Notre histoire réelle ne s’écrira qu’en phase avec les actes, les comportements et tous les maux qui rongent notre société et qui sont comme les maladies infantiles de nos pays en développement, avant l’avènement de la société industrielle, celle tant recherchée pour le futur, une terrible mais incontournable aspiration au modèle occidental qui a conquis et dominé le monde. Lorsque chacun reconnaît le rôle qu’il a joué dans l’histoire de son pays, à telle ou telle époque, il devient de plus en plus aisé d’aborder les questions fondamentales du développement économique et social sans leurres, sans ambiguïté, avec courage et abnégation.
L’AMS-UNEEM face à la fausse tombe de Abdoul Karim Camara dit Cabral
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C’est en 1991, à la faveur de la révolution du 26 mars qui a provoqué le renversement du système dictatorial de Moussa Traoré, que sera levé un petit coin de voile sur l’assassinat odieux d’Abdoul Karim Camara dit Cabral, secrétaire général de l’UNEEM. Je dis bien un coin de voile dans la mesure où les circonstances dans lesquelles il est mort n’ont jamais été entièrement élucidées.
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C’est là où on peut déceler une des grandes différences entre la civilisation judéo-chrétienne et la nôtre : la confession est une pratique où il est demandé aux fidèles d’avouer leurs pêchés dans le secret d’un confessionnal à un prêtre, en une confidence inviolable, pour que Dieu puisse leur accorder son pardon, en foi de quoi le prêtre leur accorde l’absolution.
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Dans toutes nos cultures, il est bien sûr demandé de ne pas mentir, mais à côté, il est de bon ton de ne pas tout dire aussi, ce qui revient à recommander de garder certaines choses secrètes jusqu’à sa mort pour ne pas mettre en cause autrui, ce qu’on appelle en d’autres termes “ soutoura “, la couverture d’autrui ou de soi-même.
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Cette culture entraîne la disparition d’un énorme quanta de témoignages divers qui auraient pu contribuer à améliorer l’éclairage de bien des choses pour le Mali. Par là, nous nous trouvons en plein dans le syndrome de la culture des sociétés secrètes, où les initiés sont tenus de garder strictement entre eux les secrets de leur initiation, et cela est parfaitement illustré par les pratiques en cours dans la société bamanan.
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La tombe présentée au cimetière de Lafiabougou comme étant le sépulcre de Cabral n’est pas authentique ! Nous nous trouvons en présence d’un phénomène qui ressemble aux contraintes des initiés !
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En 1991 ATT, qui était à l’époque le président du CTSP, a présenté un homme en tenue qui, dira-t-on, était à l’époque sergent. Il l’a fait jurer devant certains camarades qui passaient pour être des figures de proue du mouvement de la jeunesse estudiantine et de la lutte pro-démocratie : Me Demba Diallo, Oumar Mariko, Tièblé Dramé.
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Il voulait prendre ces figures de proue à témoin, à cette époque d’effervescence, de ce que ce sergent allait dire et qui devait changer le cours de l’histoire à partir de cet instant. Cet sergent déclarera qu’il était parmi ceux qui avaient enterré Cabral nuitamment. Cet homme a affirmé que lorsqu’ils ont eut fini leur besogne, lui il a pensé à mettre une tasse qui traînait à cet endroit pour pouvoir le retrouver plus tard ! Ce sergent ajoutait qu’il savait qu’un jour ce problème de la localisation de la tombe de Cabral allait se poser.
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Il reste à savoir quel crédit devait-on accorder aux propos de ce sergent, en présence d’un lieutenant-colonel, de surcroît chef de l’Etat, qui ce jour, faisant face aux pressions du mouvement estudiantin, avait décidé de lever un des pans des secrets d’Etat, après la chute du régime.
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Un sergent pouvait-il réellement s’élever à un tel niveau de rationalisme cartésien, en ces temps où le régime qu’il servait par ailleurs se trouvait aux abois, pour s’occuper du détail de prendre des repères en prévision des enquêtes de l’avenir ? Il y a lieu de se demander pourquoi ne l’a-t-il pas fait auparavant et de façon tout à fait spontanée. Ce que je vais ajouter à cela, c’est qu’à l’époque des faits, les acteurs du mouvement estudiantin étaient tellement bien organisés et si bien informés que faire un enterrement secret à ce lieu était pratiquement impossible quelle qu’en soit l’heure. Et même si cela avait été fait, dans la pire des hypothèses, ils n’auraient pas attendu douze ans pour découvrir la tombe de leur cher camarade assassiné. Le mouvement jouissait de tant de sympathies et d’une aura si rayonnante que l’UNEEM, à l’époque, a pu bénéficier de la sympathie effective de militaires, de gendarmes et de policiers qui avaient compris la justesse de son combat ! Tous ceux-ci soutenaient la lutte des étudiants dans la plus grande discrétion et ils agissaient efficacement en fournissant aux camarades certaines informations capitales pour leur protection. Le secret de la localisation de la tombe de Cabral n’aurait pas été gardé bien longtemps dans de telles conditions !
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L’hypothèse la plus crédible semble être que Cabral a pu être enterré quelque part non loin du camp para, dans un jardin, mais aucunement à Lafiabougou ! L’occasion me sera donnée d’être conforté dans le doute sur ces allégations plusieurs années après, alors que j’étais secrétaire général de l’AMS-UNEEM.
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En effet, un jour, à la veille des cérémonies du 17 mars, date anniversaire de l’assassinat de Cabral que nous commémorions dans la communion avec la famille de Cabral et tous les camarades, un fait a contribué à la confirmation de nos doutes. Le frère aîné de Cabral, du nom de Farikou, qui était à l’époque chef de cabinet du ministère des Affaires étrangères, m’a tenu les propos ci-après: “Thiam, cette année, nous n’allons pas assister aux cérémonies commémoratives car nous pensons que la farce n’a que trop duré ! Tu sais bien que cette tombe sur laquelle nous allons nous recueillir n’est pas la tombe réelle de notre frère ! Mais pour vous, à cause de votre sacrifice et pour le combat que vous menez, nous avons accepté de jouer cette comédie en nous disant que si c’était le prix à payer à l’époque pour arrêter la tuerie et mettre fin à l’atmosphère délétère qui régnait, il fallait jouer le jeu, quitte plus tard à demander de nous révéler où était réellement le corps de notre frère !
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Ainsi, nous pourrons organiser pour lui de vraies funérailles pour que son âme repose en paix et pour que nous aussi nous puissions sortir de notre cauchemar ! Tant que cette “ vraie “ tombe ne nous aura pas été montrée, nos nuits seront hantées par l’esprit de notre frère. Il y a de cela quelques années, nous sommes partis voir Alpha pour lui demander de faire la lumière sur l’assassinat de Cabral ! Ce n’était pas dans l’esprit de poursuivre quelqu’un ni dans la recherche d’une quelconque vengeance ! C’était dans un élan de recherche de la vérité car nous étions sûrs qu’on nous avait menti à l’époque et qu’on avait menti à tout le peuple malien. Le président Alpha avait promis de faire la lumière sur cette question, mais voilà, depuis 1992, rien de nouveau n’est survenu et en dépit de notre patience, nous considérons ce silence comme reflétant un mépris.
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Depuis 1991, le maçon que nous avions payé à l’époque pour réhabiliter la tombe nous a rapporté que ce n’était pas le lieu d’une vieille sépulture et pour preuve, il n’avait trouvé aucun ossement dans le trou qu’il avait creusé. Nous avions donc une confirmation “ en béton “ de la part du maçon. Fort de tout cela, nous avions alors approché le président Alpha qui venait d’être élu. A cette époque, il nous était loisible d’aller nous installer dans le studio d’une radio privée pour balancer l’information et mettre le régime en difficulté en mettant le feu aux poudres dans les circonstances de tension que l’on sait, mais nous avons choisi la voie de la sagesse. Tout cela, c’était avec une arrière pensée : nous espérions que les nouvelles autorités au pouvoir allaient nous renvoyer l’ascenseur en nous donnant la vraie version des choses. “
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Grand frère, devais-je répondre à M. Farikou, je suis tout à fait d’accord avec la famille et je m’associe à leur volonté de rétablir la vérité historique en quelque sorte ! Et je ferai un compte rendu fidèle de cet entretien aux autres camarades à une réunion extraordinaire que je vais convoquer. La séquence du recueillement au cimetière, je vais la retirer du programme cette année afin de vous mettre à l’aise et nous allons nous en tenir au dépôt de la gerbe de fleurs au monument Cabral et j’espère que la famille n’éprouvera aucune difficulté à participer à cette phase de la cérémonie.
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Par ailleurs, cher aîné, il nous est même revenu que, selon, certaines sources, le corps de Cabral aurait été envoyé à Gao et ce serait là-bas qu’il aurait été enterré ! Cependant, tant que nous n’avons pas à notre disposition des informations fiables sur l’endroit précis qui nous préoccupe, il n’est pas prudent d’entreprendre la moindre action tendant à dénoncer quoi que ce soit ni à célébrer quoi que ce soit, et nous avons le devoir d’agir avec le maximum de sérénité et de sens de la mesure, pour préserver l’équilibre des nombreux militants pour qui le symbole est sacré.
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Parole de jeune frère, mais le grand frère a bien compris que c’était la sagesse qui venait de s’exprimer par ma bouche. Il me fixa longtemps sans m’exprimer son approbation. Il prit congé de moi sur le pas de la porte de son bureau à Koulouba, à l’Hôtel des Affaires étrangères. Plusieurs années après, lors d’une cérémonie de commémoration de l’assassinat de Cabral, Oumar Mariko m’a approché et m’a posé la question suivante « Pourquoi continuer à vous taire sur les causes et les circonstances de la mort de Cabral ? Pourquoi ne pas demander au gouvernement de vous montrer la tombe réelle de notre camarade ? Celui qui est président de la République aujourd’hui et qui se dit votre ami n’était-il pas à l’époque le chef adjoint du camp para ? Tout cela n’incline-t-il pas à penser qu’il devrait bien en savoir quelque chose ? ». J’ai ainsi répliqué aux propos de Oumar Mariko : “Camarade, mais tu étais membre du CTSP à cette époque ! C’était l’instance suprême de l’Etat.
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Pourquoi tu n’as pas pesé de tout ton poids pour que la lumière soit faite ? Pourquoi as-tu attendu aujourd’hui pour poser tes questions ? Ce 17 mars 1991, c’est toi qui étais le secrétaire général de l’AEEM ! Tu étais à l’époque à la tête de cette organisation très puissante et pourquoi as-tu mobilisé les élèves et étudiants depuis le rond-point Babemba jusqu’au cimetière de Lafiabougou pour aller montrer cette tombe ? Ce jour, je me rappelle qu’il y avait, aux côtés des élèves et étudiants, tous les anciens de l’UNEEM et d’autres camarades comme Victor Sy, Mamadou Doukouré dit VO, Me Diabaté, etc.
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N’est-ce pas toi qui a organisé cette mobilisation monstre pour drainer la foule sur le site de cette fiction de tombe dans ce qui ne deviendra qu’une vraie parodie, une mascarade ? Ce jour-là c’était comme si tu avais un rôle à jouer ! Et le plus beau, c’est que tous nous t’avons suivi ! Et pourtant tous nous étions convaincus, malgré tout, que ce n’était pas la vraie localisation de la tombe. Pourquoi subitement veux-tu que moi je prenne le risque de dire ce que je ne peux prouver réellement ? Je ne te demande rien de plus qu’une seule chose si tu connais réellement la vérité, dis la moi et je ferais séance tenante une déclaration rectificative à la presse. Dans le cas contraire, je suis au regret de te dire que je ne suis plus ni un élève ni un étudiant pour poser des actes de cette nature non ! Je sais comme bien d’autres que le lieu exact n’a pas été réellement révélé, mais je reste convaincu qu’avec le temps, nous allons savoir où a été effectué la sépulture réelle de notre camarade !
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Il est choquant de voir que 16 ans après la victoire contre un système qui a ballonné et muselé le peuple, tué ses fils qui se sont levés contre la dictature que ses anciens bourreaux reviennent sous le sigle de la réconciliation nationale aux commandes de l’Etat avec des compliments et toutes sortes de médailles pour nous dire à nous autres qu’on avait mal fait de s’en prendre à ce système. Une des raisons de l’oubli de la famille Cabral et des compagnons de Cabral.
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Quand le président lui-même affirme lors d’une conférence au Centre international de conférence de Bamako qu’il reconnaît que des gens ont souffert et ont tout sacrifié pour le pays et il les connaît très bien puisqu’ils ont défilé sous ses yeux et entre ses mains. Après son élection à la magistrature suprême ces personnes continuent d’être des martyrs, c’est grave. Le président dans la même adresse dit ceci : « Je reconnais que des personnes qui n’ont rien foutu sont dans la grâce de l’Etat ». Celui qui doit corriger l’injustice s’en fait le défenseur. Vive la République à ceux-ci chaque fois qu’on les rencontre on fait semblant de bien les aimer en leur disant « attendez, je pense à vous ».
rnMamaoutou Thiam
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