A partir de 1956 commence le déclin du Parti Progressiste Soudanais (PSP). L’US-RDA étend son hégémonie sur l’ensemble du territoire et ne se prive pas de le manifester. Une des toutes premières mesures adoptées par l’Assemblée Territoire où, désormais, elle détient la majorité, est le vote supprimant la chefferie de canton. D’autres mesures suivront ; d’où la réaction du PSP lors de son congrès des 27-29 décembre 1957, lui reprochant d’avoir remplacé « un impérialisme blanc par un impérialisme noir plus odieux. » (Benoist Joseph-Roger.- L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960. Les Nouvelles Éditions Africaines, Dakar, 1982, page 346. )
C’est après 1960 que cet impérialisme va réellement se manifester : l’US-RDA va supprimer, et de manière très coercitive, toute opposition à sa politique et cela, en violation de la Constitution du 22 septembre 1960.
En effet, la Constitution du 22 septembre 1960 est d’inspiration libérale. Elle dispose, dans son préambule, alinéa 4 :
« Elle (la République du Mali) reconnaît à tous les hommes le droit au travail et au repos, le droit de grève, la liberté de se regrouper au sein d’organisation de coopération ou d’organisations syndicales de leur choix pour la défense de leurs intérêts professionnels. »
En son article 3, elle reconnaît aux citoyens le droit de se regrouper au sein du parti politique de leur choix :
« Les partis et regroupements de partis concourent normalement à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent librement leurs activités dans le respect des principes démocratiques, des intérêts, des lois et règlements de l’État. »
Ce sont ces dispositions qui se trouvent violées et cela, du fait d’une contradiction entre ces dispositions et l’option du Parti. En effet, concomitamment à sa déclaration d’indépendance, la République du Mali opte pour une voie de développement non capitaliste : le socialisme. Très tôt, la faille se décèle entre la mise en œuvre de l’option et certaines dispositions de la constitution : si la constitution, inspirée de la constitution française de la IVè République, est dans ses dispositions, libérale, la mise en œuvre de l’option oblige à recourir à des pratiques jurant avec le libéralisme.
Certes, peut-être avec le souci d’éviter le dogmatisme, les responsables politiques refusent de caractériser ce socialisme : aucune des épithètes, « africain » ou « scientifique » ne lui est accolée. Mais, l’US-RDA ne peut faire table rase, ni des circonstances dans lesquelles elle est née, ni de la fascination qu’exerce l’ex URSS sur les nations du Tiers-Monde dans ces années d’immédiat après-guerre. Les fondateurs du parti, en particulier Idrissa Diarra, ont été fortement influencés par les idées communistes à l’époque propagées par deux cadres français expatriées à travers leurs enseignements dispensés dans le GEC (Groupe d’Études Communiste) de la colonie.
Ainsi, sans pour autant être marxiste-léniniste, le socialisme, au Mali, va-t-il emprunter aux régimes du bloc de l’Est, bon nombre de ses méthodes d’administration et de gestion. Toutes les libertés individuelles, à l’exception de la liberté de pratiquer la religion de son choix, sont supprimées : plus de partis d’opposition, plus de syndicats ni d’associations libres, plus de presse indépendante
Après l’accession à l’indépendance, la relecture des textes fondateurs de l’US-RDA présente celle-ci comme « le parti du peuple malien », « le guide de son action ». Autrement dit, hors du Parti, point de salut. Quiconque n’est pas militant est apatride avec tout ce que connote de péjoratif ce terme. Les déclarations à la nation du Secrétaire Général du Parti débutaient, non pas par « Peuple du Mali », « Maliennes et Maliens » ou « Mes chers compatriotes », mais, par : « Militantes, Militants de l’Union Soudanaise RDA ».
Ainsi se trouve instauré un parti unique de fait et, avec cette instauration, une chape de plomb s’abat sur le peuple.
La négation des libertés individuelles atteint son paroxysme avec une résolution du VIè congrès du Parti instituant les Commissaires politiques. Ils sont au nombre de six : Mamadou Diarrah, Tiécoura Konaté, Birama Sidibé, Mamadou Sidibé, Alhousseïni Touré, Ténéma Traoré. Le 1er juin 1961, Modibo Kéïta procède à leur installation solennelle en présence des membres du BPN. Des pouvoirs exceptionnels leur sont reconnus dans le discours prononcé à l’occasion. En effet leur fait-il comprendre : « Il n’y aura, pour vous, aucune porte fermée en République du Mali » ; et cela, toujours d’après l’orateur du jour, compte tenu du fait qu’il leur appartiendra « de tout mettre en œuvre pour que toute tentative de subversion ou d’opposition d’où qu’elle vienne soit mise en échec ».
Pour lever toute équivoque sur la nature des pouvoirs reconnus aux commissaires politiques, le Secrétaire Général du parti termine son intervention en ces termes : « Votre tâche sera très lourde, ingrate et difficile. Vous devez, dans vos missions, oublier que vous avez des amis, en ayant comme objectif majeur la victoire de notre lutte. vous ne devez jamais oublier, par contre, que vous allez avoir une lourde responsabilité dans l’avenir de notre parti, de notre République, dans la réussite ou l’échec de notre politique et aussi dans les perspectives politiques de l’Afrique entière (…) au nom du Bureau Politique national, au nom de l’Union Soudanaise RDA, je place entre vos mains, la santé politique, la santé économique, bref, la santé tout court de la République du Mali. »
Ceux qui venaient d’être investis de tels pouvoirs sauront l’exercer avec modération, tenant compte de nos valeurs socio-culturelles. Cependant, des abus ont commis comme en témoigne l’auteur du texte Mes cinquante ans de Mali : « Il y a aussi eu au Mali de très, trop, nombreux abus de pouvoir. Des cadres du parti souvent de rang inférieur ont fabriqué de toute pièce des complots et des accusations contre certains citoyens dont la loyauté à la République du Mali était connue de tous. Voici un exemple personnel pour illustrer cela. Mon père (…) a été arrêté à plusieurs reprises entre juillet 1962 et août 1963. Il a été gravement et discrètement accusé en août 1963 d’attentat à la sureté de l’État après « qu’on » ait trouvé chez lui son fusil et une copie de « Savane Rouge » de Fily Dabo Sissoko.
« L’ordre, verbal je crois, de l’arrêter a été donné par le Commissaire Politique Mamadou Diarrah sur plainte verbale conjointe du Député Séga Sissoko et du Commandant Baradji. Cet ordre avait été transmis à Lassana Sacko, Commandant du Cercle de Bafoulabé (…) D’autres chefs d’accusations farfelues ont été, selon le jour, ajoutés ou enlevés à la plainte contre lui. Par exemple il lui fut reproché de « comploter » pour faire venir au Mali une infirmière française de la ville de Cernay qu’il avait épousée en France, dans une noce de jeunesse. » (KONATE (Dialla).- Mes cinquante ans de Mali. Blacksburg, septembre 2010. Texte disponible sur la toile (djaladjomathematiques.blogpot.com./2010/09).
La conclusion du témoignage édifie suffisamment sur les pratiques de l’époque quand il était question de garantie des libertés individuelles. Elle est la suivante : « Il est comique aujourd’hui de se rappeler que dans le rapport de police, mention avait été faite que mon père avait été « détenu en compagnie de son fusil et de son cheval préféré qui sont les preuves de sa volonté d’attenter à la sécurité de l’État du Mali » !!! » (Idem).
A suivre
La Rédaction