Sahel colonial, histoires de contact, histoires de conquêtes

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Les Français s’implantent militairement au Sahel dans les années 1890 et étendent ainsi leur présence coloniale en Afrique de l’Ouest. De quelle manière les Français nouent-ils des relations avec les élites locales pour asseoir leur domination coloniale ?

Avec
  • Camille Lefebvre Historienne, directrice de recherche au CNRS et directrice d’étude à l’EHESS, spécialiste de l’histoire de l’Afrique saharo-sahélienne aux XIXe et XXe siècles
  • Benoit Beucher Historien, maître de conférences en histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest et Centrale à l’Université Paris Cité, chercheur au CESSMA
  • Daouda Gary-Tounkara Historien, chargé de recherche CNRS à l’Institut des Mondes Africains, spécialiste des relations entre migrants et État au sein de l’AOF puis de la CEDEAO

Empires, royaumes, chefs tribaux, comment s’organisait le Sahel avant l’arrivée des colonisateurs ? Comment étaient découpés ces territoires, et d’ailleurs l’étaient-ils ? Lors de la conférence de Berlin en 1885, les Européens se partagent l’Afrique : “Ils ont partagé Africa sans nous consulter, sans nous aviser”, chante Tiken Jah Fakoly, que plus rien n’étonne…

Des expéditions militaires au Sahel

À la fin des années 1890, l’État-major français cherche à faire la jonction entre ses possessions coloniales d’Algérie et d’Afrique de l’Ouest. Des expéditions militaires sont envoyées au Sahel pour intégrer ces territoires à l’Afrique Occidentale Française (AOF), la fédération des colonies françaises dans la région. Selon l’historien Daouda Gary-Tounkara, les Français parviennent à jouer des conflits internes : “Quand les Français arrivent, la logique ancienne est de s’en faire des alliés dans le cadre de rivalités politiques régionales.”

Les Français s’imposent au sein de sociétés très différentes. Pour l’historien Benoit Beucher, il est très important de les “concevoir comme des espaces dynamiques sur le plan historique. Ce n’est pas une histoire stationnaire, ces sociétés ne sont pas engluées dans la tradition.” Le Niger est un territoire de rivalités entre différents sultanats, où l’islam est prépondérant. La Haute-Volta, actuel Burkina Faso, est dominée par l’ethnie mossie, qui se structure suivant une hiérarchie féodale avec à sa tête différentes royautés régionales, dont la plus puissante est celle de Ouagadougou. Enfin, Sikasso, au sud de l’actuel Mali, est la capitale d’un vaste royaume très centralisé, le Kénédougou.

Un pouvoir qui se délègue

Les administrateurs coloniaux français, en sous-effectif, s’appuient sur les élites locales pour gouverner le territoire conquis. L’historienne Camille Lefebvre rappelle que “tout l’enjeu de la colonisation, c’est qu’un très petit nombre d’hommes essayent de gérer des territoires immenses et des populations bien plus nombreuses qu’eux.” Les rois mossis ou les anciens vassaux du roi du Kénédougou sont ainsi des intermédiaires essentiels pour lever l’impôt ou mobiliser les populations. Ils jouent un rôle important lors de la Première Guerre mondiale par la levée de troupes, envoyées combattre dans la métropole, et la défense des intérêts de l’AOF devenue vulnérable aux insurrections anticoloniales.

En contrepartie de leurs services, les élites locales obtiennent pour leur territoire le statut officiel de colonie, ce qui leur assure davantage de reconnaissance auprès de l’administration française, ainsi que le développement d’infrastructures routières et ferroviaires qui connectent les espaces sahéliens au reste de l’AOF. Un apport que Camille Lefebvre nuance fortement : “Quand les Français partent du Niger, ils ont construit 60 kilomètres de routes goudronnées pour l’ensemble du territoire qui fait deux fois la France.”

Plus complexes qu’une opposition binaire entre collaboration et résistance, les sociétés coloniales en Afrique de l’Ouest sont des constructions collectives, où les figures tierces, qui jouent le rôle d’intermédiaires auprès des colons, sont des acteurs essentiels.

Pour en savoir plus

Benoit Beucher est maître de conférences en histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest et Centrale à l’Université Paris Cité et chercheur au Centre d’études en sciences sociales des mondes africains (CESSMA). Il est spécialiste de l’histoire de la colonisation française au Burkina Faso.
Il a notamment publié :

  • Manger le pouvoir au Burkina Faso. La noblesse mossi à l’épreuve de l’histoire, Karthala, 2017

Daouda Gary-Tounkara est historien, chargé de recherche CNRS à l’Institut des Mondes Africains. Il est spécialiste des relations entre migrants et État au sein de l’AOF puis de la CEDEAO.
Il a notamment publié :

  • L’Afrique des savoirs au sud du Sahara (XVI-XXIe siècle) : acteurs, supports, pratiques, coécrit avec Didier Nativel, Karthala, 2012
  • Migrants soudanais/maliens et conscience ivoirienne. Les étrangers en Côte d’Ivoire (1903-1980), L’Harmattan, 2008

Camille Lefebvre est historienne, directrice de recherche au CNRS et directrice d’étude à l’EHESS. Elle est spécialiste de l’histoire de l’Afrique saharo-sahélienne aux XIXe et XXe siècles, particulièrement au Niger.
Elle a notamment publié :

  • À l’ombre de l’histoire des autres, Éditions de l’EHESS, 2022
  • Des pays au crépuscule. Le moment de l’occupation coloniale (Sahara-Sahel), Fayard, 2021, réédition en poche dans la collection “Pluriel” en 2023
  • Frontières de sable, frontières de papier. Histoire de territoires et de frontières, du Jihad de Sokoto à la colonisation française du Niger, XIXe-XXe siècles, Éditions de la Sorbonne, 2015

Références sonores

  • Chanson Plus rien ne m’étonne par Tiken Jah Fakoly
  • Archive sur l’origine du “peuple” Mossi dans l’émission Terre de légende, Office De Coopération Radiophonique, 23 juin 1964
  • Archive du discours de Léon Barety à propos du commandant Lamy dans l’émission Ainsi va le monde, RTF, 10 mai 1950
  • Lecture par Sam Baquiast du récit par le sultan de Zinder en 1898 de l’assassinat de l’officier français Cazemajou, récit bilingue kanouri et haoussa de al-Hajj Musa ibn Hisein recueilli au Caire en 1904
  • Lecture par Mathieu Coppalle de la pétition adressée par le roi de Ouagadougou Naaba Koom II au député Diagne afin d’obtenir la reconstitution de la colonie de Haute-Volta, 1932
  • Musique He Layla par Tinariwen, 2023
  • Musique du générique : Gendèr par Makoto San, 2020
Source: https://www.radiofrance.fr/

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