L’affaire de Sakoïba, une histoire de notre vie politique contemporaine qui a fait couler beaucoup de salives. Et pourtant, elle reste encore mal connue et sujette à des interprétations de toutes sortes. Dans le souci de mieux faire connaitre, notre passé récent, nous vous proposerons les versions des rares témoins et même de celles des acteurs encore vivants de cette période obscure. Ces témoignages sont parfois inédits. Loin de porter un jugement sur les versions des uns et des autres, de créer une situation incendiaire ou de plonger le couteau dans les plaies dans une prochaine parution, la rubrique « Pour convaincre » titrée déjà : (Qu’est ce qu’on a fait à Sakoïba ?), nous donnerons la parole à ceux qui ont subi ce que le pouvoir de l’époque a appelé l’autorité de l’Etat .Cela doit permettre d’ouvrir le débat et d’aller vers la tolérance et la vraie réconciliation. Dramane Coulibaly âgée de 89 ans, premier Maire de Ségou, secrétaire général de la section US-RDA de Ségou, 1er Vice Président de l’Assemblée fédérale du Mali à l’époque des faits nous raconte l’affaire de Sakoïba, 51 après.
« Le dimanche 1er février 1959, les autorités de la république soudanaise ont décidé de récompenser les meilleurs producteurs de coton de la campagne agricole avec des matériels agricoles composés de charrues de charrettes etc. En effet, une forte délégation du parti majoritaire, l’US- RDA a quitté Ségou pour Sakoïba. La délégation, outre les véhicules des officiels comprenait trois camions remplis de militants. Elle était dirigée par les camarades Salif Tall, Alioune Sissoko, Samakoro Coumaré, Binafou Thiéro, Abdoulaye Minta, Barou Diabaté, Zanké Coulibaly et moi-même Dramane Coulibaly. Tous membres du Bureau Politique National. En réalité le village de Sakoïba était divisé en deux : la partie ouest était favorable à l’US-RDA et la partie Est appelé Sakoïbafoulala favorable au PSP, le parti rival de l’US- RDA. Et pourtant c’est le RDA qui avait le pouvoir puisqu’ayant obtenu la majorité des voix aux élections.
La cérémonie de remise de matériels aux meilleurs producteurs de coton qui justifiait notre présence à Sakoïba ne présageait aucun danger. C’est aux environs de 17h 30minutes, que la situation a dégénéré. Parce que, vers le virage d’un bois sacré appelé « Dassiri Tou » les habitants de Sakoïba Est, des pros PSP avaient bloqué le passage par des troncs d’arbres et avaient armé un homme d’un fusil artisanal. Les premiers véhicules ont contourné le passage et ont pu partir sans difficultés .Etant le premier responsable de la délégation, je me suis arrêté et je me suis dirigé vers l’homme armé. Je lui ai demandé ce qu’il faisait sur les lieux et je lui ai également demandé ce que les troncs d’arbres cherchaient sur le passage d’une délégation officielle. A l’époque je n’avais que 37 ans. J’étais très solide et très courageux. Je n’ai pas hésité à lui donner un coup à la figure. Tremblant, le monsieur m’a dit qu’il n’était pas seul et que les autres sont cachés dans des buissons. Les militants qui étaient dans les trois camions allaient lui faire la peau, n’eut été mon intervention. Nous avons réussi à mettre en déroute la troupe et nous avons brûlé le bois sacré avec le soutien de nos militants de Sakoïba Ouest.
J’ai pris le soin d’informer les gendarmes. Mais auparavant Alioune Sissoko qui avait réussi à s’échapper avait exagéré la situation aux gendarmes en parlant de morts et de blessés. En effet, la gendarmerie était arrivée en début de soirée et a procédé à des arrestations.
Après cette révolte, 16 mois plus tard le même village a provoqué l’assassinat du commissaire Yéli Doucouré. Nous étions le dimanche 17 mai 1960. C’est par le décret n° 34 du 5 février 1959, que l’association dénommée « Union Démocratique Ségovienne » ou, le « bamanan ton » a été dissoute. Cette association avait été fondée par Moussa Diarra(le père de Sidi Sosso Diarra, l’ex Végal et du malien de la NASA Cheick Modibo Diarra) .Mussa Diarra était un commis expéditionnaire en service à Kayes. Il était un grand militant du PSP. Il m’avait envoyé une lettre me demandant son affectation à Ségou afin qu’il puisse préparer sa retraite. J’entrepris des démarches en sa faveur qui, ont abouti. Effectivement il a été affecté à Ségou et il s’est beaucoup attaché à moi. Finalement il a présenté sa démission du PSP et il a adhéré au RDA. Très intelligent et très brillant, il a commencé à s’imposer au sein du RDA. A cette époque l’africanisation des cadres avait commencé. Il voulait assurer la Direction de la société de Prévoyance qui jusque là était tenue par un blanc. Nous n’étions pas d’accord parce que Moussa Diarra venait d’adhérer nouvellement au parti. Notre choix devait porter sur les militants de la première heure. Frustré, il a commencé à s’opposer à nous en créant son association, le « fameux bamananton ». Dans sa propagande, Moussa sensibilise les paysans en leur disant que la Société de Prévoyance avait beaucoup d’argent et que lui allait rendre riche tout le pays si on lui confiait la gestion. Il accusait les cadres du RDA de détourner les fonds de cette société. Dans sa propagande son porte parole était Tiabi Coulibaly (le père de l’ex Maire de Pelengana Yamoussa Coulibaly). C’est ainsi que Moussa a été poursuivi et condamné à l’éloignement. Envoyé à Kidal, Moussa est revenu après avoir purgé sa peine. Il est mort quelques années après. Même à l’absence de Moussa certains de ses proches, surtout Tiabi Coulibaly, ont continué à animer cette association interdite par une cette décision de l’Etat. Le commandant français de la gendarmerie avait mis les militants de l’association sous surveillance. Après la visite du Ministre de l’intérieur, l le commandant français Jouenelle ; confia l’affaire au commissaire Yéli Doucouré. C’est ainsi qu’une mission a été dépêchée sur Sakoïbafoula pour arrêter un autre membre de l’association très actif dans cette localité. Il s’agissait de Tiétémalo le fils du chef de village. La mission comprenait les agents de police Keli Sangaré, Ousmane Mariko et leur chauffeur. La mission se présenta au chef de village du nom de Binasséré Coulibaly, le père du frondeur Tiérémalo. Mais le commissaire Yéli lui-même, bon stratège était à la porte alors que les deux agents étaient dans la cour. Le fils du chef de village Tiétémalo était armé d’une hache et d’un sabre. Invité à suivre les policiers Tiétémalo refusa. C’est ainsi s’engagea une opposition entre les membres de l’association « le Bamananton » et les policiers qui ont dû utiliser des gaz lacrymogènes. Au moment où les policiers s’apprêtaient à partir le commissaire Yéli fut mortellement atteint par le tir du fils du chef de village Tiétémalo. Les deux policiers aussi ont été grièvement blessés. Au moment de l’incident je n’étais pas Ségou. C’est à l’aéroport pour Dakar que j’ai reçu un coup de fil m’informant de la situation qui prévalait à Ségou. J’ai alors appelé le président du gouvernement Jean Marie Koné qui m’a demandé de téléphoner plutôt au Président Modibo Keïta. Le Président de la république Modibo Keïta m’a dit d’annuler mon voyage et de rester en contact avec Ségou. C’est à 11h 30 du dimanche 17 mai 1960 que le commissaire a rendu l’âme à l’hôpital de Markala des suites de ses blessures. J’ai informé le Président de la République Modibo Keïta du décès de Yéli. Il m’a dit d’attendre son arrivée pour les obsèques du commissaire. A son arrivée, nous avons enterré le corps de Yéli au cimetière de Ségou aux environs de 19 heures, vers le crépuscule.
Juste après l’enterrement, nous avons organisé une réunion extraordinaire du parti sur ma terrasse ici puisque le parti n’avait pas encore de siège. Au terme de cette réunion, nous avons décidé d’envoyer une expédition punitive à Sakoïba. Il fallait restaurer l’autorité de l’Etat en rasant le village de Sakoïba. Le lendemain, c’est-à-dire le lundi 18 mai 1960 ; Tôt le matin vers 5h, le village était encerclé par les gros engins des TP et de l’armée. Tous les Hommes du village qui n’avaient pas pris la fuite ont été arrêtés. Tiétémalo le fils du chef de village, l’assassin du commissaire a été arrêté, attaché et traîné jusqu’au marché hebdomadaire de Ségou « Ségou N’tènin » où il a reçu les coups de la part des femmes du marché. Le lendemain mardi, il a été retrouvé mort dans sa cellule. Nous nous sommes assumés puisque l’on ne peut pas braver impunément l’autorité de l’Etat. Nous avons également fait arrêter tous ceux qui animaient la rébellion. C’est ainsi que Tiabi Coulibaly a été jugé et condamné à mort. Un jour de l’année 1959 vers 4h du matin, deux gendarmes sont venus me chercher. Je ne savais même pas ce dont il est question. On nous a amené au camp militaire de Ségou. C’est sur les lieux que nous avions appris que nous allions assister à l’exécution de la peine de mort infligée à Tiabi Coulibaly. Son exécution a été faite par un peloton spécial composé de 12 tirailleurs dirigé par le commandant Bakaye Fofana en présence du docteur Thierno Bah, de Zanké Coulibaly et de moi-même. Quand on a demandé à Tiabi de faire sa dernière déclaration. Le visage bandé, il a juste dit : « Dites à Zanké de veiller sur ma famille » .Il n’a pas paniqué et il s’est montré digne. Le corps a été enterré au cimetière de Sébougou.
Je vous remercie de m’avoir donné l’opportunité de m’exprimer librement. Ce que je peux dire sur la politique dans mon pays, c’est que le parti unique est beaucoup plus facile à diriger. Les gens étaient autrement faits. Ils étaient dignes, courageux, respectaient la hiérarchie. Il y’avait le respect de soi, le respect de l’autre, les gens se respectaient, le respect de la chose publique. La corruption était les détournements n’existaient pas. Modibo Keïta nous disais : « Tant que je vivrai, il n’y aura pas quelqu’un qui aura deux villas ». A mon avis un fonctionnaire qui a deux même trois villas, il n’ya pas de place à la justice, il faut le mettre en prison. Les fonctionnaires ne sont plus engagés. Le ministre même qui vient au travail à 11h ne peut pas contrôler ses subalternes qui doivent venir à 7h30. La télévision et la radio ont largement contribué à dépraver la jeunesse.
Ma plus grande satisfaction fut mon intervention personnelle à l’implantation de la COMATEX à Ségou. Mon plus grand regret, c’est la déconfiture de la fédération du Mali due à la trahison des dirigeants sénégalais avec la complicité du gouvernement français.
Propos recueillis par KMBB.