Témoignage historique : Comment le président Modibo Kéïta a vécu et vaincu la première rébellion touareg en 1963

19 Mar 2012 - 00:10
19 Mar 2012 - 12:12
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Premier président du Mali indépendant (19960-1968) feu Modibo Kéïta a dû faire face à la toute première rébellion touareg ou plutôt, précise t-il lui-même " une rébellion circonscrit au seul cercle de Kidal ". Il l'a vaincu grâce à trois facteurs conjugués : une intervention militaire qui a consisté à poursuivre les insurgés jusqu'à leur dernier retranchement, c'est-à-dire les montagnes et grottes de Kidal où ils avaient l'habitude de se retrancher une fois leurs forfaits accomplis ; une politique de sensibilisation des  populations de Kidal menée par le parti au pouvoir de l'époque, l'US RDA, pour les éloigner de toute tentation d'apporter quelque soutien que ce soit aux rebelles ; enfin, une coopération efficace avec l'Algérie qui a verrouillé ses frontières afin que son territoire ne serve pas de base de repli et de source d'approvisionnement en armes, munitions et vivres aux insurgés. Le président Modibo Kéïta a fait ces révélations au cours d'une conférence qu'il a tenue à Alger en 1965 après que les forces républicaines eurent maté les fauteurs de troubles kidalois. Il a expliqué aussi les éléments déclencheurs de ce soulèvement. Toutes choses qui méritent d'être connues ou rappelées à une période où le pays est confronté de nouveau au même phénomène même si celui-ci a gagner en ampleur et en complexité. Lire l'intégralité des propos tenus par le président Modibo Kéïta. ‘’Je répondrai tout d'abord à la première question ayant trait à la situation du Mali au sujet des mouvements de rébellion dans l'extrême Nord de notre pays, ou plus singulièrement dans le cercle de Kidal. "Vous savez que de tout temps cette région a été le théâtre d'opérations militaires des troupes françaises, en raison des difficultés que la France avait rencontrées (alors que la République du Mali était le Soudan Français) … pour intégrer ces populations accrochées à leurs montagnes dans le cycle normal de la vie du territoire. Et les derniers événements entre ces rebelles et les troupes françaises datent, de 1958. C'est vous dire donc que pendant les 78 ans de domination coloniale, cette région n'a jamais été totalement pacifiée. " Le deuxième élément, c'est que pendant longtemps, ce secteur a été sous une administration militaire, et que certains officiers français, devant la poussée du nationalisme en Afrique et la perspective du rêve de constituer un Etat saharien autonome comprenant le Sud algérien et le nord des pays situés au sud de l'Algérie, avaient tenté de créer un sentiment anti-Noir dans cette région. En effet on faisait croire à ces Touareg qu'ils étaient des " Blancs " et   qu'il   était   impensable   qu'ils   puissent  accepter   une domination noire. " Le troisième facteur qui a surgi après notre indépendance, c'est qu'en raison de notre option, nous avons tenu à éliminer tous les vestiges de la féodalité dont l'aspect le plus inacceptable comme système était une forme déguisée de l'esclavage et de l'exploitation des populations par les féodaux. " Enfin le quatrième point, c'est que ces populations nomades, précisément celles de l'Adrar des Iforas, vivaient en marge de la société malienne et n'étaient pas accessibles à notre option d'une Nation malienne s'étendant du Sud algérien aux limites avec la Haute-Volta, la Côte d'Ivoire et la Guinée du Sud. "  D'autre part, l'exercice   et   l'édification  économique du jeune pays devenu   indépendant  imposent à chaque citoyen des charges qui sont en proportion avec ses moyens. Or les nomades de  cette  région avaient été  habitués  à vivre en dehors de toute réglementation; c'est vous dire en d'autres  termes qu'ils  ne  payaient  pas d'impôts.   Donc, la République du Mali a été proclamée et que notre parti l'Union Soudanaise-R.D.A., au cours de son Congrès de Septembre  1960 a opté pour l'édification socialiste de notre économie, nous avons en priorité mis un terme au système du servage, liquidé la féodalité dans les régions du Sud où les populations sont concentrées, et soumises à un contrôle de Conseil de  Fraction  et de Tribu. Les   membres,  des   conseils   de   Fraction  et de  la Tribu, étant élus  par   l'ensemble de   la population de  la  Fraction  ou  de  la  Tribu,  le  Chef de   la Fraction  ou de  la Tribu ne  peut  rien décider  sans qu'au préalable il y ait l'accord d'une majorité du Conseil de la Fraction ou du Conseil de la Tribu. " Par ailleurs, nous avons estimé qu'il était tout à fait normal de connaître les biens que possédait chaque Malien,  qu'il soit commerçant, fonctionnaire ou éleveur, d'où un recensement rigoureux du cheptel concernant les milieux nomades. Nous avons également exigé que chaque citoyen, contribue à l'édification économique du pays selon ses ressources; et partant pour les populations de l'Adrar des Iforas qui avaient vécu en marge  de toute société, une telle discipline leur était difficilement supportable. En outre, comme à l'extérieur il y a des éléments français qui vivaient eux aussi en marge de la société française parce qu'ils ne sont pas d'accord avec l'indépendance algérienne comme ils  ne sont pas d'accord avec la politique du Général de Gaulle, éléments qui, par conséquent, sont restés fixes sur leurs anciennes positions. Pour eux, il fallait désormais et nécessairement créer dans les parties du Nord de notre pays et du Sud de l'Algérie, et plus tard des autres Etats riverains du Sahara une instabilité permanente, en suscitant des mouvements de rébellion, et parfois même en apportant à ces mouvements un appui  en  équipements et  matériels militaires. C'est ainsi donc, dis-je que vers la fin de l'année 1963 a été déclenché un mouvement de rébellion dont le principal instigateur était le fils de celui qui, en 1958, avait déclenché la même sorte de mouvement de rébellion contre l'administration   coloniale  française. Ayant  pu rassembler autour de   lui  des  repris de justice qui  étaient poursuivis pour  meurtres,   brigandages  etc,  etc,   ils se  sont refugiés dans les montagnes de l'Adrar des Iforas. D'autre  part,  pour avoir  un  certain  appui  logistique tant au point de vue population qu'au point de vue approvisionnement,   par   la   menace   et   par la terreur, ils ont rançonné certaines populations et obligé certaines fractions à les suivre dans leur repli en Algérie devant la poussée de nos forces de sécurité. Fort heureusement, grâce à la compréhension  du peuple et du  Gouvernement algériens, ces rebelles,  traqués  par nos forces  de sécurité qui les poursuivaient jusque dans les grottes, n'ont pas pu trouver sur le territoire algérien  l'appui  et la complicité  sur lesquels ils  comptaient   pour   pouvoir   maintenir   le   foyer de leur rébellion.   Cela   n'a   pas   été   possible   grâce   à   Ia bonne compréhension du peuple algérien dont le Gouvernement  a été informé par moi-même par diverses missions de ce que nous attendions de lui. " Nous pouvons   donc   dire   maintenant,   puisque le dernier  chef   rebelle  a  été  abattu   en  juillet dernier, que pratiquement   le   mouvement  a   été liquidé,   et   les autres comparses se sont   rendus   soit   aux   unités   de sécurité algériennes, soit aux unités de sécurité maliennes. " Nous devons dire également que notre action a été appuyée par les populations qui ont refusé de céder au chantage de ces rebelles. Certains jeunes et certains vieux  de ces populations ont même aidé nos unités de sécurité à  poursuivre les rebelles et n'ont pas hésité à voisiner avec ces mêmes unités contre des rebelles. " II est évident que si ces résultats ont été obtenus, alors que comme je vous le disais tout à  l'heure, un état permanent de  troubles  et d'insécurité  régnait  dans cette région, ce fut certes grâce à la qualité de nos troupes, mais aussi à notre organisation politique, parce que pendant que les forces de sécurité œuvraient contre les rebelles, le Parti, par les tournées des responsables politiques et administratifs, poussait les contacts jusque dans les moindres centres où il éclairait les populations sur la réalité de notre conception socialiste, et c'est ainsi que, très rapidement, le mouvement a été liquidé. Par conséquent, si nous parlons d'interventions étrangères, il s'agit bien d'éléments français agissant selon leurs instructions personnelles en dehors de toutes directives de leur chef hiérarchique ou du Gouvernement français. D'ailleurs, lorsque j'ai eu à discuter de cette question avec la Représentation Française à Paris, la réplique a été : " Ce sont des aventuriers qui n'ont rien de commun avec le Gouvernement Français". " Vous avez maintenant la réponse à la question posée au sujet des mouvements de dissidence fomentés par une minorité de nomades dans l'extrême Nord de la République du Mali.

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