Dès 1946, une autre figure s’impose au sein de l’Union Soudanaise (US) : celle de Modibo Keïta. Né en 1915 à Bamako, à 37 ans Major de sa promotion, tant à son entrée qu’à sa sortie de l’Ecole normale William Ponty, il impose aisément une autorité qu’il ne cherche pourtant pas à forcer.
Pendant longtemps, plus précisément jusqu’en 1964-1965, il reprend à son compte la vision de Mamadou Konaté sur les problèmes l’Union Soudanaise (US). Et quand il l’abandonne (à la fois sous la pression des événements et de ses tendances personnelles), l’US prend un autre visage.
Une incontestable personnalité
Mais il est probable qu’à ce moment-là, au point où en étaient arrivées les oppositions de tendance au sein du parti, correspondant à des oppositions de personnes (quoi qu’avec des nuances) et provenant, de manière complexe, d’une sorte de luttes de classes, toute conciliation était difficile et qu’il fallait inévitablement choisir dans un sens ou dans un autre.
Brillant élève, instituteur irréprochable, musulman fervent, tolérant et largement ouvert à tout modernisme intellectuel et politique, il attire l’attention partout où il passe, suscite la sympathie ou l’antipathie, mais toujours le respect. Sa taille (1m 98 !), sa prestance, son allure, son regard parfois très doux, parfois très dur, dans un visage où flotte une permanente ironie, lui confèrent une incontestable personnalité. Indépendamment de ses succès scolaires, son passage à William Ponty l’a déjà auréolé d’un prestige qui compte dans une école.
Alors qu’un élève imprudent se noyait dans la baie de Gorée, le grand Modibo plonge et le sauve. Dès lors sauvé, l’élève vouera la reconnaissance que l’on devine à son sauveur providentiel. Cet « imprudent » n’était autre que…Emile Derlin Zinzou qui deviendra le Président du Dahomey (actuel Bénin).
Travailleur infatigable, d’un dévouement à toute épreuve, entreprenant des tournées très dures en brousse dans les pires conditions, ne répugnant à aucune tâche, fût-elle apparemment secondaire, il fait souvent violence sur son tempérament audacieux pour écouter les conseils de son ancien Directeur d’école de Bamako Coura, Mamadou Konaté, qu’il estime et respecte profondément.
Orateur remarquable, bien que desservi par une voix un peu aigüe qui surprend dans ce corps d’athlète, Modibo Keïta, bien qu’il soit absent, est désigné à l’unanimité Secrétaire général de l’Union Soudanaise (US) lors de l’Assemblée générale qui s’érige en Congrès.
Après la prison, les fonctions
En 1949, suite à un mandat d’arrêt lancé contre lui alors qu’il était en poste à Sikasso, il réussit, grâce à une longue chaîne de complicités amicales, à se rendre à Paris où la Justice française offre plus de garanties que son prolongement colonial. Arrêté, il partage pendant un mois le sort des prisonniers de droit commun. A sa libération, il se fait mettre en disponibilité et travaille à élargir l’audience du parti.
En 1951, obligé de revenir dans l’administration sous peine de radiation, il est nommé Instituteur à Kabara, le petit port de Tombouctou. Il y milite activement en compagnie de Mahamane Alassane Haïdara, notable de la région, élu Conseiller de la République (on disait Sénateur à l’époque) en Novembre 1948 sur la liste de l’US.
Elu Conseiller de l’US en 1953, après avoir été « oublié » sur la liste des candidats de l’US aux élections à l’Assemblée nationale française de 1951 alors qu’il se trouvait à Kabara, Modibo Keïta fut député du Soudan en 1956 à la même Assemblée dont il sera élu Vice-président en remplacement de Mamadou Konaté. En 1957 et 1958, il sera Secrétaire d’Etat en France, notamment à la France d’Outre-mer, jusqu’au Référendum de 1958.
Président du Gouvernement de la République Soudanaise en Janvier 1959, du Gouvernement de la Fédération du Mali de 1959 à 1960, il restera Chef du Gouvernement et Chef de l’Etat de la République du Mali jusqu’au coup d’Etat du 19 novembre 1968.
Enfin, une précision de taille : contrairement à ce titre qu’on lui accorde parfois, Modibo Keïta n’a jamais été Président de la République du Mali, car cette distinction n’existait pas à l’époque des faits.
Oumar Diawara
« Le VIATOR »