveillée à Dakar. Dès le 20 août, ils embarquent dans un train spécial, destination Bamako. Dans la nuit du 22 au 23 août, c’est l’arrivée à Bamako, sous une fine pluie.

Le 25 août est marqué la tenue d’une conférence de presse par Modibo Keïta. Il ne s’est pas encore résolu à accepter la sécession du Sénégal. Aussi anime-t-il la conférence de presse en portant double qualificatif : chef du gouvernement fédéral du Mali et chef du gouvernement de la République soudanaise.

La séance a lieu dans la salle du conseil des ministres à Koulouba en présence des membres du gouvernement et du Bureau Politique National (BPN). Plusieurs points sont abordés lors de la séance, dont la ferme détermination à maintenir l’unité de la Fédération. Il se dit prêt à recourir à tous les moyens, y compris l’usage de la force, pour s’opposer au séparatisme du Sénégal : « Il n’y a rien », déclare-t-il, « que nous ne puissions envisager pour maintenir l’intégrité territoriale du Mali. »

Au cas où l’indépendance du Sénégal serait reconnue par un Etat, à l’égard de cet Etat, répond-il, « nous adopterons une attitude analogue à celle des puissances occidentales à l’égard de la Chine. » Pour lui : « Le Mali est juridiquement indissoluble. » Aussi considère-t-il « comme éphémère une initiative de quelques dirigeants sénégalais qui ont trahi le serment du 17 janvier 1959. »

Ce même 25 août, que Dag Hammarskjöld répond au télégramme transmis par l’intermédiaire de Hamaciré N’Douré. La réponse est loin de donner satisfaction à son destinataire. Elle ne fait mention ni du retrait du Sénégal de la Fédération du Mali ni de la demande d’assistance auprès de l’ONU afin d’empêcher cette sécession. Au contraire, elle insiste sur l’initiative française relative à d’éventuels pourparlers entre les deux désormais ex Etats fédérés.

le 26 août, Modibo Keïta donne suite au télégramme de Dag Hammarskjöld.  Il réitère sa demande d’une assistance auprès de l’ONU en sa qualité de « président Modibo Keïta, président [du] gouvernement fédéral [du] Mali et [du] gouvernement [de la] République soudanaise ». Il termine en précisant : « […] D’autre part, [la] capitale [de la] Fédération [du] Mali [est] provisoirement fixée à Bamako. »

  1. 3. L’évolution vers l’indépendance du Soudan

Cependant, tout semble indiquer que le Président du conseil de gouvernement du Soudan se résout à accepter le divorce. Le 29 août, à la suite de la tenue d’une conférence des cadres de l’Union Soudanaise-RDA et d’une session de l’Assemblée législative du Soudan, il se décide à se rendre à Paris répondre, enfin, à l’invitation du général de Gaulle. Il y arrive le 2 septembre. Le 31 août, deux ministres du gouvernement soudanais, Mamadou Aw et Seydou Badian Kouyaté l’ont précédé dans la capitale française pour remettre, en son nom, une lettre au général de Gaulle.

La rencontre entre les deux chefs de gouvernement est rapportée différemment par Seydou Badian Kouyaté et par Modibo Keïta. Selon le premier, elle a été plutôt tendue, le second insiste, au contraire, sur la courtoisie observée de part et d’autre. Modibo Keïta reproche à son homologue français le rôle négatif joué par son pays dans la crise malienne. De Gaulle reconnaît l’implication de certains responsables français, mais demande que soient abordés les problèmes bilatéraux entre la France et le Soudan.

Un sujet le préoccupe : le sort qui sera réservé à ses troupes stationnées sur le territoire du Soudan. De Gaulle négocie le maintien de ses troupes sur place. Un accord est trouvé. Sur proposition de Modibo Keïta, les troupes françaises évacueront les différents camps militaires disséminés sur l’ensemble du territoire pour se regrouper dans les bases de Kati, Bamako, Gao et Tessalit.

  1. 4. Le congrès du 22 septembre 1960 et la proclamation de l’indépendance de la République du Mali

Le temps joue contre Modibo Keïta. Le 20 septembre, toutes les anciennes colonies françaises au sud du Sahara ont été admises à l’ONU, à l’exception de la Mauritanie, non encore indépendante, du Sénégal et du Soudan. Or, dès le 28 juin, une semaine après la proclamation de son indépendance, la Fédération du Mali avait déposé une demande d’adhésion à l’ONU. Après le 20 août, le Sénégal a renouvelé cette demande mais en tant que République indépendante. Le Conseil de Sécurité se propose de réexaminer, le 28 septembre, la demande formulée le 28 juin, date à laquelle il avait recommandé à l’unanimité l’admission de la Fédération du Mali à l’instance internationale.

L’examen risque d’être défavorable au Soudan. La Fédération du Mali, de facto, a cessé d’exister. Le Sénégal a l’appui de la France, membre permanent du Conseil de Sécurité. Le Soudan n’est pas encore un Etat indépendant et, par conséquent, ne peut formuler une demande d’adhésion. C’est cette situation qui a prévalu pour convoquer le congrès extraordinaire du 22 septembre 1960. La convocation est faite le 15 septembre. Tout devait être terminé le 25 septembre, avant la date butoir du 28 septembre.

Le congrès travaille au pas de charge. Deux discours sont prononcés, celui du Secrétaire politique de l’US-RDA, Idrissa Diarra et celui du Secrétaire général du part, Modibo Keïta. Quatre messages sont entendus ; ceux des Femmes, des Jeunes, des Anciens Combattants et victimes de guerre, de l’Union Nationale des Travailleurs du Soudan. Deux résolutions sont adoptées : la Résolution de politique générale et la Résolution économique.

Modibo Keïta, dans son discours, invite les congressistes « à autoriser l’Assemblée législative :

1° A /appréhender les compétences transférées par la République soudanaise à la Fédération du Mali ;

2° A/ proclamer comme Etat indépendant et souverain la République soudanaise ;

3°A /proclamer que la République soudanaise s’appelle République du Mali, libre de tous engagements et liens politiques vis-à-vis de la France, comme la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire, le Niger, le Dahomey.

L’Assemblée législative vote à l’unanimité ces propositions. La Fédération du Mali a vécu. La République du Mali est née. Le 28 septembre, le Mali et le Sénégal sont admis à l’ONU. Une page de notre histoire nationale vient d’être tournée. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?

Dans une prochaine parution, la réponse à cette question.

  Issiaka Ahmadou Singaré

Docteur d’Etat-ès-Lettres

 Professeur émérite de l’Université de Bamako

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  1. “L’Assemblée législative vote à l’unanimité ces propositions. La Fédération du Mali a vécu. La République du Mali est née. Le 28 septembre, le Mali et le Sénégal sont admis à l’ONU. Une page de notre histoire nationale vient d’être tournée. Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?”

    Monsieur Issiaka Ahmadou Singaré de l’Université de Bamako, on aimerait aussi lire un article long d’expert sur le rôle de la France colonialiste et impérialiste dans la dislocation de la fédération du Mali et la déstabilisation de notre pays après la proclamation formelle de l’indépendance le 22 septembre 1960 !

    En attendant, je republie ici un texte qui constitue sans doute qualitativement la plus grande déclaration de l’histoire politique du Mali moderne.

    Il s’agit du texte rédigé par le président Modibo Keïta avec ses camarades et lu par le représentant de notre pays à l’Assemblée générale des Nations Unies le 28 septembre 1960 à l’occasion de l’admission de la république du Mali à l’ONU.
    Le texte est disponible sur le site de cette organisation à l’adresse suivante : https://research.un.org/fr/docs/ga/quick/regular/15

    “M. AW (Mali) : La délégation de la République du Mali remercie l’Assemblée de son vote unanime pour l’admission de notre pays au sein des Nations Unies. Au nom du peuple du Mali et de son gouvernement, je lui exprime notre entière gratitude et lui dis notre détermination de rester à la hauteur de nos responsabilités en méritant sa confiance. Notre gratitude va tout particulièrement aux deux nations sœurs, Ceylan et la Tunisie, qui nous ont fait l’honneur de parrainer notre candidature au Conseil de sécurité. Est-il besoin de préciser que ce choix découle naturellement de notre option pour le renforcement de la solidarité des Etats d’Asie et d’Afrique ?

    Ceux qui ont suivi les événements survenus en Fédération du Mali ces derniers temps ont sans doute été surpris de voir s’ajouter à la liste des parrains que nous avons choisis, c’est-à-dire Ceylan et la Tunisie, un troisième parrain, que nous n’avons pas sollicité. Nous considérons cette initiative de la France comme un acte contre nature, que nous tenons à dénoncer solennellement à cette tribune au nom du gouvernement et du peuple du Mali. Nous tenons à dénoncer les manœuvres mesquines qui se sont poursuivies dans les couloirs de l’ONU depuis la proclamation de notre république, manœuvres recourant parfois à la propagation de fausses nouvelles, à des tentatives d’usage de faux, pour nous imposer ce parrainage malgré une mise en garde exprimée à la délégation française. Ces manœuvres, appuyées par une campagne orchestrée dans la presse parisienne, tendent à semer la confusion dans l’opinion internationale en essayant de masquer cette réalité qu’un parrainage suppose un minimum de confiance et d’amitié qui n’existe pas, en ce moment, entre la France et notre pays.

    Notre première intervention à cette tribune ne saurait se limiter à rendre le juste hommage que nous devons à l’Organisation. Nous avons assisté ici, la semaine dernière, avec la même émotion que tous nos frères africains, à l’admission sans histoire de nouvelles nations africaines tandis que celle de notre pays était différée. Telle celle de l’enfant qui naît dans la douleur, notre naissance à la vie internationale n’aura pas été sans mal. Aussi me fais-je un devoir de dire à l’Assemblée que notre fierté et notre joie n’en sont pas moins grandes. Pour lever ou pour prévenir toute équivoque, il est bon qu’aujourd’hui même les peuples du monde ici réunis sachent qui nous sommes et pourquoi nous nous sommes présentés à cette entrée solennelle avec un léger retard sur l’horaire prévu.

    On se doute que nous aurions préféré parler ici, aujourd’hui, au nom de la Fédération du Mali. Les raisons de notre attachement à la Fédération échappent parfois à l’observateur non averti. C’est pourquoi vous me permettrez de vous en indiquer quelques-unes. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Fédération du Mali est plus connue de vous que les Etats qui la composaient. Voici quelques années, le prestigieux nom de Ghana couvrait la première république indépendante d’Afrique noire d’après guerre. Il y a 18 mois, avec le retentissement de ces deux syllabes : Ma-li, une deuxième page, tout aussi glorieuse, de 1’histoire de l’Afrique émergeait de l’obscurantisme colonial. En effet, il y a huit siècles, des souverains mandingues présidaient aux destinées d’un empire qui n’enviait rien aux trônes d’Europe et qui entretenait déjà des relations diplomatiques avec beaucoup de pays. Depuis 18 mois, les chancelleries du monde supputent les chances de notre génération de pouvoir réincarner en ces temps modernes les qualités d’organisation et d’administration de nos ancêtres bâtisseurs d’empire. Certains chroniqueurs n’ont pas manqué de chercher dans l’adoption du glorieux patronyme pour notre jeune fédération une secrète intention de renouer avec le militarisme conquérant qui avait marqué l’apogée de l’empire du Mali. Deux syllabes, en si peu de temps, venaient de rappeler à des millions d’Africains que l’Europe ne les a pas fait naître à la civilisation et il n’y avait pas de meilleur stimulant pour nous débarrasser de ce complexe qui est à la base de la dépersonnalisation de l’Afrique.

    Le Mali, c’est tout cela, et la Fédération du Mali c’était encore plus. En effet, en 18 mois, nous avions, au prix de mille efforts, mis en place l’infrastructure administrative d’un Etat moderne. Nous avions voté des institutions et des lois sur la base desquelles nous avions contracté des engagements internationaux. Nous avions, surtout, donné une nationalité à 7 millions d’hommes et de femmes. Nous avions remis son étendard à une armée qui, aujourd’hui encore, apporte notre contribution à la lutte que mène le peuple congolais pour la consolidation de son indépendance nationale et le maintien de l’intégrité territoriale de la jeune République du Congo menacée par des forces impérialistes.

    C’est tout cela qui nous attachait à la Fédération du Mali. C’est tout cela qui nous fait considérer, à nous Maliens du Soudan, la sécession de notre partenaire comme un scandale que rien ne saurait justifier, un scandale qui éclabousse tous les Africains préoccupés de la recherche de leur unité politique. Notre obstination à vouloir maintenir à tout prix la fédération trouve sa justification en cela et rien qu’en cela. Nous ne pouvons pas comprendre qu’hier Mali fût synonyme de grandeur et de personnalité africaines et qu’aujourd’hui on s’empresse de détruire tout ce qui se rapporte à ce nom. Nous ne pouvons pas comprendre que les impératifs politiques, économiques et culturels qui justifient une fédération, vrais hier, ne le soient pas aujourd’hui. Car, pour nous, il existe certaines vérités auxquelles nous continuons de croire.

    Pourquoi ne pas avouer qu’après tout cela nous sommes peinés devant les tentatives de justification puérile qui se donnent libre cours depuis le 20 août ? Nous sommes peinés de voir des Africains se vanter d’avoir été dépersonnalisés par la colonisation et nous mesurons le chemin qui reste à parcourir pour l’émancipation complète de l’Afrique quand nous voyons ériger en doctrine révolutionnaire le radicalisme déliquescent et la logomachie stérile. Cependant, nous demeurons optimistes parce que persuadés que le jour n’est pas loin où tous les peuples africains se libéreront, y compris celui auquel les chantres mêmes de la négritude essaient de dénier son vieux fond africain.

    Nous disons : tous les peuples africains, et singulièrement le peuple algérien. Nous dirons, le moment venu, tout ce que nous pensons de ce problème. Nous nous réservons d’en parler ici tant qu’il faudra. Mais puisque l’une des raisons capitales du complot qui a abouti à l’éclatement de la Fédération du Mali est précisément notre position sur ce problème, nous tenons à affirmer dès maintenant que cette position n’a pas varié. Notre position face à la guerre colonialiste d’Algérie, quand nous étions encore dans la Communauté française, reste celle de tous les Africains devant leur conscience : l’Algérie est une colonie française comme, hier, l’était la République soudanaise; et le peuple algérien se bat depuis plus de cinq ans pour recouvrer sa liberté. Les Etats africains dont la France vient de reconnaître l’indépendance ne peuvent pas ignorer que les sacrifices des combattants algériens, qui avaient été précédés par les sacrifices des patriotes vietnamiens, sont à l’origine du processus qui a conduit à la désagrégation de l’empire colonial français. Les Etats africains indépendants ne peuvent pas dénier au peuple algérien le droit d’être indépendant. C’est cela que nous avons dit et que nous continuons de dire. C’est le moins que les Africains puissent faire. En ce qui nous concerne, nous estimons que la guerre d’Algérie est, à elle seule, une raison suffisante de rupture entre la France et les Etats africains.

    On a beaucoup parlé de génocide à propos du Congo, où des bandes, armées par les colonialistes, tentent de renverser le gouvernement légal du pays. Mais nous pensons que le crime de génocide est impunément perpétré depuis des années contre l’Algérie, où des patriotes sont massacrés parce qu’ils veulent disposer d’eux-mêmes. Voilà ce que nous avons toujours pensé et ce que nous n’avons jamais caché.

    Le fait sur lequel nous nous arrêtons maintenant, c’est qu’à ce crime on voudrait associer des Etats africains. Nous espérons que nul ne s’y trompera et qu’aucun Africain, aucun Etat africain, ne se trouvera une vocation suffisamment communautaire avec la France pour accepter une complicité aussi lourde de conséquences. Nous affirmons notre solidarité complète avec le peuple algérien, dont le martyre n’a que trop duré et dont la cause, nous en sommes sûrs, triomphera parce qu’elle est juste.

    Les raisons profondes qui ont amené l’Etat soudanais à défendre la fédération jusqu’au bout, c’est-à-dire jusque devant le verdict de l’Organisation des Nations Unies, sont celles que je viens de vous indiquer. Permettez-moi maintenant d’essayer d’analyser brièvement les raisons de notre échec. Le cas de l’Algérie est l’une de ces raisons, car cet échec ne saurait être minimisé par personne, étant donné son importance pour ce qui est de la construction de l’unité africaine. Je voudrais vous rappeler que la fédération s’était imposée après une année d’efforts persévérants et obstinés de la part de ses dirigeants. La Fédération du Mali apparaissait comme l’expression d’un véritable nationalisme au courant irrésistible, dont les lames de fond partaient de Bamako et qu’on a voulu endiguer à tout prix. S’il est vrai que la Guinée a ouvert, en septembre 1958, une brèche dans l’édifice colonial français, il n’est pas moins vrai que c’est le Mali qui s’est acharné durement et patiemment sur les fondations mêmes de cet édifice historiquement condamné à l’effondrement.

    Ainsi, la Fédération du Mali a été considérée comme le responsable de ces indépendances en chaîne. Voilà pourquoi le Mali resta toujours au banc des accusés. Nous ne pouvions pas nous faire d’illusions parce que l’histoire ne compte pas d’exemple où le colonisateur renonce librement à ses colonies. L’émancipation d’une colonie a toujours résulté d’une pression, que cette pression soit exercée directement par celui qui se libère ou qu’elle soit exercée par d’autres mouvements révolutionnaires en d’autres points du globe. En Fédération du Mali, les événements se sont précipités lorsque les impérialistes se sont aperçus que l’aile nationaliste du Mali n’acceptait pas le contenu néo-colonialiste qu’on voulait donner aux accords franco-maliens. Il y avait au Mali des hommes qui ont voulu la réalité de leur indépendance, et dès que l’on s’est rendu à cette évidence, c’en était fait de la fédération.

    La France s’est empressée de consacrer définitivement la dislocation de la Fédération du Mali en reconnaissant l’indépendance d’un des Etats fédérés. Le partenaire soudanais du Mali devait par conséquent en tirer la conséquence logique suivante : les accords franco-maliens avaient été conclus entre la France et la Fédération du Mali, et non pas avec l’un quelconque des Etats fédérés. En conséquence, la disparition de la Fédération du Mali entraînait ipso facto la caducité des accords franco-maliens. C’est ainsi que la République soudanaise devient République du Mali, libre de tous engagements et de tous liens politiques. C’est ce qu’a consacré notre Assemblée législative en votant par acclamation, le 22 septembre 1960, la loi N° 60-35/AL/RS dont je voudrais vous donner lecture :

    ”Art. 1er. – La République soudanaise prend, pour compter du 22 septembre 1960 à 11 h 25, la dénomination de “République du Mali”, Etat indépendant et souverain. L’Etat indépendant et souverain de la République du Mali est libre de tous engagements et liens politiques.
    ”Art. 2. – La présente loi sera promulguée suivant la procédure d’urgence.”

    Il m’a paru essentiel d’indiquer sans équivoque la situation exacte de la nouvelle République du Mali qui vient d’être admise dans la grande famille des nations. On pourrait dire : “Le Mali est mort, vive le Mali.”

    Aujourd’hui, le Mali est physiquement un territoire de 4 millions et demi d’habitants, qui va de Tombouctou, porte du Sahara, à la lisière de la forêt, et qui demeure l’un des plus riches patrimoines des noirs d’Afrique, qui y trouvent des raisons d’espérer.

    Cette année 1960, a-t-on dit, est sans doute l’année africaine. De même, ce demi-siècle sera-t-il sans doute celui de l’Afrique. L’Afrique qui se cherche est l’Afrique qui sort de plusieurs siècles de domination, une Afrique consciente du fait qu’elle ne pourra assumer son destin que dans la liberté et l’unité. A cet égard, nous pensons que les regroupements ne pourront se faire de façon durable que sur des bases solides, des bases telles que l’harmonie dans la pensée politique – impliquant des structures politiques identiques, une conception identique de l’Etat et de l’économie – et la volonté réelle de donner la priorité à la communauté africaine sur toutes les autres communautés. Aucune autre formule, surtout lorsque cette formule est soufflée de l’extérieur, ne pourra réaliser entre nos peuples ce front uni indispensable.

    Des tables rondes entre dirigeants politiques africains n’auront pas à décider de l’unité africaine selon l’humeur des participants, mais ceux-ci devront plutôt se conformer aux aspirations de leurs peuples. Fédération ou confédération, multinationale ou non : autant de formules désormais galvaudées dans le vocabulaire africain et qui ne sont plus que des thèmes de construction théorique. Si les regroupements à venir ne reposaient pas sur les critères que nous venons de définir, le néo-colonialisme pourrait toujours, chaque fois qu’il en a besoin, trouver quelques hommes de paille pour ruiner nos efforts. Au-dessus des regroupements qui pourront se faire dans une aire géographique donnée, il faut, selon l’esprit de Bandoung, la solidarité de tous les pays en voie de développement, de tous les peuples anticolonialistes et anti-impérialistes, pour la défense de leur indépendance menacée par ceux qui rêvent, nous ne dirons pas de la balkanisation, mais bien de la katanganisation systématique des pays africains. Il faut que se réalise ce front de tous ceux qui courent le même danger. Il faut éviter le piège des regroupements télécommandés correspondant aux zones de domination des anciennes métropoles. En face de la menace que la coalition des intérêts internationaux fait peser sur l’existence même de nos jeunes Etats, la communauté de langues étrangères a moins d’importance que notre volonté commune d’émancipation totale.

    Il est aussi une autre question qui se pose aujourd’hui avec, je dirai, une certaine brutalité, pour les jeunes Etats qui naissent à la vie internationale. On nous demande, presque sans ménagement : “Allez-vous à l’Est ou à l’Ouest ?” Nous allons essayer de vous exposer le point de vue du Gouvernement de la République du Mali. Ce sont en effet des problèmes auxquels nous réfléchissons depuis longtemps déjà. Entre quoi et quoi nous demande-t-on de choisir ? Il n’est pas inutile, à notre avis, de se poser cette question élémentaire avant de parler de blocs, de guerre froide, de liberté ou de totalitarisme. S’il s’agit d’un choix entre deux idéologies – communisme ou capitalisme – nous disons que ni l’une ni l’autre, dans leur acception classique, ne correspondent à nos réalités d’aujourd’hui.

    Nous sommes une société sans classe, dont nous venons d’extirper le tribalisme. Il n’existe pas de classe possédante et l’unique exploiteur de toute notre collectivité a été, jusqu’à ce jour, le colonisateur. Il n’y a pas non plus de sectarisme à base religieuse, l’immense majorité des musulmans et animistes s’entendant parfaitement avec la minorité chrétienne.

    Voilà en peu de mots l’image de notre société. Il faut ajouter que, malgré 80 ans de domination coloniale, notre peuple a conservé ce sens col1ectiviste qualifié de primitif et qui, pour nous, est le fondement d’un véritable humanisme africain fait de justice et de solidarité. La fidélité à ces valeurs et leur adaptation aux exigences du monde moderne constituent la toile de fond de notre idéologie. Notre objectif est toujours l’accélération de notre développement, la condition première de ce développement étant bien entendu la liquidation complète de la domination et de l’exploitation étrangères. Aujourd’hui prend fin pour nous l’état de sujétion directe, issu du fait colonial, et nous avons parfaitement conscience de la menace des sujétions indirectes pouvant découler de l’aide extérieure assortie de conditions politiques. Mais nous sommes confiants; nous pensons être à la hauteur de nos responsabilités. Notre attachement à la solidarité des peuples et à la paix du monde nous interdit d’ignorer quelque nation ou groupe de nations que ce soit. Mais nous tenons à affirmer sans équivoque que le respect imprescriptible de notre souveraineté nationale conditionnera toutes nos alliances.

    Nous ne voudrions pas entamer ici de polémique sur le neutralisme positif; mais nous sommes obligés de constater que le choix dont il est souvent question revient à ignorer délibérément l’une des deux moitiés du monde et nous nous demandons s’il est vraiment souhaitable que les nouveaux Etats fassent un tel choix. Car, en fait, de quoi s’agit-il ? D’un monde divisé en deux, de nations qui existent et d’autres qui naissent. Si les nouvelles nations se répartissaient systématiquement entre les deux blocs, la division du monde ne pourrait que s’en cristalliser davantage tandis que, si nous nous assignions un rôle de trait d’union, il y aurait une chance supplémentaire de rapprochement entre tous les peuples. Certains chefs d’Etat européens continuent de rêver d’une troisième force européenne, et là nous constatons que ce n’est plus entre l’Est et l’Ouest, mais entre l’Union soviétique et les Etats-Unis d’Amérique. Cela supposerait que le bloc occidental se scinde en deux. C’est du reste parmi les protagonistes de cette théorie de la troisième force que nous retrouvons ceux qui rappellent aux Russes qu’ils n’ont pas la même couleur de peau que les Chinois et nous constatons, là également, le désir de voir la scission à l’Est.

    Nous estimons que ce sont là des vues de l’esprit. S’il est vrai que les blocs se sont constitués sur des bases idéologiques inconciliables, la troisième force – qui ne serait d’ailleurs nullement une force offensive, tant s’en faut, mais plutôt un élément d’équilibre et un facteur de paix – pourrait se trouver dans le front uni des jeunes nations, des pays sous-développés ayant besoin de paix pour l’édification d’une indépendance économique réelle. Nous sommes des partisans résolus de la coexistence pacifique.

    Telles sont les conceptions du Gouvernement de la République du Mali en face des grands problèmes qui préoccupent le monde. Quant à notre conception de la méthode de gouvernement, nous voulons aussi en dire un mot. Nous ne sommes pas impressionnés par les diverses campagnes tendant à faire apparaître les nouveaux Etats africains soucieux de maintenir, pour leur construction nationale, l’ordre et la sécurité intérieurs, comme des Etats totalitaires. Nous sommes pour une démocratie forte, pour une véritable démocratie s’appuyant sur le peuple et permettant à un jeune Etat de faire face à toutes ses responsabilités.

    D’aucuns pensent que les jeunes nations en voie de développement n’ont pas de rôle à jouer dans cette assemblée. Racisme, hégémonie des grands sur les petits, voilà ce que nous découvrons dans cette manière de penser qui ne peut que compromettre la paix du monde et la solidarité internationale. Nous pensons que tous les peuples ont droit au respect, car la force ne prime le droit que sur les champs de bataille. S’il était admis que, pour être écouté dans les débats internationaux, il faut disposer d’une puissance militaire qui en impose, ceux qui jouent les ténors se verraient ravalés au rang d’enfants de chœur. Il faut que nous en ayons conscience les uns et les autres et que nous restions fidèles à l’esprit de la Charte des Nations Unies. Il n’y a qu’une Afrique libre, maîtresse de son destin, qui pourra apporter une contribution efficace à la paix du monde. L’opération Mali ou l’opération Congo, peut-être d’autres encore, ne sont que des opérations à court terme sur lesquelles les impérialistes ont tort de miser.

    Nous voulons aussi rappeler une chose, c’est que les stratèges de l’impérialisme ont toujours négligé le fait national dans les pays coloniaux et dépendants, et ceci est un point très important. Il ne m’est pas possible de terminer sans en faire mention. Ceux qui méconnaissent ce fait se trompent lorsqu’ils pensent que nous pouvons troquer notre dignité nationale contre la promesse d’une assistance matérielle illusoire. Pour les 4 millions et demi de Maliens que nous avons l’honneur de représenter ici, la volonté d’être libres, quel qu’en soit le prix, est irrévocable. Parfaitement conscients de l’interdépendance des peuples et des impératifs de la solidarité universelle, nous ne sommes pas moins déterminés à vivre d’abord par nous-mêmes. Notre peuple préfère la privation matérielle à l’aliénation de sa dignité. Nous en avons connu d’autres au cours de 80 ans de colonisation et nous affirmons ici que la vague d’indépendance qui déferle sur l’Afrique est irrésistible. Il serait dangereux pour la paix du monde que les anciennes métropoles qui ont régné sur l’Afrique conservent le secret espoir d’un droit de préemption sur nos jeunes Etats en fomentant des complots contre leur souveraineté. Le grand espoir de l’humanité, c’est qu’à cette tribune disparaissent tous les complexes entre grands et petits pour que notre bonne volonté soit à la mesure de notre ambition commune de bâtir un monde de paix et de liberté.

    Tel est le message qu’apporte la jeune République du Mali à l’Assemblée. C’est le message d’un peuple mûri dans l’épreuve, d’un peuple organisé, discipliné, avec une parfaite conscience de ses responsabilités et qui entend jouer son rôle dans l’édification d’une communauté universelle à base de justice et de paix.”

    • Je republie également la déclaration du représentant de l’URSS à l’ONU le 28 septembre 1960.

      “M. ZORINE (Union des Républiques socialistes soviétiques) [traduit du russe] :

      […]

      Le Conseil de sécurité a déjà examiné il y a quelque temps la question de l’admission de la Fédération du Mali à l’Organisation des Nations Unies et a pris une décision positive à cet égard. Il a recommandé par un vote unanime que ce nouvel Etat indépendant d’Afrique soit admis comme Membre de l’Organisation des Nations Unies.

      Toutefois, le sort n’a pas voulu que la Fédération du Mali existe encore au moment où cette recommandation aurait été approuvée par l’Assemblée générale. Apparemment il s’est trouvé, dans le monde, certains éléments qui ne souhaitaient pas le maintien de cette association d’Etats et voulaient même qu’elle se désagrège. C’est pourquoi nous voici obligés de reprendre maintenant la question de l’admission, cette fois, des Etats qui formaient récemment encore cette fédération. Il nous est actuellement difficile d’entrer dans le détail des événements qui ont amené la dissolution de la Fédération; toutefois il est naturel qu’un tel événement nous inspire de l’amertume.

      Dans son intervention au Conseil de sécurité le 28 juin 1960, au moment où la demande d’admission de la Fédération du Mali était examinée, le représentant de l’Union soviétique a déclaré :
      “La naissance en Afrique de nouveaux Etats indépendants est un événement caractéristique de notre temps, qui témoigne des grands succès obtenus par les peuples africains dans la lutte qu’ils mènent pour secouer le joug colonialiste et impérialiste et de l’approche imminente du jour où tout le continent africain sera libre.” [869ème séance, par. 74.]

      La délégation soviétique désire maintenant souligner aussi que, malgré tous les obstacles opposés par les colonialistes au développement du mouvement de libération nationale en Afrique, ce mouvement croît et se développe.

      Il est donc naturel que la délégation soviétique appuie sans réserve la demande d’admission à l’Organisation des Nations Unies présentée par le Gouvernement de la République du Mali et le Gouvernement du Sénégal.

      Nous avions accueilli avec une satisfaction sincère la naissance de la Fédération du Mali, souhaitant aux peuples qui la formaient de pleinement réussir à consolider leur indépendance et leur démocratie, et à assurer leur prospérité. Nous reportons maintenant ces vœux sur les deux nouveaux Etats et nous exprimons l’espoir qu’ils sauront avancer avec succès sur la voie difficile, mais glorieuse, du renforcement de leur indépendance.

      Nous voudrions exprimer la conviction que ces deux nouveaux Etats africains contribueront à renforcer l’unité des Etats africains dans la lutte qu’ils mènent contre le colonialisme pour assurer leur indépendance.

      La délégation soviétique exprime également la certitude que la République du Mali et la République du Sénégal sauront contribuer comme il convient à 1’œuvre de notre organisation en aidant à assurer la paix et la sécurité internationales.”

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