Les grandes nations, sont celles-là qui assument leur Histoire, dans ses forces comme dans ses faiblesses. Et par là même, arrivent à en tourner les pages, même les plus sombres, sans rien occulter, indique en substance dans son adresse, le chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Keïta, en mettant l’accent sur l’exigence d’un autre Etat.Texte intégral du discours
« Bismillahi, Rahman, Rahim
Chers compatriotes,
Le balancier du temps revient sur une date majeure de notre Histoire immédiate. Une date capitale. Avec hélas, son lot de tristesses, sa part de sang et de larmes. Les grandes nations, vous le savez chers compatriotes, sont celles-là qui assument leur Histoire, dans ses forces comme dans ses faiblesses. Et par là même, arrivent à en tourner les pages, même les plus sombres, sans rien occulter. C’est d’ailleurs pour ne rien oublier, et se rappeler les messages de la lutte, qu’a été instituée la Semaine des martyrs que nous célébrons en ce moment. Des jeunes parmi nos garçons et nos filles sont tombés. Des femmes parmi nos épouses sont tombées en se levant, parce qu’il n’y avait plus de dignité à rester assis.
Permettez-moi d’invoquer de nouveau Ramatoulaye, ma fille, douce enfant de lumière dont la pensée ne m’a jamais quitté le long de ces décennies. Elle symbolise la dépouille injuste de l’innocence. En ce soir de recueillement et de résolutions renouvelées, prions pour les dizaines, voire les centaines de nos fils et filles, frères et sœurs, pères et mères, épouses et époux qui, à l’instar de Ramatoulaye, ont laissé la vie lors des tragiques journées de mars 1991.
Parents de martyrs, sachez que le sacrifice des vôtres n’a pas été vain, qu’il ne saurait être vain, et que les grandes nations capitalisent toujours ! Le MALI est une grande nation. Nous sommes une grande nation, parce que nous sommes une nation productrice de civilisation et d’humanisme brillant. Nous sommes une grande nation, parce que nous sommes une nation résiliente. Nous sommes une grande nation, parce que nous sommes une nation capable de dépassement et de compromis. Nous sommes une grande nation parce que notre nation sait surmonter les passions, l’adversité et les rancœurs. Tous, toutes, fils, filles de la même nation, certes diverse, nous savons nous mettre d’accord sur l’essentiel, à savoir vivre ensemble.
Chers compatriotes,
Nous devons alors rendre grâce à Dieu, pour avoir fait de nous ce peuple majeur. Ce peuple brassé qui, privilège exceptionnel, peut réunir pour les mêmes événements sociaux, Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré, Dioncounda Traoré, Ibrahim Boubacar Keita. Comme il a su réunir héritiers de Fily Dabo Sissoko et de Modibo Keïta. Oui, la nation malienne est une réalité tangible, un capital solide qu’il nous faut préserver et fructifier. C’est cette perspective qui inspire la Commission Vérité, Justice et Réconciliation récemment adoptée par l’Assemblée nationale.
Exigence d’un temps de reconstruction, cet instrument s’appuiera sur les leviers de la vérité et de la justice. Avec pour objectif d’œuvrer au retour définitif de la paix dans notre septentrion où s’appliquera, comme dans les autres régions de notre pays, un processus revu et corrigé de décentralisation. Aussi, le gouvernement adoptera-t-il, dans les jours à venir, la stratégie de mise en œuvre de ce processus repensé qui, au-delà de la décentralisation, vise la dévolution.
Donc l’exigence d’un autre Etat, le mouvement pour mieux d’Etat, afin que le citoyen soit centre et finalité du processus de développement national. En cela nous resterons pleinement dans l’esprit du 26 Mars.
Tirant les leçons du passé, nous ferons en sorte que toutes les légitimités, traditionnelles comme modernes soient désormais représentées dans les instances de gouvernance locale bénéficiant d’une large capacité de décision. Car l’Etat centralisateur a vécu. Il doit faire place à un Etat dispensateur de justice impartiale et souveraine, digne et respectée, avec des citoyens égaux devant les opportunités et une armée véritablement outillée et motivée pour veiller la République et défendre l’intégrité du territoire national.
L’Etat patrimonial aussi a vécu. La corruption qui plombe notre développement sera impitoyablement combattue tout comme l’impunité. Nous l’avons compris. Et nous allons, sans faiblir, dans cette direction. Elle ne sera pas celle de réformes cosmétiques mais d’une modification profonde de notre apport à l’Etat et du rapport de l’Etat au citoyen.
En cette veille du 26 Mars, occasion solennelle de commémoration de la révolution malienne qui a permis le dialogue avec la rébellion d’alors, puis la signature historique du Pacte national en 1992, je veux renouveler mon appel aux mouvements rebelles du Nord. Qu’ils viennent autour de la table ! Qu’ils acceptent, sans atermoiements et sans subterfuges, le dialogue qui nous permettra de valider un avenir mieux assuré pour nos régions septentrionales aux vulnérabilités hélas réelles ! Qu’ils fassent en sorte qu’apaisés et remobilisés, nos frères et sœurs des camps de réfugiés puissent envisager sans tarder le retour dans leurs sites respectifs ! Mais qu’ils viennent à ce dialogue tant attendu avec la certitude que l’Etat restera unitaire, Un et Indivisible!
Chers compatriotes,
Le 26 Mars 1991, la jeunesse était debout, certes pour exiger le pluralisme démocratique devenu, depuis, une réalité dans notre pays, même s’il reste perfectible. Mais chez nos jeunes, il y avait également en lame de fond, le désir d’avenir, d’un avenir différent, légitime et garanti. L’école et l’emploi sont les deux principales garanties de cet avenir.
En 1994, un effort volontariste et méritoire avait créé l’Université du Mali, bien des décennies après les premières universités coloniales africaines :
– Foura Bay College, Freetown, créée en 1827
– Makerere University, Kampala créée en 1922
– Legon University, Accra, créée en 1943
– Université de Dakar, créée en 1957.
Notre Université nouvellement créée était de bien loin la cadette de l’Université du Niger, créée en 1974, l’Université du Tchad créée en 1971, pour ne citer que l’exemple de deux pays qui partageaient, avec le Mali, les mêmes caractéristiques socioéconomiques. C’est dire donc que notre Université est une jeune université. Il fallait donc oser. Et nous avons osé.
Mais nous ne mettons pas, pour autant, la tête sous le sable. Nous savons que notre enseignement supérieur souffre de tares gravissimes qu’il faut immédiatement éradiquer, tant dans les domaines de la gouvernance, de la pédagogie que de l’articulation formation-emploi. Les Journées nationales de concertation incessamment prévues sur l’avenir de l’enseignement supérieur seront pour nous un moment de refondation du secteur vital de l’éducation. Aucun ordre d’enseignement, durant notre mandat, ne sera oublié. Nous ausculterons. Nous échangerons. Nous proposerons les justes remèdes. Et nous nous assurerons que ceux-ci sont correctement administrés, car le Mali peut et doit être au niveau des pays performants.
Nous donnerons à notre jeunesse une chance à l’employabilité avec une formation de qualité, Inch’ Allah ! Mais l’éducation ne suffira pas, nous le savons. Notre économie doit être en mesure de répondre à la demande sociale, en gagnant elle-même le pari de la performance, en faisant en sorte que toutes les niches d’opportunités soient exploitées. Avec notre formidable potentiel agricole, pastoral, halieutique, l’entreprenariat rural doit être une réalité palpable dans les court et moyen termes et concourir à la masse critique de richesses à la disposition de nos ambitions.
Des PME et PMI maliennes doivent voir le jour et marquer l’apport irremplaçable de nos couches moyennes à l’émergence du Mali. Cette émergence, nous n’avons de cesse à le dire est dans l’ordre du réalisable. Tous les partenariats requis pour cela, seront noués. Le gouvernement est mobilisé à cette fin. Premier ministre, ministres, ils sont tous debout pour le projet du Mali émergent.
J’irai partout, je plaiderai partout pour que tous ces partenariats soient une réalité, une réalité entre les mains d’une nation industrieuse qui était à la pointe hier des marchés de sel, d’étoffes et de kola et qui a les tous les ressorts pour redevenir une nation-phare.
Pays de foi, de dialogue et de solidarité, qui a donné au monde le Sinankuya, ce cousinage à plaisanterie que tant de nations nous envient, le Mali éprouvé renoue avec sa volonté d’aller de l’avant, grâce à Dieu ; grâce au grand peuple que nous sommes. Puisse-t-il rayonner en Afrique et dans le monde comme il le fit hier, pour que
Puissent nos martyrs dormir en paix !
Vive la République !
Vive le Mali ! »