S’il vivait encore dans le Mali de nos jours, on l’étiquetterait symboliquement d’“activiste professionnel“. On aurait pu lui décerner la Palme de l’“Agit-Prop“ : l’agitation-propagande. Agitation perpétuelle d’un communiste incompris ou activisme débordant d’un révolutionnaire en action permanente contre le colonialisme, le fascisme et l’impérialisme. Tiémoko Garan Kouyaté mériterait amplement cette “juste récompense“ tant il avait su s’activer sans répit sur plusieurs fronts. Il fut d’abord syndicaliste en lutte farouche contre l’administration coloniale. Il fut ensuite panafricaniste en combat acharné pour l’émancipation de la race noire. Il fut alors journaliste militant pour la défense implacable de la cause de la même race nègre. Il fut un résistant intrépide à l’ordre colonial malgré son statut de fonctionnaire. Il fut aussi un combattant de la France occupée par les forces allemandes nazies qui finiront par le fusiller en décembre 1942. Dans tous ses engagements au service de ses contemporains africains et noirs, ce natif de Ségou fut parmi les pionniers. Comme l’atteste son action d’éclat de janvier 1921 à Kayes en déclenchant la première révolte collective des travailleurs de plusieurs secteurs.
“En janvier 1921 […] à Kayes, sous la direction de Tiémoko Garan Kouyaté, les fonctionnaires, les employés de commerce et les cheminots déclenchèrent une action commune pour protester contre les brimades de l’administration [coloniale] et des patrons. Une grève largement suivie qui a failli se transformer en émeutes. Les forces de police intervinrent. Des mutations s’abattirent sur les fonctionnaires qui furent éparpillés dans les quatre coins de la colonie : certains en Haute-Volta [tel] Tiémoko Garan Kouyaté et l’ouvrier Faganda Kéita en France”.
Ainsi, se remémorait le secrétaire général de l’Union nationale des travailleurs du Mali (UNTM, de 1978 à 1992), Bakary Karembé dans une allocution prononcée, début juillet 1983, à l’occasion de la célébration du 20e anniversaire de l’UNTM dont le congrès constitutif s’est déroulé à Bamako du 24 au 28 juillet 1963.
Ce rappel du charismatique leader syndicaliste mettait en exergue le rôle particulier joué par Tiémoko Garan Kouyaté (TGK) dans l’organisation de la lutte ouvrière à l’époque. Cette lutte était surtout caractérisée par des révoltes plutôt individuelles que collectives sur les chantiers où le système colonial dominait par le travail forcé. Il n’y avait pas encore des organisations syndicales qui ne verront le jour au Soudan-Français (actuel Mali) qu’à partir des années 1945-1946.
Des décennies durant, le joug colonial brimait les ouvriers soumis au travail forcé. A cause de cette inexistence d’un mouvement syndical formel, des travailleurs réagissaient ponctuellement et se faisaient entendre par des actes isolés. Pour fédérer leurs énergies résistantes face à l’oppression coloniale, il a fallu l’action collective de janvier 1921 à Kayes sous la houlette de TGK.
Né le 27 avril 1902 à Ségou, il fait ses études à l’Ecole normale William Ponty sur l’île de Gorée au Sénégal. Instituteur, il dirige en 1921, à Kayes, les mouvements de revendications ouvrières en protestation contre les brimades de l’administration coloniale. Ces mouvements sont brutalement réprimés par la police. L’administration fait éparpiller les meneurs aux quatre coins des colonies. Tiémoko Garan Kouyaté s’exile en Côte d’Ivoire où il est enseigne (1921-1923).
Par la suite, TGK arrive, en octobre 1923, en France pour reprendre ses études préparatoires au Brevet élémentaire à l’Ecole normale d’Aix-en-Provence. Là, selon Sandro Capo Chichi, “il fait partie des six premiers Africains à intégrer en tant qu’allocataire, l’Ecole normale d’Aix-en-Provence. L’expérience tournera toutefois court. Kouyaté, déjà imbibé d’une conscience politique, est renvoyé de l’institution pour son comportement hostile à l’administration française et pour y avoir fait circuler de la propagande communiste”.
Il se trouve expulsé de cette école le 5 octobre 1925, pour “indiscipline et menaces envers un professeur…” On l’accuse également de “propagande communiste” à cause de son engagement dans plusieurs organisations anticolonialistes liées au Parti communiste français (PCF). Tiémoko Garan Kouyaté fut le “premier Malien connu d’orientation politique communiste”, selon le couple d’historiens les professeurs Alpha Oumar et Adame Bâ Konaré.
Après son expulsion de l’Ecole normale, rappelle la chercheuse Sandro Capo Chichi, “plutôt que de retourner en Afrique, Tiémoko Garan Kouyaté s’installe à Paris où il travaille provisoirement comme comptable et où il suit des cours à l’Université de la Sorbonne. Bientôt, il rencontre de nombreux intellectuels africains et antillais et rejoint la Ligue de défense de la race nègre (LDRN). Après la mort de Lamine Senghor, il en devient le nouveau secrétaire général. Très vite, les activités de la LDRN sont l’objet de surveillance accrue de la part des autorités françaises. Kouyaté se félicitera de ce harcèlement qu’il jugera être un témoignage de l’importance de son combat”. TGK, employé chez Hachette à Paris, fait montre de résistance à l’ordre colonial à travers un “militantisme [mené] en Métropole du fonctionnaire” qu’il était.
En 1926, il est nommé secrétaire adjoint du Comité de défense de la race nègre (CDRN), créé par le Sénégalais Lamine Ibrahima Arafang Senghor et dont l’organe mensuel est La Voix des Nègres avec en sous-titre “L’action au sein du Parti communiste français“. Mis en minorité au comité éditorial de ce journal, L. I. A. Senghor et TGK en démissionnent pour fonder le 22 mai 1927, la Ligue de défense de la race nègre (LDRN) ayant pour mensuel La Race Nègre dont le premier numéro parait en juin 1927.
A la mort de Lamine Senghor en novembre 1927, la LDRN est dirigée par TGK. Puis par un autre Sénégalais Emile Faure, élu le 30 mai 1930. Ce dernier se brouille avec TGK. Conséquences : la Ligue possède deux journaux au même titre La Race Nègre. Après des tirs à boulets rouges entre les deux organes, intervient une bataille judiciaire gagnée par Faure. TGK crée en mai 1931 son journal Le Cri des Nègres. Le 3 septembre suivant, il participe à la naissance de l’Union des travailleurs nègres (UTN).
- G. Kouyaté préside une année durant la frange communiste de ce mouvement. Accusé de déviationnisme, il est exclu du Parti communiste et se voit chassé par la tendance radicale de l’UTN, en octobre 1933.
On raconte que son excommunication est intervenue “sur [une] démarche agissante de son rival Emile Faure à la suite de ‘problèmes’ de gestion financière et administrative”. Mais, le regretté Abdoulaye Charles Danioko rapporte, dans sa thèse de doctorat en histoire (1984), que, le 21 octobre 1933, TGK écrivait en se plaignant : “On a assez saboté notre mouvement. Je ne veux pas que ma responsabilité soit engagée à mon insu par certains camarades de Paris toujours prêts à sacrifier des militants indigènes dès que l’occasion se présente, tout en dupant l’opinion métropolitaine sur la prétendue aide qu’on devrait être en droit d’attendre d’eux…”
Après son départ de l’Union des travailleurs nègres, TGK collabore avec L’Etoile nord-africaine de Messali Hadj. Il côtoie également des activistes noirs non communistes comme Marcus Garvey, William E. B. Du Bois, et George Padmore. On retient que de 1925 à 1932, TGK est devenu un “révolutionnaire professionnel“ à travers un activisme débordant : membre du Conseil général de la Ligue anti-impérialiste (1929), il séjourne à Berlin (capitale de la RDA d’alors) et en ex-URSS ; secrétaire de la Section Afrique du Syndicat international des ouvriers nègres, affiliée à l’Internationale syndicale révolutionnaire (août 1930) ; secrétaire de la Fédération CGTU des gens de mers.
Sandro Capo Chichi rapporte aussi : “En 1932, après que l’association LDRN eût été officiellement démantelée, Kouyaté et ses autres membres importants créent une nouvelle association, l’Union des travailleurs nègres (UTN). L’idéologie de ces mouvements varie entre le panafricanisme, cherchant à unir tous les Noirs de Métropole et le communisme. Par ce biais, Kouyaté noue des relations avec des célèbres panafricains du monde entier comme le Trinidadien George Padmore. Son engagement politique le voit aussi entrer en conflit avec des personnalités noires de Paris comme Blaise Diagne, qu’il dénonce comme un traître à la cause noire et un agent du colonialisme et Joséphine Baker qu’il accuse d’être une ‘Noire négrophobe’ ‘comme il existe des Juifs antisémites’. Refusant une carrière politique comme celle de B. Diagne, il invite les Noirs à rentrer dans leur pays pour y mener une propagande anticoloniale”.
En octobre 1933, TGK quitte donc l’Internationale communiste et le PCF et “évolue progressivement vers la gauche française […] En 1934, Kouyaté crée un autre mouvement appelé Solidarité coloniale et dont l’objectif avoué est de se battre pour la libération des peuples colonisés par l’impérialisme français”, note Capo Chichi. S’engageant dans le mouvement antifasciste pour le soutien à l’Ethiopie, il fonde en décembre 1935, le journal Africa qui parait jusqu’en septembre 1938. Deux années auparavant, il soutient, en France, “avec enthousiasme [le] gouvernement du Front populaire et fait alors l’éloge de la politique coloniale de Marius Moutet”. Au début de 1939, TGK crée la Fédération française des jeunesses africaines dont le but est de “grouper les jeunesses autochtones de l’Afrique occidentale française en vue de sauvegarder leurs intérêts de toute nature dans le cadre de la légalité”.
Après la Guerre de 1914-1918, Tiémoko Garan Kouyaté s’est fait un devoir de dénoncer la perspective d’une Seconde Guerre mondiale et le rôle d’Etats racistes comme les Etats-Unis et l’Allemagne d’Hitler. Pendant ce conflit, TGK, se montre loyal à la France occupée en fondant, en 1939, l’Association nationale d’assistance aux soldats indigènes. Après avoir été déporté au camp de concentration de Mauthausen en Autriche, il devient ajusteur-soudeur à Fort Montluçon. Il y est exécuté par les Allemands, le 20 décembre 1942 pour n’avoir pas dénoncé les auteurs d’un acte de sabotage commis par des résistants français.
Sandro Capo Chichi regrette que “le souvenir de cet intellectuel et activiste travaillant pour l’unité et l’indépendance des victimes de l’impérialisme allait pourtant disparaître au fil des décennies, laissant l’impression au grand public de l’inexistence, dans la France métropolitaine qui l’avait précédé, d’Africains ayant combattu pour leur émancipation”.
Pour autant, en Afrique, appréciant les longues péripéties de sa lutte inlassable à la cause des Noirs, ceux qui l’ont connu, surtout en Afrique, le considèrent comme un “journaliste militant au service du panafricanisme”. Pour amplifier le combat de Tiémoko Garan Kouyaté et de Lamine Senghor, des sections de la LDRN sont créées au Sénégal et au Soudan. Elles vont subir des représailles des administrations coloniales locales.
En souvenir de son engagement multiforme, le pionnier des luttes sociales est immortalisé par des jeunes intellectuels maliens (pour la plupart des étudiants en France) qui ont tenu à honorer sa mémoire en créant vers 1978 un mouvement politique : le Groupe Tiémoko Garan Kouyaté issu des flancs du Parti malien du travail (PMT, une formation évoluant dans la clandestinité). Les initiateurs du Groupe TGK ont quitté le PMT suite à des “divergences tactiques” relativement au retour du Mali à la normalité constitutionnelle formalisée par la création du parti unique de droit, l’UDPM.
Quelques années plus tard, le Groupe TGK deviendra l’Union des luttes Tiémoko Garan Kouyaté (ULTGK). Au nombre des adeptes de ces mouvements TGK, figurent plusieurs célébrités politiques dont le Pr. Yoro Diakité, le Pr. Drissa Diakité, le Pr. Many Camara, le Pr. Kaourou Doucouré, le cinéaste Cheick Oumar Sissoko, Me Amidou Diabaté, Tiébilé Dramé, Djiguiba Kéita alias PPR, Mohamed Tabouré du journal Sanfin, Me Mountaga Tall, Dr. Oumar Mariko, etc.
La plupart de ces acteurs politiques ont été les premiers dirigeants du Cnid-Association qui fut l’une des composantes du Mouvement démocratique, artisan de la Révolution du 26 mars 1991.
Sources :
– Harouna Barry : “Tiémoko Garan Kouyaté : Pionnier du Mouvement démocratique et révolutionnaire malien”, série de dix (10) articles publiés dans Le Malien Magazine paru entre avril et septembre 1999.
– Sandro Capo Chichi : “Tiémoko Garan Kouyaté, militant anti-impérialiste mort dans un camp nazi” Article en ligne du 26 février 2017 in http://nofi.fr/2017/02/…/36436.
– Robert Cornevin : “Tiémoko Garan Kouyaté. Un Malien pionnier du panafricanisme et de la négritude”, in L’Essor quotidien n°6896 du 12 juillet 1974, P.3.
– Brin Coulibaly : “Tiémoko Garan Kouyaté, Le tout premier panafricaniste” in L’Inter de Bamako, hebdomadaire N°50 du 16 janvier 2006, P.3
– Abdoulaye Charles Danioko : “Contribution à l’étude des partis politiques au Mali de 1945 à 1960”, thèse de doctorat de 3e cycle en Histoire, Université de Paris VII, Avril 1984, Pages 211, 292, 318-319, 530 et 544.
– Pr. Yoro Diakité : “Témoignage d’un militant du Groupe Tiémoko Garan Kouyaté sur la Révolution du 26 mars 1991”, contribution in “26 mars 1991-26 mars 2001, Xe anniversaire. Bâtissons la mémoire du Mali démocratique”, ouvrage collectif, Centre Djoliba-Mémorial Modibo Kéita, Bamako, 2002, PP.235-237.
– Madior Diouf : “Sur la littérature africaine de langue française” in Ethiopiques, numéros 40-41, Revue trimestrielle de culture négro-africaine, Nouvelle série, 1er trimestre 1985, Volume III, n°1-2.
– Garougando (WP) : “Kouyaté Tiémoko Garan : instituteur, journaliste, syndicaliste et militant anticolonialiste malien (1902-1942)…” in Afrique Fédérale, (Bamako) hebdomadaire n°19 du 03 janvier 2013, P.4.
– Bakary Karembé : “L’UNTM fête ses 20 ans : Défendre les intérêts des travailleurs, lutter pour la construction d’une société de paix et de justice”, Allocution du secrétaire général de l’UNTM, in L’Essor Hebdo n°1231 des 9-10 juillet 1983, P.5.
– Alpha Oumar et Adame Bâ Konaré: “Grandes Dates du Mali”, Edim, Bamako, 1983 ; Pages 115 et 121
– Alpha Oumar Konaré : “Histoire des partis politiques au Mali. Du pluralisme politique au parti unique. 1946-1968”, Cauris Livres, Bamako, 2016, Pages 16-30, 594.
– Organisation internationale de la Francophonie (OIF) : “Le mouvement panafricaniste au vingtième siècle. Textes de références”, Actes de la Conférence des intellectuels d’Afrique et de la diaspora, organisée par l’Union africaine à Dakar, 7-9 octobre 2004 ; 387p.
– Hamed Sidibé : “Histoires politiques du syndicalisme malien”, Tropiques Editions et L’Harmattan, Paris, 2012, PP.24-30 et 32.
– Marc Tardieu : “Les Africains en France, de 1914 à nos jours”, Editions Du Rocher, Collection “Gens d’ici et d’ailleurs“, Monaco, 2006, P.53.
– Daouda Gary-Tounkara : “Histoire du Mali” in “Le Mali des talents”, Cauris Editions, Bamako, 2e édition, 2004, PP. 25-32.
– Abass Fambougouri Traoré : “Rapports culture politique et information au Mali”, mémoire de maîtrise en droit public, ENA, Bamako, 1989, P.18.
Un autre héro que nos generations ne reconnaissent même pas. Ils se retournent tous dans leurs tombes en regardant ce que sont devenues leurs progénitures en seulement deux generations. Bamaw ye kanaw wolo aw ko…c’est-a dire les caïmans ont accouché de lézards….
Bamaw ye bassaw wolo, c’est la verite d’Allah, merci PKagame.
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