26 mars : histoire d’une révolution piégée

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Si la date du 26 mars 1991 est entrée dans l’histoire politique du Mali comme celle de la fin du système de parti unique et de l’avènement d’une démocratie pluraliste, à l’exception notoire d’ATT qui a su tirer les marrons du feu, très peu d’acteurs figureront sur les tablettes. Pourtant, il s’agit bien de l’aboutissement d’une très longue lutte estudiantine et syndicale qui est allée crescendo depuis la chute de Modibo Kéita.

Aujourd’hui, les prétentions sont nombreuses mais un diagnostic sans complaisance suffirait pour établir que loin d’avoir été le point de départ de la renaissance souhaitée, mars 1991 n’aura finalement été que l’amorce des difficultés actuelles du pays. Retour sur une saga sanglante.

 

LES PRETENTIONS ET LES FAITS

 

Dans le Mali du mouvement démocratique, il y avait deux catégories d’acteurs : les uns avaient choisi la clandestinité et attisaient le feu à leur manière pendant que les autres, au cœur de la bourrasque offraient leur poitrine. S’il est vrai que le héros se caractérise par le courage, la prise de risque et l’esprit de sacrifice, tout le monde ne sera pas logé à la même enseigne, certains « braves » n’ayant été aperçus qu’une fois l’orage passé. En réalité, les évènements de mars 1991 ont souffert d’une tare devenue le péché originel du mouvement démocratique : l’absence d’un leader charismatique porteur d’un projet ayant inspiré le mouvement. Mettre fin au régime en place était le seul point de ralliement de tous, si bien qu’à l’arrivée chacun a revendiqué la paternité de la chute, sans pouvoir dire en quoi son rôle a été plus déterminant que celui des autres. Le peuple qui a commencé la lutte a été pris de court sur la ligne d’arrivée par des militaires sortis des rangs d’une armée pourtant jusque-là dévouée au Général-Président. Ils constitueront l’aile militaire du mouvement démocratique et finiront par en prendre le contrôle. Pour le peuple en lutte qui comptait et pleurait ses morts, ce fut une symphonie d’autant plus inachevée que les putschistes étaient des proches et des protégés du président déchu. La crise avait mis face à face deux camps dont chacun prétendait agir au nom du peuple malien. D’un côté le Général Moussa Traoré, président de la république et de l’UDPM. De l’autre, une fronde persistante conduite par les étudiants de l’AEEM, mais aussi par l’UNTM, l’AMDH et le Barreau malien qui constituaient le noyau dur de la résistance. La trame de l’histoire est simple : des frustrations accumulées sur fond de corruption, une révolte populaire qui débouche sur un désir de changement. Le vent de la Baule qui souffle sur l’Afrique politique de 1990 sera fatal à l’UDPM et à son président qui est finalement écarté par un justicier sorti de l’ombre. Lorsque les acteurs du mouvement démocratique se montrent incapables de désigner une personnalité civile consensuelle pour conduire la transition politique, celle-ci échoira tout naturellement à ATT. C’est à ce moment qu’apparaît la première faille qui va hypothéquer l’avenir de la lutte politique car, ATT ne boude pas son plaisir et transforme l’essai à son profit. Il réussira tour à tour la réhabilitation et la remise en selle de l’armée culpabilisée par les tueries, l’organisation de la Conférence nationale, l’élaboration de la constitution de février 1992, l’élection présidentielle de juin 1992 et le passage du témoin au président élu, avant de recevoir l’hommage de la nation et les félicitations de la communauté internationale. Grâce à son  flair et son habileté, ATT qui n’aurait pu être qu’un figurant de charme va devenir l’acteur principal d’un mouvement qu’il n’avait pas inspiré. Devenu « l’homme du 26 mars », son ombre imposante planera sur la scène politique vingt et un ans durant.

 

BILAN ET PERSPECTIVES

 

La lutte du mouvement démocratique a longtemps porté la promesse de l’ouverture politique, de l’ancrage démocratique, de la bonne gouvernance économique et d’une vie sociale épanouie pour les Maliens. « Kokadjè », disait-on. Vingt ans après, on s’est rendu compte que les fruits avaient trahi la promesse des fleurs. Ce qui est arrivé le 22 mars 2012 mettra à nu l’incurie et la faiblesse d’un système fondé sur le clientélisme et la corruption à grande échelle. En cause, la faiblesse du leadership parce que pendant les 23 ans de règne du CMLN puis de l’UDPM, le Mali a connu des contestataires célèbres dans le milieu scolaire et celui de l’intelligentsia dont beaucoup visiteront les geôles de Kidal et Taoudéni, mais aucun d’eux n’était apparu comme une alternative possible au régime en place. En vérité, l’acceptation de l’ouverture politique représentait moins de menace pour Moussa Traoré que son intransigeance à la refuser. L’organisation d’une élection ouverte en 1990 lui aurait permis avec l’UDPM qui était la seule force politique organisée, de garder la main.

En dépit des échecs, il reste tout de même l’esprit du 26 mars. Un esprit qui, malheureusement n’a pu être honoré entre 1992 et 2012, période au cours de laquelle les mouvements rebelles ont pris du poil de la bête face à une armée politisée et déconnectée des questions sécuritaires. La déclaration d’Oumar Mariko résume assez bien la situation lorsqu’il dit : « le mouvement  démocratique est mort au pouvoir ». Celle du Pr Kanouté est tout aussi saignante « Le 26 mars a accouché d’un monstre ». Et le monstre a été si fertile que ses enfants sont parvenus à mettre sous scellé une bonne partie du nord du pays, avant d’inspirer la soldatesque le 22 mars 2012. Ceux qui ont galvaudé et tué le mouvement démocratique, à défaut d’assumer publiquement leur faute, se reconnaîtront très facilement. Ils ont berné le peuple en ne cherchant qu’à devenir Calife à la place du Calife et ils ont fini par être pires que le mal qu’ils prétendaient combattre. Entre 1992 et 2012, combien de cadres maliens de valeur ont été brimés et mis à la touche pour défaut de militantisme ou refus de couvrir une entreprise criminelle? Combien d’incompétents et d’intrigants ont été promus pour militantisme avéré pendant la même période? Qui peut évaluer l’impact de cette politique pire que l’apartheid sur l’économie et la société ? Les responsables du mouvement démocratique qui auront un jour le courage d’ouvrir ce débat, mériteront  peut-être le pardon du peuple malien. Les autres pourront continuer à claironner sans réveiller un chat qui dort dans ce Mali qui les a vus à l’œuvre, avant de plébisciter IBK.

L’histoire dira un jour si le peuple a eu raison de faire confiance à IBK dont le choix a été dicté par la reconnaissance du mérite au regard de son parcours politique. C’est le sens des attentes et de tout le poids qui pèse sur ses épaules.

 

Mahamadou CAMARA Email : camara.mc.camara@gmail.com

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