Le Président Amadou Toumani Touré bat aujourd’hui le record d’impopularité. Ses hésitations et ses maladresses font ressurgir l’image d’un exécutant. Sa position rappelle celle de l’ancien Président déchu en 1991, qui s’est débarrassé de façon spectaculaire de ses camarades du CMLM. Des membres du Comité Transitoire pour le Salut du Peuple (CTSP), il ne reste plus Trois (3), avec qui le Président ATT collabore présentement. Serait-il sur les traces de Moussa ?
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Derrière les banalités se profile la préoccupation voire l”obsession du général Moussa Traoré : le retour à une vie constitutionnelle normale et la mise en place d”institutions suffisamment stables pour être crédibles. Il y a quelques semaines, comme nous lui demandions pourquoi il n”avait pas encore dissous le Comité militaire, il a répondu, catégorique : "Je peux dissoudre aujourd”hui le Comité si je le veux. Mais pour le remplacer par quoi ? Je me retrouverais seul au pouvoir, sans personne pour me critiquer, sans aucune structure d”équilibre. J”attends le moment."
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Réconciliation nationale
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Selon certaines indiscrétions, une disposition des projets de statuts éclairerait particulièrement l”ossature du nouveau pouvoir. Il s”agirait du cumul des fonctions de président de la République, de chef du gouvernement et de secrétaire général du parti. Or, la Constitution adoptée par référendum en juin 1974, mais applicable au bout de cinq ans (juin 1979), dissocie les fonctions présidentielles de celles de responsable du parti. Il est donc vraisemblable que, si les statuts de 1”UDPM sont approuvés dans le sens du cumul des postes, la Constitution devra être révisée par un nouveau référendum. Ce réexamen ne va guère dans le sens de la démocratie, tant s”en faut. Mais une modification ouvre la voie à une autre et, dans le cas du Mali. Chaque petit pas vers la démocratie est devenu essentiel.
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L”occasion serait belle, en effet, pour supprimer enfin une source perpétuelle de division au sein de l”establishment "militaro intellectuel" : le fameux article 76 qui, pour dix ans à partir de 1979, exclut de I”UDPM, donc de la vie politique, tous ceux ayant exercé quelque responsabilité, entre 1966 et l968, dans l”us-RDA (Union soudanaise, section du Rassemblement démocratique africain), ancien parti du président Modibo Keita, renversé en 1968.
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Cette éventuelle révision n”a en vérité jamais été écartée par Moussa Traoré. Depuis bientôt deux ans, il nous a toujours obstinément affirmé : "C”est au peuple et non à Moussa qu”il revient de réviser la Constitution. Moussa n”en prendra pas l”initiative." Et si la Constitution est révisée, on ne pourra pas dire que c”est par la volonté isolée de Moussa. Le président se sera contenté d”aider le peuple à le vouloir en le faisant proposer par le congrès du parti. Dans cette hypothèse, les anciens cadres de l”US-RDA ne pourront plus lui reprocher "de vouloir la réconciliation nationale tout en frappant d”ostracisme une catégorie de citoyens."
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Que s”est-il donc passé pour que, après dix ans de méfiance viscérale entre officiers et intellectuels, le Mali se décide à revenir à une vie constitutionnelle normale et à vouloir la réconciliation nationale”? Trois éléments se sont conjugués pour y aboutir.
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Le premier : le vieillissement des cadres de l”US-RDA, dont les plus célèbres, après la mort de Modibo Keita en juin 1977, n”ont été libérés qu”en janvier 1978. De l”avis même de l”un de ses anciens proches, par exemple, Madeira Keita, ancien ministre de l”intérieur de Modibo Keita et présenté naguère comme le dur des durs, n”a plus beaucoup de chances de revenir dans la vie politique active. Même sous le régime antérieur, il n”avait pas une grande assise populaire, étant l”un des rares fidèles de l”ex-président à n”avoir jamais eu de circonscription électorale.
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Ostracisme
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Un autre dirigeant de I”US-RDA, Mahamane Allassane Haïdara, ancien président de l”Assemblée nationale, a plus de base populaire et de célébrité. Mais, considéré comme "viscéralement .féodal", il lui sera difficile de se faire accepter par la nouvelle génération. Un haut fonctionnaire, peu suspect de tendresse envers les militaires, nous disait, voici quelques semaines "Ces aimables vieillards ne guideront plus les jeunes cadres. Ils peuvent seulement participer à la réconciliation nationale." En somme, les "aimables vieillards" sont désormais inoffensifs et il n”est plus nécessaire de les "frapper d”ostracisme".
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Deuxième élément qui a favorisé le changement : l”épuration décidée tardivement, mais accélérée depuis le début de l”année dernière. Violemment opposés à la démocratisation et à la formation du parti, les durs du Comité militaire, en particulier Kissima Doukara, alors ministre de l”Intérieur et de la Défense, et Tiecoro Bagayoko, directeur des services de sécurité, ont été arrêtés le 28 février 1978 pour "complot contre la sûreté de l”Etat et haute trahison". Condamnés à mort le 22 octobre 1978, ils attendent encore… d”être jugés, cette fois, pour corruption. Car le grand nettoyage voulu par le général Moussa Traoré n”est pas seulement politique. Il est même, surtout, d”ordre moral. En octobre 1978, le président nous affirmait encore : "J”irai jus qu”au bout." Dernière arrestation en haut lieu, le 2 janvier 1979 : celle du colonel Joseph Mara, membre du Comité militaire et ancien ministre de la Justice. Pour "malversations et corruption".
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"La conscience du président"
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Une telle obstination dans l”épura lion a fait acquérir au chef de I”Etat une certaine popularité et la sympathie d”une classe de jeunes cadres qui lui reprochaient naguère ses atermoiements. C”est là le troisième élément, sans doute le plus déterminant dans l”évolution récente du Mali. Il est en tout cas significatif que, à la commission préparatoire du congrès de l”UDPM désignée en octobre 1978 et qui préfigure le futur bureau politique, ne participe qu”un seul membre du Comité militaire : le colonel Filifing Sissoko, considéré depuis toujours comme "la conscience du président".
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Inamovible secrétaire permanent du Comité militaire depuis 1968, cet homme secret, aux yeux de félin et à l”allure martiale dans son éternelle tenue léopard, passe pour le concepteur du parti. Dans son bureau, qui jouxte l”antichambre du cabinet présidentiel, trois "objets" ont toujours intrigué les visiteurs une statuette de Mao Tsé-toung, une autre de Lénine et… un pistolet de gros calibre, le tout trônant sur sa table de travail. Fidèle entre les fidèles – au point d”arrêter lui- même son propre beau-frère accusé de complot, en mars 1978- Filifing Sissoko s”est vu sans surprise confier le poste de président de la Commission préparatoire du congrès.
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Une nouvelle catégorie de partisans s”est également formée autour de Moussa Traoré. Elle est incarnée par le lieutenant-colonel Sékou Ly qui, le 28 février 1978, a dirigé les commandos chargés d”arrêter Tiecoro Bagayoko. Kissima Doukara et autres, et est devenu depuis secrétaire d”Etat à la présidence chargé de l”intérieur.
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Mais le fait nouveau est incontestablement l”émergence d”une catégorie de jeunes cadres civils, dont d”anciens militants actifs de l”US-RDA. Parmi ces jeunes turcs du président, Alioune Blondin Beye, ministre des Affaires étrangères depuis avril 1978 ; Alpha Konaré, ministre de la Jeunesse ; N”Fagnanama Koné, ministre du Développement rural, ou encore Cheikh Amady Diarra, directeur général de l”Information nommé vice-président de la commission préparatoire du congrès
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Derniers pas
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Ces nouveaux appuis ont à l”avance transformée les règles du jeu du Mali. Comme nous l”a indiqué un des proches du président, ils soutiennent, "non plus le général Moussa Traoré, mais Monsieur Moussa Traoré". Pour le Mali, longtemps figé dans le corset des militaires les plus durs, ce changement est fondamental. Il laisse entendre que les derniers pas vers un régime civil ont été faits.
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Est-ce à dire que la démocratie est pour demain? Tout dépend du congrès de l”UDPM. S”il se contente d”avaliser ce qui lui sera proposé, il repoussera l”horizon démocratique s”il se transforme en assises populaires décidant de l”avenir sans subir de pressions, il donnera au Mali une chance de sortir des impasses successives de ces vingt dernières années. Peut-être alors les rancoeurs accumulées par les uns et les autres s”estomperont-elles ? Les condamnations à mort prononcées fin octobre 1978 contre les anciens durs du régime militaire laissent néanmoins planer quelque malaise. L”un des condamnés, à la fois le plus haï et le plus admiré, Tiecoro Bagayoko, avait écrit, le 8 mars 1978 (huit jours après son arrestation), à un proche du président pour qu”il intercède en sa faveur: "Dis au numéro un que son N”Dogo ("mon petit", ainsi Moussa Traoré appelait-il Tiecoro Bagayoko) a fauté contre lui. Mais dis-lui qu”il m”a (dit un jour que le pardon existe en politique.
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SOURCE JEUNE AFRIQUE – N°945 -14 FEVRIER 1974
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29 octobre 2007
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