Si la date du 19 novembre est marquée d’une pierre noire dans l’histoire politique du Mali avec le premier coup d’Etat qui a renversé le père de la Nation et premier président du Mali indépendant, Modibo Kéita, en 1968, celle du 10 novembre restera aussi à jamais un repère sombre de la vie politique du pays de Soundiata Kéita avec le décès, en 2010, d’Amadou Toumani Touré, quatrième président de la République du Mali, père, chantre et soldat de la démocratie malienne. En ce vendredi saint 10 novembre 2023, jour anniversaire de sa disparition, rendre un hommage à ATT est un devoir citoyen ; rappeler son vécu d’homme d’Etat est un acte républicain auquel nous sacrifions.
Mardi 10 novembre 2020, peu après la prière du Fajr (5 h 30-6 h), la nation malienne se réveillait avec la triste nouvelle du décès, à Istanbul, en Turquie, de son ancien président, Amadou Toumani Touré dit ATT, six jours après son 72e anniversaire de naissance. Terrible scénario pour un pays qui avait perdu, moins de deux mois plus tôt, le 15 septembre, cet autre ancien président, en la personne du général Moussa Traoré.
10 novembre 2023 : Journée du souvenir
La cérémonie a été marquée, entre autres, par la lecture de l’oraison funèbre, la présentation des condoléances du chef de l’Etat, Bah N’Daw, présentées par le Grand chancelier des ordres nationaux, le général Amadou Sagafourou Guèye, les défilés des troupes terrestres, le témoignage de la famille et des proches du défunt et la prière funéraire. Amadou Toumani Touré repose pour l’éternité au cimetière de Hamdallaye.
Les traits d’un homme d’Etat qui a marqué son temps
Après avoir passé 11 ans à la tête du Mali, soit 132 mois ou encore 528 semaines, en qualité de chef d’Etat (26 mars 1991-8 juin 1992), puis de président de la République du Mali (8 juin 2002-8 avril 2012), Amadou Toumani Touré fut ce grand homme d’Etat inoubliable et qui restera à jamais gravé dans la mémoire et le cœur de ses compatriotes. Les raisons ? La gestion imprimée au pouvoir, le modèle de gestion politique conçu et imposé, les actes posés qui ont impacté la vie des populations, les acquis de tous genres légués à la postérité. Autres atouts favorables : son sens du patriotisme, sa gestion concertée du pouvoir et sa gestion pacifique des conflits, mais aussi et surtout, la recherche perpétuelle de la paix par le dialogue, le compromis, les concessions et tous moyens pacifiques.
La transition démocratique malienne est indissociable de la vie d’ATT, mais l’enfant de Mopti fut aussi un vaillant soldat, un humaniste, un médiateur et un politique qui a fait ses preuves dans la gestion des affaires de l’Etat. Son premier contact avec le pouvoir suprême date du 26 mars 1991 avec la déposition du général Moussa Traoré, acte qui parachevait une révolution déclenchée par les associations du Mouvement démocratique. Désigné président du Comité de réconciliation nationale (CRN, 26 mars) et du Comité de transition pour le salut du peuple (CTSP, 29 mars), Amadou Toumani Touré conduit la Transition malienne jusqu’au 8 juin 1992.
Cette période a été d’abord marquée par la tenue, du 29 juillet au 12 août 1991, de la Conférence nationale qui produira la Constitution du 25 février 1992, le code électoral, la charte des partis, l’Etat de la nation.
Ensuite, le calendrier des échéances électorales pour la mise en place des institutions de la IIIe République a été respecté comme arrêté : le 12 janvier 1992, référendum constitutionnel ; le 19 janvier 1992, élections municipales ; le 23 février 1992 et le 8 mars 1992, 1er et 2è tours des élections législatives, et les 12 et 26 avril 1992, 1er et 2e tours de l’élection présidentielle.
Enfin, la signature, le 11 avril 1992 à Bamako, du Pacte national, consacrant le règlement du conflit du Nord du Mali (déclenché en juin 1990), occupe une place de choix parmi les acquis de la Transition de 1991, au terme de laquelle le chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, remet le pouvoir aux civils, plus précisément à Alpha Oumar Konaré, conformément à ses engagements pris le 26 mars 1991.
Retour aux affaires…par les urnes
Après une dizaine d’années (1992-2001) passées à lutter contre la dracunculose (ver de Guinée) au Mali et à sillonner l’Afrique à la recherche de la paix, Amadou Toumani Touré se lance dans la politique pour briguer la magistrature suprême.
Le 1er septembre 2001, il demande et obtient sa mise à la retraite anticipée de l’Armée pour se lancer dans la politique. Candidat indépendant, il déclare sa candidature le 10 mars 2002 à Sikasso et est élu président de la République le 24 mai 2002, avec 64,35 % des voix au second tour, pour un premier mandat de cinq ans. Il est investi le 8 juin. Et réélu dès le premier tour le 29 avril 2007 avec 71,20 %.
C’est dans sa vie d’homme politique que le président Amadou Toumani Touré a le plus étonné, avec ses idées, ses concepts, ses méthodes et, bien sûr, ses réalisations.
Enumérer les initiatives et réalisations du président Touré relève de la gageure, mais durant ses mandats, le quatrième président du Mali a posé des actes forts dont certains méritent une attention de nos fidèles lecteurs.
Le consensus politique, la consolidation de la démocratie avec l’engagement des réformes institutionnelles, le respect des libertés individuelles, la gestion pacifique de la crise du Nord, etc. sont autant d’actes politiques qui ont été extrêmement déterminants dans la vie de la nation, la paix et la quiétude sociales au Mali.
Le plus grand acquis des mandats du président de la République Amadou Toumani Touré, c’est, sans doute, sa méthode atypique de gestion politique du pouvoir ; une méthode qui a permis au peuple malien de retrouver son unité et sa cohésion interne indispensables pour pouvoir faire face aux défis du développement.
Arrivé au pouvoir en 2002 sous aucune couverture de parti, Amadou Toumani Touré a été d’emblée inspiré de “partager le pouvoir” dans un cadre de gestion concertée et consensuelle, c’est-à-dire impliquer toutes les sensibilités aux affaires. Son slogan de campagne de 2002 : “Retrouvons ce qui nous unit” a profondément touché le peuple malien, qui l’a élu sur la base de ce message. Une fois élu, le président de la République a mis en pratique cette vision qui lui a permis de réunir, autour de sa personne et de son projet, toutes les composantes et forces politiques et sociales que compte le Mali.
Il a fait en sorte que chaque Malien se sente citoyen à part entière, avec les mêmes droits et obligations. Il a mis autour d’une même table, autour de sa personne, des hommes et des formations politiques qui, quelques mois seulement avant son élection, ne parlaient pas le même langage, ni ne regardaient dans la même direction.
Par rapport à la crise du Nord, le président ATT a toujours mis en avant le dialogue, parce qu’étant un général d’armée, rompu au métier de la guerre, il connaissait plus que quiconque les conséquences (sociales, militaires, économiques…) de la gestion d’un conflit déjà enclenché. Il fallait donc, coûte que coûte, éviter d’entraîner le Mali dans un engrenage.
Kyrielle d’acquis solides
Durant ses dix ans de règne démocratique, ATT a posé d’autres actes et actions qui marquent encore la vie nationale. La création, le 25 août 2003, du Bureau du Vérificateur général, modèle canadien, est l’un de ceux-ci. Aussitôt intronisé, ATT a initié le Programme des logements sociaux afin de permettre aux Maliens aux revenus faibles d’avoir leur propre toit.
Le 4 décembre 2005, la Loi d’orientation agricole (Loa) est lancée par ATT. Le 6 février 2010, Amadou Toumani Touré procède au lancement des travaux du barrage de Taoussa d’un coût global de 130 milliards de F CFA. 139 000 hectares de périmètres agricoles devaient être aménagés en vue d’augmenter les revenus des populations, et d’assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaires.
Le 25 octobre 2010, ATT lance les travaux de construction de l’autoroute Bamako-Ségou d’un coût global de 182 milliards de F CFA. Ces deux projets constituent les plus importants jamais réalisés dans les secteurs agricole et routier au Mali.
Citons également l’Echangeur multiple de Bamako, le Pont de l’Amitié Mali-Chine ou 3e pont de Bamako et la réalisation de plusieurs routes, ponts et chaussées à l’intérieur du pays.
Aussi, nous retenons d’Amadou Toumani Touré qu’il est le père de l’Assurance maladie obligatoire (Amo), régime dont lui-même confiait à qui veut l’entendre qu’il est sa plus grande satisfaction.
Enfin, au lendemain du coup d’Etat de mars 2012, sa démission de ses fonctions de président de la République pour permettre le retour à l’ordre constitutionnel exigé par la Cédéao. Un acte fort !
“Mon devoir, comme je l’ai dit lorsque je m’impliquais il y a vingt-deux ans, jeune officier, c’est le Mali que je voulais aider. En me présentant en 2002, comme candidat à l’élection présidentielle, c’est encore le Mali qui a inspiré ma décision. Je pensais que la petite expérience que j’ai vécue pouvait aider à soutenir ce pays.
Dans le cadre de la recherche de solution, je pense que la décision prise par la Cédéao et la communauté internationale est la meilleure. J’ai décidé de vous remettre ma lettre de démission, que vous allez remettre aux autorités compétentes pour permettre l’exercice plein et entier des dispositions de notre article 36. Il faut que le Mali reste dans les dispositions de sa Constitution de février 1992. Je pense que c’est tout à fait normal, je le fais sans pression, (…) de bonne foi (…), surtout pour l’amour que j’ai pour ce pays”, avait écrit ATT, le démocrate, pour marquer la fin de son ère et faire ses adieux aux Maliens.
De Mopti à l’EN Sec, de l’Emia à Riazan, de Paris à Koulouba
Amadou Toumani Touré est né le 4 novembre 1948 à Mopti où il grandit dans le quartier Wayinkoré. Il confie aux biographes qu’il garde de la Venise malienne le souvenir de tous ces petits métiers auxquels il s’adonnait : couture, élevage, pêche (au filet et à la ligne), labour, négoce. Et football. Il fit son cycle fondamental à Mopti, Tombouctou, Bandiagara ; avant de poursuivre ses études à l’Ecole normale secondaire de Badalabougou (EN Sec), à Bamako, d’où il décroche, en 1969, son diplôme en lettres histoire-géographie qui le destine tout droit à la profession d’enseignant à l’instar de beaucoup de ses camarades de promotion qui sont aujourd’hui des professeurs d’enseignement supérieur. Mais, la même année, sa carrière professionnelle va connaître un virage à 90° vers le métier des armes. En effet, quand un jour, il apprend qu’on recrute pour l’Ecole militaire interarmes (Emia) de Kati, il se présente et fut admis.
Le nouvel élève officier de l’Emia de Kati commence sa formation en 1969. Il sort en 1972 avec le grade de sous-lieutenant. Avide de connaissances, il suivra toute une série d’études et de formations durant sa carrière. Notamment à l’Ecole supérieure des troupes aéroportées à Riazan en URSS (1974-1975), au Centre national d’entraînement commando (CNEC) à Mont Louis en France (1978), à l’Ecole supérieure de guerre interarmes (17e promotion) à Paris en France (1989-1990) et au Cours supérieur interarmes (42e promotion) à Paris en France (1990).
De toutes ces étapes, Amadou Toumani Touré aimait laisser entendre qu’il garde des souvenirs mémorables de son séjour à Riazan qui fut une étape importante dans sa formation militaire. Car, c’est une des plus grandes écoles de parachutisme au monde, d’où sont sortis le général Lebed et la plupart des généraux soviétiques sont des produits de Riazan. ATT y a fait un cours supérieur de commandant de compagnie, de chef de bataillon et de saut en parachute.
Au titre des promotions en grades, après celui de sous-lieutenant, Amadou Toumani Touré est successivement promu lieutenant le 1er octobre 1974, capitaine le 1er octobre 1978, chef de bataillon le 1er janvier 1984, lieutenant-colonel le 1er octobre 1988, général de brigade le 8 juin 1992, et général d’armée le 1er octobre 1996.
Il est nommé commandant de la garde présidentielle, du 28 avril 1981 au 30 mars 1984. Le commandement du bataillon des paras commandos lui est confié par deux fois, en janvier 1984, puis le 14 mars 1991. Le 26 mars 1991…, vous connaissez la suite !
El Hadj A.B. HAIDARA
L’Armée malienne comptait beaucoup sur ATT pour réaliser ce que nous assistons aujourd’hui avec ASSIMI, mais hélas
Le commandement du bataillon des paras commandos lui est confié par deux fois, en janvier 1984, puis le 14 mars 1991. Le 26 mars 1991…, vous connaissez la suite ! Oui, nous connaissons la suite, c’est la France qui a mis ATT en mission pour perpétrer le coup d’Etat contre le patriote Général Moussa TRAORE. C’est la même France qui a fauché l’herbe sous ses pieds en 2012 de la façon la plus honteuse. ” le balayeur balayé “. C’est ce que je retiens de ATT.
L’erreur fatale de ATT a été de négliger les investissements immatériels, notamment les investissements dans le capital humain. C’est vrai qu’il est important de construire des routes, mais il est encore plus important de développer l’éducation, la santé et surtout la bonne gouvernance. Tout ceci a manqué et c’est pour cela que je dis que ATT n’a pas été un bon président pour le Mali.
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