A quelques encablures de la fête du 14 juillet ou des troupes africaines sont invitées d’honneur, l’insulte de Dakar est encore présente dans notre esprit. Revoici le texte revisité de l’émigré hongrois parvenu président français.
« J’aime l’Afrique, je respecte et j’aime les Africains ».
Dakar, le 26 juillet 2007, Nicolas Sarkozy est en visite officielle au Sénégal. A l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, devant une assemblée soigneusement sélectionnée, il prononce l’un des discours les plus néocolonialistes d’un président français en exercice. En résumé : nous devons être fiers de la colonisation française, qui a certes produit le pire, mais surtout le meilleur .Dans tous les cas, la France n’est pas responsable de la misère, des guerres et des dictatures en Afrique. Celles-ci sont, avant tout, le fait des Africains eux-mêmes. Voici quelques extraits parmi les plus marquants.
« Jeunes d’Afrique, je ne suis pas venu vous parler de repentance. Je suis venu vous dire que je ressens la traite et l’esclavage comme des crimes envers l’humanité. (…) Le colonisateur est venu, il a pris, il s’est servi, il a exploité, il a pillé des ressources, des richesses qui ne lui appartenaient pas. Il a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail. Il a pris mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. (…) La colonisation n’est pas responsable de toutes les difficultés actuelles de l’Afrique .Elle n’est pas responsable des guerres sanglantes que se font les Africains entre eux. Elle n’est pas responsable des génocides. Elle n’est pas responsable des dictateurs. Elle n’est pas responsable du fanatisme. Elle n’est pas responsable de la corruption, de la prévarication. Elle n’est pas responsable des gaspillages et de la pollution. (…)Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connait que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire ou tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. (..)Jamais l’Homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais, il ne lui vient l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ; le problème de l’Afrique et permettez à un ami de l’Afrique de le dire, il est là. (…)La civilisation musulmane, la chrétienté, la colonisation, au- de-là des crimes et des fautes qui furent commises en leur nom et qui ne sont pas excusables, ont ouvert les cœurs et les mentalités africaines à l’universel et à l’histoire. »
Ce discours a provoqué un véritable tollé en Afrique, ainsi qu’une indignation, certes moins forte, en France. Rédigé par Henri Guaino, un temps proche de Charles Pasqua, il rassemble une somme de lieux communs formalisés par l’ethnologie coloniale, légitimant et banalisant des thèmes qui n’étaient jusque-là défendus que par l’extrême- droite et quelques associations de nostalgiques de la période coloniale. Paternaliste, il dépeint une Afrique imaginaire, fantasmée, peuplée de mythes sortis tout droit du lexique raciste du XIX e siècle.
Il suffit pourtant d’ouvrir quelques livres d’histoire pour prendre la mesure de la créativité politique, historique et culturelle des populations africaines. En l’an 1000, des Africains naviguaient jusqu’en Chine, l’Afrique comptait des institutions et des organisations considérables, des cités prospères, des empires et, en de nombreux endroits, des modes de fonctionnements à caractère démocratique. Toute une vie politique, économique et sociale a été brisée et méprisée par la colonisation. Plusieurs siècles durant, les populations africaines furent considérées comme de simples marchandises, justes bonnes pour les travaux forcés, l’esclavage, l’extermination. Longue série de crimes contre l’humanité, la colonisation fut avant tout d’une violence inimaginable. La reconnaissance d’une dette historique française envers les pays colonisés, spoliés de leurs ressources et de leurs cultures, serait le préalable à toute politique de justice et de dignité.
Le discours de Dakar est d’autant plus inquiétant qu’il s’inscrit dans un courant idéologique essentialiste et révisionniste de plus en plus médiatisé. En témoigne le succès de Négrologie, livre publié en 2003 par Stephen Smith, et dont la citation suivante rejoint sur le fond, les propos de Nicolas Sarkozy : « L’Afrique est un paradis naturel de cruauté(…) (Les africains sont habités par un) refus d’entrer dans la modernité autrement qu’en passager clandestin ou en consommateur vivant aux crochets du reste du monde. (…) Six millions d’Israéliens pouvaient par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait et une Mésopotamie africaine naîtrait sur les terres fertiles entre Logon et le Chari. Qu’est ce à dire ? Que les Africains sont des incapables pauvres d’esprit, des êtres inférieurs ? Sûrement pas. Seulement leur civilisation matérielle, leur organisation sociale et leur culture politique constituent des freins au développement. « Qu’untel ouvrage ait pu être encensé par la critique et récompensé en 2004 par le prix Essai France Télévision suggère l’étendue d’un racisme qui ne dit pas son nom. Un racisme français plongeant ses racines aux origines du colonialisme, du temps ou même pour le républicain Jules Ferry, la conquête du continent était justifiée par l’apport de la » civilisation » à la « race inférieure ».
Source : Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décomplexée