Mardi 19 novembre 1968 : Ce que Modibo et Moussa se sont dit !

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Traoré lors de la cérémonie d'investiture de IBK au CICB
Le général Moussa Traoré lors de la cérémonie d'investiture de IBK au CICB (Photo maliweb.net)

Dans notre précédente livraison, nous vous avons relaté comment, au terme d’une série d’actions, sept officiers subalternes, avec le soutien de quelques sous-officiers, ont renversé le régime de l’Union Soudanaise section territoriale du Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA). Nous vous livrons, dans cette parution, la suite de ces événements.

Le chef des conjurés, Moussa Traoré aurait souhaité que Modibo Keïta soit arrêté à bord du Général Abdoulaye Soumaré, donc, avant qu’il ne débarque à Koulikoro. Mais, le bateau fut en avance sur son horaire et le cérémonial d’accueil écourté. Aussi, est-ce à Kayo, à quelque cinq kilomètres de la ville que l’arrestation eut lieu. Sur invitation du lieutenant Tiékoro Bagayogo, le président Modibo Keïta est prié de se « mettre à la disposition de l’armée malienne. » Il s’exécute sans mot dire, descend de la DS présidentielle et, suivi de son aide de camp, le capitaine Abdoulaye Ouologuem, prend place dans véhicule de transport de l’armée, un BTR 152. Le cortège s’ébranle en direction de Bamako. Au cours du trajet, Ouologuem apprend, par Tiékoro Bagayogo à qui il l’avait demandé, les raisons du coup d’Etat. Réponse du lieutenant : redresser l’économie, organiser des élections démocratiques auxquelles Modibo pourrait se présenter et retourner dans les casernes. Ces propos sont rapportés au chef de l’Etat. Mais ce dernier demeure sans réaction.

L’arrivée du cortège à la Permanence du Parti devenue, par la suite, la Maison du Peuple, actuel siège du Haut Conseil des Collectivités, a lieu peu avant midi. Moussa Traoré reçoit Modibo Keïta dans le petit bureau qui, au rez-de-chaussée, servait de cabinet de travail au Secrétaire Général de l’US-RDA quand il se rendait à la Permanence du Parti. L’entretien dure le temps d’une information suivie d’une réplique. Bon nombre d’historiens, se fondant sur leur imagination, ont rapporté les propos censés être échangés entre les deux hommes. D’après eux, la scène ne se situe pas entre Modibo Keïta et Moussa Traoré, mais entre celui-là et « la junte militaire ».

Celle-ci aurait proposé de laisser Modibo Keïta au pouvoir à condition qu’il renonce au socialisme, se débarrasse de certains de ses ministres et de la Milice populaire. Modibo Keïta aurait rétorqué qu’il ne peut renoncer  au socialisme parce qu’il est un choix du peuple, pas son choix ; qu’il fait confiance à ses ministres et que, par conséquent, il ne peut se débarrasser d’eux. La junte aurait voulu continuer à négocier. Mais, craignant de succomber à son charme et à son charisme, lui aurait demandé de démissionner ; ce qu’il refusa, une fois de plus.

Cependant, la réalité est toute autre, rapportée par le capitaine Ouologuem, témoin oculaire de la scène.  Au cours d’une interview accordée à Toumani Djimé Diallo du journal la Nation, il confie : « Modibo s’est assis en face de Moussa, et moi, j’ai pris une place à gauche. Moussa a répété ce que Tiékoro nous avait dit en cours de  route. Modibo a répondu qu’il n’était pas question pour lui de se représenter à des élections, qu’il préfère retourner dans sa case et aller cultiver. Voilà les seuls mots qui ont été échangés entre les putschistes et  Modibo. »

C’est également le capitaine Ouologuem qui nous informe sur la manière dont tout cela a pris fin : « Séance terminée. Ça a été les seuls mots prononcés. Immédiatement, la séance a été suspendue. Tiékoro a fait signe. Modibo l’a suivi. Moi, je suis sorti.  Et le BTR était arrêté près de l’escalier. Le même BTR. Modibo s’est embarqué. Tiékoro l’a suivi. Moi-même je voulais m’embarquer. Tiékoro m’a dit : « Mon capitaine, mission terminée ! » Voilà où je me suis séparé du président Modibo. Il devait être aux environs de midi. »

La présidence de Modibo Keïta à la tête du Mali venait de prendre fin. Avec une facilité déconcertante. Sa chute est accueillie par une explosion de joie ; ce qui inspire à Bintou Sanankoua la remarque suivante : « C’est tout simplement ahurissant. Qui peut imaginer que le régime de Modibo Keïta était aussi honni ? Qui peut imaginer que la mainmise de l’US-RDA sur tout le pays était aussi superficielle, n’était qu’apparente ? »

Cependant, tout le monde n’est pas de cet avis. Certains soutiennent que Modibo Keïta a été évincé du pouvoir sur instruction de la France et de la Côte d’Ivoire. Le coup d’Etat n’est pas le fait de l’armée malienne, mais, d’après les tenants de cette thèse, celle de jeunes officiers assoiffés de pouvoir et agissant pour compte du « néocolonialisme et de l’impérialisme. » Mais, et Houphouët-Boigny, et Jacques Foccart, et Charles de Gaulle n’était au courant de quoi que ce soit, ne connaissaient nullement les conjurés et leurs premières appréciations des événements du 19 novembre 1968 à Bamako ne se fondent que sur des conjectures. L’encadré ci-contre prouve à suffisance que les autorités françaises ont été prises de court par les événements survenus à Bamako le 19 novembre 1968. Elles n’avaient de précisions, ni sur l’identité des auteurs du coup d’Etat, ni sur le déroulement des actions. Houphouët-Boigny à qui elles s’en remettaient n’était pas plus informé qu’eux.

A suivre

 

Extrait du tome II des Mémoires de Jacques Foccart, page 446

 Mardi 19-11-68

… il ya un coup d’Etat à Bamako. Le soir le Général me demande :

– Mais comment cela se fait-il ? Je n’ai vu aucun télégramme, je n’ai rien !

– Mon Général, ils viennent d’arriver, les voici ?

Je lui fais lire les télégrammes qui expliquent que l’armée a pris le pouvoir. « Modibo se trouvait à Mopti. Est-il rentré ou pas ? Je n’en sais rien. D’après Houphouët –Boigny que j’ai eu au téléphone, il est arrêté, ainsi que Ousmane Bâ, ce qui fait que ce dernier ne viendra pas à votre rendez-vous. L’armée est intervenue le matin et a échangé des coups de feu avec la milice.

-Ils se sont battus ?

– Oui, ils ont même fait intervenir les blindés. Madeira Keïta et le Directeur de la sécurité sont arrêtés. Ce qui, à mes yeux, signifie que le coup est fait par des modérés en réaction contre les positions contre la position de plus en plus prochinoise et prosoviétique, tantôt l’une tantôt l’autre de Madeira Keïta.  Les militaires semblent avoir gagné la partie. L’affaire est menée par des lieutenants et des capitaines. D’après les premières indications que j’ai, ce sont des gens formés à l’école militaire de Fréjus. (Page 446)

 

Mercredi 20-11-68

Je rends compte au Général de la situation au Mali et il écoute avec beaucoup d’intérêt. Je confirme que Modibo a été arrêté, ainsi qu’Ousmane Bâ et Madeira Keïta. Je lui fait lire les proclamations des militaires, qui vont tous dans un sens favorable au monde occidental. Je donne la composition du comité militaire et j’indique que, parmi tous ces officiers subalternes qui constituent en quelque sorte le nouveau gouvernement, aucun n’a été formé à l’Est. Je dis qu’il risque quand même d’y avoir des suites sanglantes en ce qui concerne les gens qui ont été arrêtés car je vois beaucoup de Sissoko dans le comité militaire : Je pense qu’il doit y avoir des membres de la famille de Fily Dabo Sissoko, l’ancien Ministre français qui avait été, vous vous en souvenez, arrêté puis exécuté comme Hamadoun Dicko. Et sa famille avait toujours juré de venger Fily Dabo Sissoko. Modibo court donc des risques sérieux d’être jugé sommairement un jour ou l’autre. (Page  450)

 

 

La Rédaction

 

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3 COMMENTAIRES

  1. Ce que M.Jacques Foccart ignore, c’est qu’au Mali nous ne sommes pas encore dans cette logique de “vengeance” relativement à nos patronymes.Contrairement à d’autres pays voisins , nous ne connaissons pas encore le “vote ethnique”par exemple qui consiste à voter souvent “aveuglement” pour le candidat du même groupe ethnique que soi.C’est dire que bien qu’il y avait des “Sissoko” au CMLN cela ne constituait aucun risque d’exécution pour Modibo. Des Sissoko on en trouve un peu partout au Mali, comme d’ailleurs des Coulibaly, des Diarra….

  2. Au moins Foccart lui a écrit ces quelques lignes, que est-ce qui a empêché et empêche les acteurs dont certains sont encore vivants d’écrire, même s’ils se contredissent. Au moins le peuple et la génération future aura à faire sa lecture interne de notre histoire nationale.
    C’est malheureux de faire recourt à une vision extérieur pour lire, et pire réécrire notre histoire et surtout contemporaine. Dans cent ou deux cent ans, nos petits enfants n’aurons qu’à spéculer sur ces faits et geste de leur prédécesseurs à ce rythme.

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