Il y a 23 ans, le 26 mars 1991, le Mali tournait une page de son histoire, après des événements sanglants. Depuis 1968, parmi les dates importantes de l’histoire du Mali, le 26 mars 1991 est sans conteste celle qui a suscité beaucoup d’espoir chez les populations, surtout les jeunes. Cela, du fait qu’elle consacrait pour la plupart des Maliens, l’aube d’une ère nouvelle; la fin de la situation figée dans laquelle le pays se trouvait: verrouillage des institutions, fermeture à toutes idées de dialogue avec des structures autres que celles du parti unique, surdité totale à des reformes et au cri d’angoisse du peuple; avec seulement trois cent (300) millions de F Cfa dans les caisses du Trésor Public. C’était aussi l’expression de la profonde volonté de changement pour le renouveau, longtemps souhaité par les populations pour plus de justice, d’équité et de mieux-être.
Durant plus de 20 ans avant Mars 1991, des groupes clandestins, d’agents de l’Etat, du secteur privé, des enseignants surtout, des fonctionnaires à la retraite se sont organisés en menant une lutte opiniâtre pour un ordre meilleur, par l’ouverture politique, seule voie par laquelle, en raison de la manière dont les affaires publiques étaient conduites et du vécu quotidien des populations, il était possible de réaliser les aspirations du peuple.
Plus de six (6) mois de contestations de toutes sortes, des manifestations d’élèves et d’étudiants hostiles au pouvoir, à Bamako et dans certaines villes du pays, aboutirent par un coup d’Etat le 26 mars 1991 à la chute du régime suranné, sclérosé et léonin de l’époque. L’événement a été accueilli dans tout le pays par des manifestations des populations en liesse. Une page de l’histoire du Mali, venait d’être tournée, le pays prit alors un nouveau départ. L’événement même diversement apprécié a été des années durant qualifié de « révolution” par beaucoup d’hommes politiques et pas des moindres.
Aujourd’hui, à la lumière des faits, des actes posés et des résultats enregistrés depuis 23 ans, l’événement du 26 mars était-il en réalité une révolution? Pour certains, le 26 mars a été une révolution mal conduite, pour d’autres une révolution récupérée. A mon humble avis, ce n’est ni l’un, ni l’autre. En effet, l’absence d’Avant-garde, d’unité politique entre les cercles clandestins, dénommés Mouvement démocratique après mars 1991, de projet (commun) de société et d’homogénéité idéologique surtout entre les acteurs du 26 mars, la mission assignée au gouvernement de Transition pendant quatorze (14) mois (1991-1992) laissent perplexe pour qualifier de révolutionnaire l’événement de Mars 1991. En se référant à l’histoire, on sait qu’une révolution réussit ou échoue.
Dans le premier cas, elle procède à des transformations qualitatives jusqu’alors inconnues. Dans le second, ses auteurs dans la plupart des cas sont arrêtés, fusillés ou embastillés. Selon Jean- François Revel dans «Ni Marx, ni Jésus : «Qui dit révolution, dit par définition événement neuf, n’ayant encore jamais eu lieu, survenant selon des voies autres que les canaux historiques connus “.
Cette définition d’ordre général indique la diversité de la nature de la révolution, qui peut être: scientifique, industrielle, technique, culturelle, sociale (bourgeoise, socialiste) etc. L’histoire a prouvé que parmi ces révolutions, la révolution socialiste (véritablement conduite) est la seule, qui serve de levain à la réalisation des autres et à l’anéantissement des grandes disparités économiques et des inégalités sociales de toutes natures. La révolution est donc un processus, dans les phases d’évolution duquel, naissent un ordre nouveau, une société nouvelle, qui remplacent de manière irréversible l’ordre ancien. Elle est préparée et conduite par une classe d’Avant-garde sur la base d’un programme de société, avec l’adhésion des masses qui en sont sa force motrice.
La révolution se caractérise par des transformations radicales qualitatives, dans tous les domaines de la vie nationale: politique, économique, sociale et culturelle. Une fois (la révolution) accomplie, il s’en suit avec succès la réalisation de façon harmonieuse de son programme avec le soutien total des masses, dont les profondes aspirations restent les préoccupations essentielles de la classe dirigeante. L’une des tâches prioritaires de la révolution pendant la réalisation de son programme est l’éducation et la formation des hommes pour l’édification de la société nouvelle. Sur ce plan dans les faits, où en sommes-nous près de vingt (23) ans après Mars 1991? L’école malienne est embourbée, l’enseignement et l’éducation bafoués, les enseignants en majorité sont devenus autres que ce qu’ils devraient en réalité être, face à leur mission.
Les faits vécus au Mali et surtout les actes posés depuis 1992 par la classe politique, en dehors de toute considération partisane, correspondent-ils au concept ci-dessus décrit?
La réponse est sans doute non.
– Non, parce que les ambitions individuelles ou de groupe ont pris le pas sur l’essentiel, après Mars 1991 ;
– Non, parce que des séances entières de l’Assemblée Nationale de la première législature étaient consacrées par des députés à se lancer des boulets rouges en occultant les vrais problèmes de la Nation;
– Non, parce que les causes profondes de l’éclatement en 1993 du Groupe des Partis (proches par l’idéologie affichée) Signataires du Pacte Républicain (PSPR) et l’émiettement de tous les partis politiques n’ont rien à voir avec les préoccupations des dirigeants issus de la révolution;
– Non, parce que d’année en année, pour le peuple, les raisons déclarées qui ont conduit à Mars 1991 relevaient du sophisme. Hélas!
L’Etat né de la révolution est révolutionnaire, ses institutions aussi. Toute dérogation à cette règle est contraire au principe de la révolution. Le 26 mars 1991, il ne s’est pas produit de révolution au Mali, mais le pouvoir a seulement changé de mains. Acceptons hélas! en son temps, sans en sous estimer la portée que, l’événement du 26 mars 1991 n’est pas une révolution, malgré ses phases d’évolution et le travail de fourmis ayant précédé et abouti à son accomplissement.
Le 26 mars a donné naissance à des Etats non révolutionnaires qui, pendant plus de quatre quinquennats n’ont pas pu aplanir un nombre important de problèmes qui assaillaient et assaillent encore les Maliens. Des problèmes politique, économique, social et culturel d’avant mars 1991 en grande partie demeurent. La société malienne se stratifie de jour en jour. L’impunité devenue endémique rend toujours plus hardis les travailleurs véreux dans l’accomplissement des forfaits. L’Administration d’Etat, absentéiste, bureaucratique, affairiste, gangrenée par la corruption brille par des pratiques impensables dans la gestion des affaires d’un Etat révolutionnaire. Pour preuves, les exonérations accordées aux commerçants pour l’importation du riz et du sucre et les résultats attendus non enregistrés, la fin chaotique de l’initiative riz de la campagne 2008-2009 financée pour plus de quarante deux (42) milliards en disent long. Le financement des partis politiques, est un gaspillage de sous au détriment du contribuable. Assimilés en 1993-1994 à des services d’utilité publique, parce que devant éduquer politiquement et civiquement leurs militants, la subvention alors accordée aux partis par l’Etat était justifiée. A ce jour, les partis politiques ont-ils accompli cette mission à hauteur de souhait? La réponse est non. Dans ces conditions le financement des partis politiques n’a pas de sens.
Les budgets de l’Assemblée Nationale, de surcroît, lieu d’expression de la volonté du peuple, de la Commission Nationale Electorale Indépendante (CENI) ont augmenté année après année, pour des raisons inopportunes au regard de l’état de précarité nationale et des problèmes dont souffre la majorité des Maliens. Parmi ces problèmes: le logement, le pain quotidien, le chômage, les difficultés d’accès aux soins de santé, tout cela dans une inégalité sociale criante. Voilà autant de domaines, auxquels en une ou deux décennies se serait attaqué de façon très satisfaisante un Etat né de la révolution.
En 23 années, les gouvernements qui se sont succédés, auraient pu créer les bases même embryonnaires pour une véritable relance économique et des conditions pour plus de mieux- être pour les populations. Cela est d’autant plus vrai que des Etats issus de la révolution sous d’autres cieux ont en trois quinquennats réalisé sur tous les plans les bases économiques et sociales de la société de leur rêve. Certes, comparaison n’est pas raison. L’Ex-URSS, la Chine, ou Cuba qui est devenu par la révolution le pays le plus alphabétisé au monde, avec un niveau très élevé de la médecine en sont des exemples, même si à l’époque les réalités politiques, économiques, sociales et culturelles de ces pays étaient différentes de celles du Mali.
La révolution est une merveille, mais qui a un prix: l’abandon des pratiques, des habitudes et des comportements négatifs pour accepter ceux nécessaires et indispensables à la construction de la société nouvelle. C’est pourquoi, elle est exigente. La révolution n’est pas un jeu d’enfants, une fois commencée, il faut la conduire jusqu’au bout (Pensée de bolchevik).
Hélas ! pour le Mali, le bout du tunnel est encore loin, à cause de l’absence de conscience nationale forte, de politique adéquate d’éducation dans ce sens, des pesanteurs socioculturelles et des mentalités foncièrement égocentriques et profondément ancrées qui prévalent. Seul un sursaut national par la révolution sortira le Mali de l’ornière. Une même génération ne faisant pas, même deux tentatives de révolution, il est nécessaire que soit opérée au Mali, une révolution véritable, gage de développement rapide, de justice sociale, et de réel mieux- être pour tous.
Yattara Ibrahim