Requête aux fins de contrôle de constitutionnalité de la loi n°2017-31/AN-RM portant révision de la constitution du 25 février 1992.

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cour constitutionnelle
Les membres de la cour constitutionelle

A

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour Constitutionnelle du Mali,

Les sieurs Seydou DIAWARA, Mody N’DIAYE , Moussa CISSE, Bakary MACALOU, Alkaïdi Mamoudou TOURE, Soumaila Cissé, Boubacar Maïga,  Ange Marie Dakouo, Brehima Beridogo, Dedeou Traoré, Bakary Fomba,  Amadou Maïga, Bakary Diarra, Mamadou Doumbia, Nanko Amadou Mariko, Baferemé Sangaré, Soïba Coulibaly, Amadou Araba Doumbia, Sekou Abdoul Quadri Cissé, tous députés à l’Assemblée Nationale du Mali,  soussignés,  ont l’honneur de déférer à la Cour Constitutionnelle, en application de l’article 88, alinéa 2 de la Constitution, la loi n°2017-31/AN-RM du 02 juin 2017 portant révision de la Constitution du 25 février 1992 aux fins de la déclarer contraire à la Constitution.

 Attendu que par lettre en date du 13 mars 2017, le Président de la République a saisi l’Assemblée nationale, convoquée en session extraordinaire, du projet de la loi portant révision de la constitution du 25 février 1992, qu’il a initié en application des dispositions de ladite Constitution;

I- SUR LA VIOLATION DE L’ARTICLE 118 DE LA CONSTITUTION: 

1ère Branche: 

Attendu qu’en premier lieu, la loi querellée viole manifestement l’article 118 de la Constitution qui dispose : «Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire» ; Or, le Mali fait face et ce, depuis plusieurs années, à la présence sur son territoire de groupes armés de plusieurs obédiences, les uns réclamant l’indépendance et les autres prônant le Jihad, tous semant la terreur sur leur passage et dictant leur loi aux populations sur plus des deux tiers du territoire national ;

Que la présence de ces groupes armés ne peut nullement être contestée dans la partie septentrionale du pays où la ville de Kidal reste sous la coupe de tout sauf de l’Administration malienne ; Que les maîtres des lieux interdisent tout accès de la localité à l’administration malienne et à ses agents et fait arborer sur les édifices publics le drapeau de l’Azawad pendant que le Gouverneur de la région est contraint de déplacer ses bureaux à Gao ; Que la présence de forces irrégulières est également indéniable dans d’autres parties du territoire national, notamment au Centre du pays, où de nombreuses localités vivent sous la coupe de groupes armés islamistes qui y interdisent notamment la consommation du tabac et y imposent le port du voile aux femmes ;

Que dans toutes les zones précitées, l’emprise du territoire au moyen d’une présence administrative et celle de la force publique échappe à l’Etat du Mali, qui ne peut y exercer sa souveraineté de manière effective ; Que contrairement à l’avis n°2017-01 en date du 06 juin 2017 de la cour constitutionnelle, qui fort heureusement n’a aucun caractère contraignant, la définition de l’atteinte à l’intégrité du territoire ne doit nullement être recherchée dans des théories développées sur le droit international par des internautes sur des réseaux sociaux ;

Que de manière claire et précise l’atteinte à l’intégrité territoriale, considérée comme une infraction criminelle contre la sûreté intérieure du Mali, est définie dans la loi n°01-079 en date du 20 août 2001 portant code pénal du Mali en ses articles  47 et suivants;

Que c’est pourquoi la section II du chapitre II du Titre II du code pénal est ainsi libellé : « SECTION Il: DES CRIMES PORTANT ATTEINTE A LA SECURITE INTERIEURE DE L’ ETAT OU A L’ INTEGRITE DU TERRITOIRE PAR LA GUERRE CIVILE, L’ EMPLOI ILLEGAL DE LA FORCE ARMEE, LA DEVASTATION ET LE PILLAGE PUBLIC »

Que l’article 47 dudit code renchérit : «L’attentat dont le but est soit de provoquer la sécession d’une partie du territoire de la République, soit d’inciter à la guerre civile, en armant ou en poussant les citoyens ou habitants à s’armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs régions, villes, communes et villages de la République, est puni de la peine de mort ou de la réclusion à perpétuité. Le complot ayant pour but l’un des crimes prévus au présent article et la proposition de former ce complot, seront punis des peines portées à l’article 41 suivant les distinctions qui y sont établies.»

Le Code pénal, dans ses articles 47 et suivants, fait de l’emploi illégal de la force armée, de la dévastation et du pillage public des crimes constitutifs notamment de l’atteinte à l’intégrité du territoire national ;  Qu’il est indéniable qu’aujourd’hui, existent et se maintiennent sur une très grande partie du territoire du Mali, des groupes qui, sans ordre ou autorisation du pouvoir légal, ont levé des troupes armées, engagé ou enrôlé des soldats et leur ont fourni des armes et munitions aux fins de conduire à la sécession d’une partie du territoire de la République, continuent à inciter à la guerre civile en poussant les citoyens à s’armer les uns contre les autres, portent la dévastation, le massacre et le pillage dans plusieurs régions, villes, communes et villages du Mali;

Qu’il est intellectuellement incompréhensible et humainement inadmissible d’assimiler une telle catastrophe et un tel crime à une simple insécurité à un moment où on n’a pas fini de faire le deuil des 332 personnes dont 207 civiles qui ont perdu la vie en 2016 et des deux cent personnes qui ont été tuées depuis le début de l’année 2017 dans le centre et le nord du Mali ; Donc, loin de connaître une insécurité résiduelle, le Mali est bien victime d’une atteinte à l’intégrité de son territoire;

Que décider, comme l’a fait le Président de la République, de réviser la Constitution, dans les conditions ainsi décrites constitue précisément une violation flagrante de l’interdiction posée par l’alinéa 3 de l’article 118 précité, sans qu’il y ait à rechercher si l’atteinte constatée relève du droit international ou du droit interne ;

Qu’à cet égard, il importe de souligner que rattacher l’atteinte visée par l’article 118 de la Constitution au droit international à l’exclusion des situations de droit interne, procède d’une mauvaise lecture des règles d’interprétation qui interdisent précisément d’en ajouter à la loi ;

Qu’en effet, l’article 118 invoqué ne faisant référence à aucune forme d’atteinte en particulier, il doit être lu comme englobant toutes les formes d’atteinte à l’intégrité du territoire, pourvu qu’il s’agisse d’une situation où l’effectivité de l’exercice par l’Etat de sa souveraineté  sur son territoire est sérieusement compromise;

2ème Branche:  

Attendu qu’il est important de rappeler que par lettre en date du 13 mars 2017, le Président de la République a saisi l’Assemblée nationale, convoquée en session extraordinaire, du projet de la loi portant révision de la constitution du 25 février 1992, qu’il a initié en application des dispositions de ladite Constitution;

Que n’ayant pas pu être délibéré au cours de ladite session extraordinaire, le projet de loi renvoyé à la session ordinaire qui s’en ait suivi a été adopté le samedi 03 juin 2017 au petit matin au cours d’une séance plénière ouverte le jeudi 1er juin 2017;

Que c’est pourquoi, la date du 02 juin 2017, retenue dans le projet de loi comme étant celle à laquelle l’Assemblée Nationale a délibéré, n’est pas conforme à la réalité;

Qu’il est clairement établi que la loi est votée par l’Assemblée Nationale conformément aux dispositions de la Constitution et du Règlement intérieur de l’Assemblée Nationale;

Qu’il est également évident que les séances plénières sont ouvertes aux date et heures précises et peuvent se prolonger aux jours suivants s’il y a lieu;

Que dans le cas de l’espèce la séance plénière ouverte le 1er juin 2017  a été prolongée, après de nombreuses suspensions, au 03 juin 2017 date à laquelle l’Assemblée Nationale a effectivement délibéré ;

Qu’or le projet de loi signé  du Président de l’Assemblée Nationale et publié au journal Officiel date du 02 juin 2017 alors qu’aucun projet du genre n’a été adopté à cette date; les procès verbaux des débats qui doivent d’ailleurs être publiés en application de l’article 69 de la constitution en vigueur en font foi;

Qu’il ressort de la lecture de l’article 118 de la Constitution que c’est le projet ou la proposition de révision votée à la majorité des deux tiers qui doit être soumis au référendum pour approbation;

Que dès lors, inviter les populations à se prononcer sur un projet non adopté à la date indiquée est un exercice contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 118 de la constitution du 25 février 1992;

II-SUR LES INSUFFISANCES LIÉES À LA MOUTURE PRÉSENTÉE : 

A- Attendu que  le texte publié est inapproprié en la forme pour servir de cadre à une révision de la constitution ;

Qu’en réalité c’est le texte des amendements portés au projet gouvernemental par la Commission des lois de l’Assemblée nationale qui est soumis au référendum, alors même qu’il fallait, avant, en expurger toutes les dispositions qui ne sont pas modifiées ainsi que toutes les mentions superfétatoires comme, par exemple « les articles 6 à 29 du projet de loi portant révision de la constitution deviennent respectivement les articles 30 à 53 » pour lui donner la forme qui sied à une loi de révision constitutionnelle;

Que seul ce texte « nettoyé » aurait dû être annexé au décret de convocation du collège électoral parce que le texte annexé audit décret est celui sur lequel le Peuple est appelé à se prononcer et c’est lui seul qui, adopté, peut être promulgué par le Président de la République;

Cela va tellement sans dire que même la Cour constitutionnelle a été obligée de le signaler dans son avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017 relatif à la loi n°2017-31/AN-RM du 02 juin 2017 portant révision de la constitution du 25 février 1992 en ces termes: « la présente loi portant révision de la constitution devrait renvoyer plutôt aux articles révisés de la constitution du 25 février 1992 qu’aux amendements portés par la Commission des lois constitutionnelles, de la législation, de la Justice, des Droits de l’Homme et des Institutions de l’Assemblée nationale ».

Cet avis renvoyait ainsi le Premier ministre à faire demander par le Président de la République une seconde lecture du Projet de loi pour qu’il lui soit donné la forme convenable avant sa publication comme annexe du décret de convocation du collège électoral;

Cela n’ayant pas été fait, c’est le texte inapproprié qui est soumis au référendum alors même que la Cour constitutionnelle a dit qu’il ne pouvait l’être;

Que dès lors, la procédure de publication est appelée à être reprise, à défaut le référendum prévu le 09 Juillet 2017 devient juridiquement incorrect, le texte sur lequel il porte étant inapproprié;

B- attendu qu’aux termes de l’article 61 de la loi querellée « les sénateurs sont élus, pour deux tiers au suffrage universel indirect. Un tiers des sénateurs est désigné par le Président de la République.

Les sénateurs sont élus pour un mandat de cinq ans renouvelable dans les conditions définies par une loi organique… »

Attendu que le deuxième alinéa de l’article 61 susvisé parle de la durée du mandat des sénateurs élus mais ledit article ainsi que la loi elle-même restent muets sur la durée du mandat des sénateurs désignés; est ce à dire que le Président de la République peut en désigner tous les jours où tous les trois mois etc.?

Cette insuffisance dénote la précipitation blâmable avec laquelle le projet a été élaboré toute chose qui le rend impertinent et impropre à la consommation;

C- Qu’en dernier lieu, la loi portant révision de la Constitution introduit une nouvelle procédure de révision constitutionnelle, en habilitant l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès à procéder à la révision de la loi fondamentale;

Qu’elle exclut explicitement du champ de cette nouvelle procédure, outre les modifications relatives à la forme républicaine et à la laïcité de l’Etat, la révision de la Constitution en période d’application de l’article 50 du texte en vigueur, ce qui laisse penser que pourraient être révisées des dispositions constitutionnelles tout aussi importantes telles que le multipartisme ;

Qu’elle consacre ainsi un grave recul par rapport aux acquis démocratiques du peuple malien tout en n’étant incompatible avec les dispositions du préambule de la Constitution qui proclame d’importants principes et valeurs républicains dont en particulier le multipartisme ;

Que de tout ce qui précède il est évident que la loi constitutionnelle querellée a été prise au mépris total et en méconnaissance flagrante tant de la lettre que de l’esprit de la Constitution du 25 février 1992 actuellement en vigueur ;

PAR CES MOTIFS

Article 1er : Déclarer la requête des députés requérants  recevable ;

Article 2 : Déclarer en la forme  la LOI N°2017-31/AN-RM  PORTANT RÉVISION DE LA CONSTITUTION DU 25 FÉVRIER 1992 datée du 02 juin 2017  inconstitutionnelle.

SOUS TOUTES RESERVES

Bamako, le 14 juin 2017

 

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