Le théâtre malien : cinquante ans d'épopées héroïques

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Au sortir de plusieurs décennies de nuit coloniale, la jeune République du Mali s’assigna, parmi ses préoccupations fondamentales, la revalorisation du patrimoine culturel, la récupération de sa mémoire identitaire confisquée, la création à ce titre d’une nouvelle conscience, civique et patriotique, la mise sur pieds d’un peuple longtemps garrotté à travers la renaissance du mythe du travail bien fait pour soi et pour les générations à venir. Cette tâche de remontée gigantesque de la nation sera confiée à Moussa Tati Kéïta, Haut Commissaire à la Jeunesse, l’un des rares universitaires de l’époque, un sportif de dimension continentale, un manding pur sang à l’éducation solide sur le plan de la famille, un cadre engagé dans chaque phrase, chaque mot, chaque souffle de l’hymne national du Mali. Le cadet du président Modibo Kéïta.

Une tâche difficile mais exaltante

Ancien normalien de William Ponty où le théâtre avait soudé les pensionnaires africains de divers horizons, Moussa Kéïta passera par la culture pour booster l’unité nationale, prouver au monde que le Mali peut s’assumer et s’ouvrir aux peuples de tous les continents au nom de la fraternité humaine et du dialogue des cultures et des civilisations.

Partant des embryons des structures existantes en matière de troupes artistiques et de clubs sportifs, il mettra en place une stratégie pragmatique et efficace qui, une fois sur orbite, couvrira l’ensemble du territoire national pour innover la plus belle initiative du génie de la jeunesse malienne : les semaines nationales qui auront les biennales comme continium. Par un travail de recherche comparable à des fouilles archéologiques, il fera sortir de nos gisements artistiques et culturels, des trésors plus précieux que l’or et le pétrole. Cette richesse spirituelle, éthique et morale sera le point d’appui du levier politique, économique et social du jeune Etat malien.

Ainsi, de 1962 à nos jours, les rencontres nationales de la jeunesse ont produit des milliers de pièces de théâtre présentées aux publics des villages, des chefs lieux d’arrondissements, des communes et des capitales régionales pour finir, pour les meilleures, dans le District de Bamako. Ces spectacles aux messages percutants ont tiré la sonnette d’alarme pour les autorités comme des alertes précoces qui préviennent contre des dérapages.

Ainsi, des danses folkloriques précieuses, de vrais thèmes joyaux, ont été sauvées de l’oubli. Des ballets à thèmes de grandes factures ont imposé l’image du Mali dans le monde et facilité le travail des diplomates lors de leurs tournées internationales. Des morceaux d’orchestre ont réussi l’alliance du passé et du présent pour projeter le Mali dans le futur. Les chœurs et les solos ont permis l’émergence et la découverte des voix jeunes qui sont devenues des voix d’or, des étoiles, des mouvements de notre patrimoine culturel : Mariam Bagayoko, Tata Bambo, Babani Koné. Les pièces de théâtre ont été les conseillers des gouvernants dans la gestion citoyenne du pays.

Toutes les régions administratives y ont apporté leur grain de sel.

En guise de synthèse, disons que le message de la troupe de Kidal consacré à la rébellion au Nord n’a pas passé inaperçu.

L’appel de Tombouctou sur les points sensibles de la nation a convaincu à chaque rencontre et engagé le changement au niveau des décideurs.

Chaque région s’est investie là où le Mali et l’Afrique avaient mal et l’a exprimé dans des œuvres durables.

Gao : Tout pour la révolution. Le Drapeau noir au Sud du Berceau.

Kayes : Nous avons résisté à l’envahisseur. Le verdict du peuple. Les frères ennemis.

Bamako : Tempête à l’aube. Un cas de conscience. Les vrais coupables.

Sikasso : La lutte. Le parti, c’est nous qui l’avons créé. La gangrène sociale.

A qui la faute ? Le monde rural. Fils de personne.

Mopti : L’exode rural. Le masque tombe. Le mal est vaincu. Les Martyrs. La fleur du mal.

La création des formations nationales et de l’INA

C’est comptant sur les banques de données des semaines que le Haut Commissariat à

la Jeunesse créera les formations nationales pour les rentabiliser à travers des reprises à côté de leurs créations annuelles au programme. Le groupe dramatique, l’ensemble instrumental, les Ballets et l’orchestre national seront conviés à ce travail de prospective, de prospection et d’introspection.

Parallèlement, pour la formation académique des cadres devant couvrir les besoins du Mali dans divers domaines artistiques, l’Institut National des Arts verra le jour. Des sections naîtront progressivement : les Arts plastiques, l’Art dramatique, la Musique, l’Animation socio-culturelle qui s’ajouteront aux métiers du cuir, du tissage, du fer et du bois.

Le rôle joué par l’Institut national des Arts est déterminant dans la mise à niveau et la modernisation du théâtre malien. Il a  modelé la pate de toutes les grandes figures de notre scène et qui ont honoré le Mali sur les planches africaines et internationales : Ousmane Sow, Aguibou Dembélé, Habib Dembélé, Bakary Sangaré, le premier africain à évoluer à la Comédie Française. Ils sont nombreux et divers : Hamadoun Kassongué, Fili Traoré, Diénéba Diawara, Maïmouna Doumbia, Fanta Berthé, Oumou Berthé, Hélène M. Diarra, Malick Dramé et le groupe Nyogolon ont doté le Mali d’un prestige sans faille. Ils ont approfondi la parole-acte et ont fait que la question théâtrale se situe aujourd’hui dans la relation entre le public et la représentation et interpelle metteurs en scène, comédiens et auteurs dramatiques. Si dans le genre traditionnel comme le Kotéba, l’expression a pour biotope l’instantané, dans le théâtre moderne malien, il faut désormais s’outiller des techniques d’avant-garde fortes de symboles.

La mission initiale dévolue à l’INA, jadis appelé la Maison des Artisans Soudanais n’était pas dans la formation des comédiens, mais plutôt dans celle des ouvriers ébénistes, sculpteurs, maçons, etc… Il a honorablement assuré ce profil de 1932 à 1962, avec ses premiers directeurs : Jean Légal (1932-1937) Jean Hensey (1937-1942) Démicellis (1942-1945) Lebel (1945-1950) André Couré (1950-1953) Dérimez (1953-1957) Boutoute (intérim 1958-1960) Mamadou Sy (1960-1962).

Après la première semaine nationale de la jeunesse, l’école, sous Boubacar Diallo (1962-1964) prendre le nom de l’Institut National des Arts qui se fixera de nouvelles ambitions dont la formation des artistes en phase avec les besoins nouveaux du Mali.

Suivront de nouveaux directeurs : Jules Travélé (1964-1968) Boubacar Diallo (1968-1971) Fousseyni Konaré (1971-1972) Adama Kansaye (intérim 1972-1973) Oumar Cissoko (1973-1975)  Mamadou Somé Coulibaly (1975-1987) Mamadou Bamou Touré (1987-1993) Mouktari Haïdara (intérim 1993-1994) Souleymane Sissouma (1994-1998) Racine Moctar Dia (1998-2003) Oumar Kamara (2003-2008) Madame Fofana Aminata Diombana (directrice depuis 2008) la première femme à occuper ce poste. Leur contribution est comptable dans l’essor multiforme du théâtre contemporain malien.

La volonté politique et l’épanouissement  du théâtre

On ne peut ne pas souligner, en cette année du cinquantenaire de notre pays, la volonté politique des ministres qui ont eu en charge la culture et d’avoir voulu mieux faire. Entre autres, Many Diénépo (Haut Commissaire sous la deuxième République) Yaya Bagayoko, Moustaph Soumaré, Mahamane Touré, Mohamed Ag Hamani, Alpha Oumar Konaré, N’Tji Idriss Mariko, Cheikna Détéba Kamissoko, Bakary Koniba Traoré. Pascal Baba Coulibaly, André Traoré, Aminata Dramane Traoré, Cheick Oumar Sissoko, Mohamed El Moctar, l’actuel locataire du Département.

De Mobibo Kéïta à ATT, le théâtre a toujours été considéré comme un élément important dans le rayonnement de la société malienne. Ce théâtre n’est plus un théâtre de tam-tam, de pagne, de calebasse ou de baobab. Il est désormais une expression décapante au verbe sulfureux. Un théâtre éclaté aux dimensions cosmiques et qui intègre les techniques de pointe de la scénélogie. Il réinvente le Mali et l’Afrique, transcendant les frontières, débarrassé des aprioris. Après la dramaturge de retour et la chorégraphie de l’errance, il se veut aujourd’hui un art qui met debout son public dans les salles et les rues,  les marchés et les hôpitaux, à travers ses formes diverses : du théâtre débat, à celui de l’urgence sociale et le récital.

Le professionnalisme se renforce à travers l’arrivée sur le marché du travail des produits finis de la section arts de l’Université de Bamako (les metteurs en scènes et les dramaturges) ainsi que les comédiens du Conservatoire Balla Fasséké. L’ouverture prochaine de la filière Bac Arts raffermira davantage la vocation très porteuse dans les métiers de la création.

Hommages aux grandes figures de la vie culturelle malienne

C’est le temps et le lieu de rendre hommage aux vétérans de la vie culturelle et artistique qui ont fait du Mali, aux côtés de leurs collègues d’autres sphères ce qu’il est aujourd’hui depuis 1960. Citons, entre autres, Mamadou Badian, Sidiki Sow, Mamadou Sacko, N’Tji Diakité, Wélé Diallo, Harouna Barry, Kardjigué Laïco Traoré, Adama Traoré d’acte sept les Nyogolon, etc…

Il faut rappeler de même le mérite des acteurs qui ont constitué l’ossature de la scène malienne dans son évolution, Daouda N’Diaye, Souleymane Doucouré, Mamadou Sangaré, Habib Dembélé, Korongo Kéïta, Mamadou Kéïta, Karim Togola, Lamissa Traoré, Djibril Diabaté, Kary Bogoba. Nous n’oublions pas les amazones à jamais présentes dans l’Histoire : Hélène Diarra, Fanta Berthé, Maïmouna Doumbia, Catherine, Habibatou N. Traoré, Mariam Kanakomo, Diahara Sanogo, Alimata Baldé, Mariétou Kouyaté, Diénéba Sissoko, Niamé Traoré, Kadidia Goïta.

Un bouquet de fleurs va à l’endroit des jeunes dramaturges qui renouvellent constamment le style et la langue dans l’écriture : Belco Boubacar Diallo, Awa Demba Diallo etc…

Pour terminer, il faut souligner qu’aujourd’hui, le théâtre malien souffre du manque de la formation des formateurs, de cadres compétents en régie (plateau, son, lumière) et en gestionnaires culturels et surtout de salles équipées modernes.

Si cet handicap était surmonté, son avenir serait plus beau pour qu’il s’investisse davantage dans les multi-media, la radio, la télévision, en finir avec l’amateurisme et voguer, toute voile déployée vers les grands bleus de l’Océan de la création. Cela est possible, il est à notre portée. Pour la nouvelle vague qui arrive.

 

Pr Gaoussou DIAWARA

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