La gauche révolutionnaire en Afrique Subsaharienne: le cas du Mali (suite)

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L’histoire de la gauche malienne reste souvent méconnue. Peu d’écrits, sauf ce que l’on retrouve dans quelques journaux clandestins de l’époque. Les archives détenues par des responsables ou des militants de gauche sont propriété privée. Elles sont très mal conservées dans des cartons ou reparties en sacs faciles à planquer ou à déplacer, en cas de perquisitions policières. Beaucoup ont été perdues avec la disparition de leurs détenteurs. D’autres sont devenues la propriété de leurs familles qui n’en voient pas la portée historique. Mal conservées, elles restent, pour l’essentiel, peu exploitées, parfois inexploitables. Cependant, elles demeurent chargées de souffrances ou d’espérances, parfois les deux à la fois. Elles restent les quelques rares témoignages précieux de cette partie de l’histoire récente du pays.

 Le groupe Tiémoko Garan Kouyaté

Au sein du PMT, d’autres ruptures eurent lieu. Certains de ses militants finirent par s’organiser au sein du groupe «Tiémoko Garan Kouyaté», du nom d’un militant communiste malien fusillé en 1942 par les nazis lors de l’occupation du territoire français pendant la seconde guerre mondiale. Certains membres de ce groupe, militants SVB à l’origine, jouèrent un rôle important dans la chute de la dictature de Moussa Traoré. Il œuvrait surtout dans la clandestinité. Ses militants étaient impliqués dans les luttes syndicales des enseignants, élèves et étudiants, de la magistrature, de la santé et autres syndicats. À maintes occasions, ils furent le fer de la mobilisation générale lors de l’insurrection populaire qui finit par abattre la dictature militaire.

Le Groupe Tiémoko Garan Kouyaté (TGK) était principalement composé de militants en rupture avec le PMT dont il dénonçait les revirements idéologiques et la collaboration avec le régime de Moussa Traoré dans le cadre de la théorie de l’entrisme évoquée plus haut. Les figures de proue en étaient le Pr Yoro Diakité, le Cinéaste Cheick Omar Sissoko, l’anthropologue Bréhima Béridogo, l’historien le Doyen Drissa Diakité, le Magistrat Hamidou Diabaté et autres, rejoints par d’autres de l’intérieur comme l’étudiant en Médecine Oumar Mariko, un des principaux dirigeants du mouvement étudiant AEEM (Association des Élèves et Étudiants du Mali) des années 90 et Tiébilé Dramé, Professeur de Lettres qui s’exila en France pour fuir la dictature de Moussa Traoré.

TGK dénonçait aussi la théorie de la nécessité de la création d’une bourgeoisie nationale comme étape indispensable dans le processus de la révolution nationale démocratique et populaire. Ainsi, certains dirigeants et cadres du PMT prônait la facilitation de l’enrichissement d’une élite en vue de l’«émergence d’une bourgeoisie nationale». Certains joignirent la parole à l’acte et devinrent hommes d’affaires. Ils profitèrent de leur positionnement au sein de l’appareil du régime de Moussa Traoré pour mettre en place un vaste réseau qui leur servit de ‘‘véritable pompe à fric’’ souvent au sein même des entreprises d’État. Il finit par mettre en place un véritable clan que certains baptisèrent «clan CMDT» du nom de la Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles qui avait un poids de premier plan dans l’économie du pays. Le clan CMDT, à la chute de Moussa Traoré, prit de l’importance au sein de l’appareil d’État. Il en profita pour positionner ses cadres au sein de l’appareil politique et économique du nouveau régime ADEMA et pour s’accaparer des secteurs les plus juteux de l’économie nationale lors de la mise en œuvre des politiques de privatisation imposées par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire Internationale (FMI). Ils devinrent les principaux et nouveaux actionnaires des secteurs privatisés (hôtels, PMU, Télécoms, Mines et autres.)  Les déviations et les abandons de la ligne de gauche par le pouvoir ADEMA viennent de là. L’achat de bulletins de vote et la corruption généralisée aussi.

Les principaux dirigeants de TGK finirent par créer après la chute de la dictature en mars 1991, le Congrès National d’Initiative Démocratique (CNID), association qui donna naissance à un parti du même nom. Il connut plus tard en 1995 une scission, où les éléments de gauche se séparèrent des libéraux au sein du parti pour créer le PARENA (Parti de la Renaissance Africaine), dirigé par le Pr Yoro Diakité, puis Tiébilé Dramé. Ce parti connut plusieurs scissions qui aboutirent à la création en 1996 du parti BARA (Bloc des Alternatives pour le Renouveau Africain) dirigé par Yoro Diakité et du parti SADI (Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance) sous la direction de Cheick Omar Sissoko, puis de Oumar Mariko.

Le Part Malien pour la Révolution et la Démocratie

Un autre parti positionné à gauche, le Parti Malien pour la Révolution et la Démocratie (PMRD), composé principalement d’anciens étudiants maliens de l’ex Union Soviétique et des anciens pays de l’Est, fusionnera avec le PMT pour donner naissance à l’ADEMA-PASJ.

Le PMRD avait une ligne politique globalement prosoviétique même si certains de ses membres étaient quelque peu critiques vis-à-vis de l’Union soviétique. Il recrutait principalement ses militants dans les milieux estudiantins et syndicaux et parmi les cadres formés dans les anciens pays de l’Est et de Russie. Ses dirigeants étaient très populaires surtout dans les milieux scolaires, comme le Professeur de Philosophie Mamadou Lamine Traoré.

Le PMRD joua un rôle important dans la lutte de résistance contre la dictature de Moussa Traoré.  Abdoulaye Barry, linguiste de formation, était un des principaux dirigeants de l’intérieur. Comme figures de proue, on peut citer, entre autres, Cheick Pléah, Sociolinguiste et fils du Dr Pléah de l’USRDA, Samba Sidibé, Ingénieur des Travaux Publics, Kléna Sanogo, longtemps Directeur de l’Institut des Sciences Humaines, Bakary Bouaré, Économiste de Formation tout comme Kassa Traoré, ancien Directeur de l’IPR (Institut Polytechnique Rural de Katiboubou) et Mohamedoun Dicko, ancien Secrétaire Général de l’ADEMA-PASJ. Certains de ses militants et cadres furent arrêtés, torturés et déportés de 1974 à 1978 dans les bagnes du nord en plein désert pour avoir diffusé un tract hostile au référendum constitutionnel qui fit du parti unique UDPM un parti constitutionnel. De nombreux cadres et responsables du PMRD subirent aussi les affres de la dictature.

Le PMRD connut une première crise lors de la naissance de l’ADEMA. Certains de ses cadres et dirigeants étaient partisans de la construction d’un front de partis plutôt que d’une dissolution de tous les partis et mouvements clandestins de gauche au sein de l’ADEMA. Selon eux, cela aurait conduit à ouvrir le parti à des courants opportunistes sans véritable identité de gauche et à leur permettre de s’emparer à terme de la direction politique du mouvement démocratique de l’époque. Ce courant minoritaire représenté par Abdoulaye Barry, fut écarté de la direction mais la suite des évènements lui donna raison.

En 1994, au terme d’une crise au sein de l’ADEMA, parti au pouvoir, les anciens du PMRD rompirent avec la majorité présidentielle et créèrent un nouveau parti, le Mouvement pour l’Indépendance, la Renaissance et l’Intégration Africaine (MIRIA) sous la direction du Pr Mamadou Lamine Traoré. Ce parti connut lui aussi des crises qui virent le départ de certains cadres fondateurs et militants. Certaines des principales figures de cette dissidence retournèrent à l’ADEMA. D’autres se désengagèrent de l’action politique. Au fil du temps le MIRIA perdit son leadership au sein du mouvement estudiantin et politique et devint un appendice du parti présidentiel. Certains militants du PMRD furent à l’origine du tract de 1975 dénonçant le projet de referendum constitutionnel de 1975 du régime. Ils écopèrent de quatre (04) années de détention et déportation dont on peut avoir le témoignage à travers l’ouvrage «Toiles d’Araignées» de Ibrahima Ly, porté plus tard à l’écran. Parmi eux, en plus de Ibrahma Ly et Mohamedoun Dicko déjà cités, on peut noter Oumar Ly, fondateur de la SOMIEX (Société Malienne d’Importation et d’Exportation), Jean Étienne Diendéré, Économiste de formation, Bakary Konimba Traoré dit Bakary Pionnier,  Adama Samassékou, linguiste, Samba Sidibé, Ingénieur des Travaux Publics, Cheick Sadibou Cissé, Architecte, Seydou Thiéro, Directeur du Club Sportif, Bourama Traoré, Urbaniste, Cyr Mathieu Samaké Directeur Général Liptako-Gourma, Mamadou Lamine Kouyaté Directeur du Stade Omnisports, Mani Diénépo, Inspecteur Général de la Jeunesse et des Sports.

Le CDLDM dressa au final une liste de plus de 300 victimes de la répression du régime de Moussa Traoré.

Des expériences éphémères de gauche

Sur le front intérieur, de 1968 à 1991, d’autres organisations de gauche eurent, pour la plupart, une existence éphémère comme le groupe créé autour du «Manifeste pour la patrie» lancé en 1994 et qui dénonçait déjà la trahison des idéaux du 26 mars 1991 par le pouvoir ADEMA. Parmi ses principaux leaders, les Professeurs Issa N’Diaye et Cheick Pléah. Il en fut de même pour le Parti des Travailleurs du Mali (PTM) qui se réclamait de l’héritage du PMT mais dénonçait ses dérives. Le PTM fut créé en 1975 par des militants issus du Parti Communiste Malien, lui-même issu d’une fusion entre d’anciens dissidents du PMT (les Professeurs Many Camara, Issa N’Diaye et Fadel Diop, Ingénieur chimiste, ancien de la COMATEX (Compagnie Malienne des Textiles) de Ségou. Il s’exila un moment au Congo au temps de la période de la révolution De Ngouabi. À ce noyau s’ajoutèrent différents petits partis comme le «Parti de l’Unité Populaire» dirigé par un ancien militant PMT, Diatrou Diakité, implanté surtout en milieu ouvrier à la cimenterie de Diamou, près de Kayes, région ouest du Mali et à l’usine de marbre de Bamako. Son organe, le journal «Avant-garde» ne connut qu’une seule édition. Le PTM eut une existence assez courte. Certains de ses cadres et dirigeants finirent par se retrouver au sein de l’ADEMA, du parti SADI et sur d’autres fronts de luttes, notamment syndicaux, culturels et autres. Il convient de noter que l’actuel Parti Communiste Malien est différent de son prédécesseur des années 70. Il est composé essentiellement d’anciens étudiants maliens des années 80 à 90. Son influence est assez marginale.

À SUIVRE DANS NOS PROCHAINES PAUTIONS!

Pr Issa N’DIAYE

 

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