Les problèmes fonciers constituent de véritables bombes à retardement de notre société. Chaque régime en a fait sa priorité, mais ce problème qui ne date pas d’aujourd’hui est toujours d’actualité avec les mêmes ampleurs. Les spéculateurs sont de tout ordre, services de l’Etat, élus municipaux, agents immobiliers, autorités coutumières locales et même de vulgaires ‘’coxeurs’’. Ils en tirent tous profit. Ce faisant, ce fléau se développe, les pauvres en pâtissent et le nombre des victimes augmente. S’agit-il d’un phénomène sans solution ?
Le problème foncier au Mali est au premier rang des maux qui minent notre société et brisent la cohésion sociale. Il est au cœur de toutes les préoccupations et constituent les affaires les plus traitées dans les juridictions. Pour preuve, lors de la dernière session, soit la 24ème de l’Espace d’Interpellation Démocratique (EID), ce sont les questions foncières et domaniales qui étaient en tête des litiges avec un taux de 27,51%. Cette évidence n’a pas varié depuis près d’une dizaine d’années. Les victimes et les coupables se renvoient la responsabilité. De ce fait, l’on ne sait pas entre l’Etat (ses agents), les élus, les chefs de village et les agents immobiliers, qui sont les véritables coupables ? Le risque, tout de même, reste permanent d’investir dans le foncier au Mali.
Des victimes s’expriment
Mamadou Dramé est un ancien expatrié malien qui a décidé de retourner au bercail, il y a de cela une dizaine d’années. Son retour, comme celui de la plupart de ses compatriotes était fondé sur un seul objectif : venir construire chez soi. Surtout que le sieur Dramé a eu la chance d’investir dans le foncier en acquérant cinq lots. Comme l’on pouvait s’y attendre, lui aussi est confronté à des problèmes fonciers sur ses cinq lots (ses parcelles). Or, il a acheté ses trois premiers lots à Moribabougou, suite à une action de morcellement d’un titre foncier. Etant en aventure hors du pays depuis des années, il a fondé sa confiance sur son patron qui était venu ici au Mali pour une visite, afin d’effectuer les transactions à sa place. « Tout a commencé lorsqu’il nous a informé d’une vente des terrains en morcellement. Donc moi et un ami, nous lui avons envoyé de l’argent pour l’achat de trois lots pour chacun. De retour ici au pays, notre surprise fut grande quand nous avons demandé de voir nos parcelles. Il a essayé de nous berner, en nous faisant croire que là où étaient nos parcelles a été saisi par l’Etat et tous ceux qui avaient construits audit quartier, ont vu leurs maisons démolies. Et tous nos recours engagés sont toujours restés sans suite malgré qu’on a fondé une association pour qu’on nous mette dans nos droits» a-t-il rapporté.
Mamadou n’était pas au bout de ses ennuis fonciers, car il a été confronté à un autre problème sur ses deux autres parcelles à Dialakorodji, depuis 2017. D’après lui, il a ses bulletins et ses permis d’occuper des parcelles concernées, mais n’arrive toujours pas à être mis en ses droits de propriété, car lesdits lots ont été entourés par quelqu’un d’autre qui se dit en être le propriétaire légal. L’ex aventurier ne sait plus à quel saint se vouer.
En clair, personne n’est épargnée par ces prédateurs fonciers, homme que femme. C’est le cas pour cette dame, du nom de Fatoumata Keïta, une veuve et mère de quatre enfants, habitant à Nafadji (CI). Elle s’est finalement pourvue en justice pour entrer en possession du terrain que son mari lui a laissé comme héritage à leurs enfants. Selon elle, ce problème foncier l’agace depuis 5 années. Elle est opposée aux membres d’une famille de son voisinage qui réclament être propriétaires d’une partie de sa concession. « On a ce souci foncier depuis que mon mari était vivant. Mais, il avait reçu à les faire savoir qu’il est le propriétaire légal de sa terre. C’est après son décès que ces personnes sont encore revenues à la charge avec des soi-disant papiers que mon terrain leur appartienne. C’est la même mairie qui nous a délivré le bulletin, qui, leur a remis un autre document de ladite parcelle » a-t-elle expliqué, le cœur attristé. Selon elle, l’affaire est actuellement au tribunal de Grande Instance de la Commune I dont le jugement n’est pas encore programmé.
Dans la même veine, la demeure de feu Sidiki Diakité, un notable de Ouolofobougou Bolibana, a été démolie en juillet 2019 pour cause d’un souci foncier qui oppose sa famille à un haut cadre du pays depuis longtemps. Pour Bani Diakité, fils de feu Sidiki Diakité, il s’agit d’un abus avec la complicité des agents des domaines, car leur père a eu son titre foncier depuis 2008. « Notre père a eu son titre définitif en 2008. Curieusement, il y a un monsieur qui est venu dire que nous occupons 1/3 de sa parcelle. Sur la base de nombreux jugements, ils ont apporté une feuille A4 sans signature ni cachet. C’est sur cette base que notre concession a été démolie en disant que le titre a été annulé. Donc on est allé à la source pour vérifier que si toutefois le titre a été annulé, à notre grande surprise aussi, le titre demeure même actuellement en 2021 » a-t-il clarifié, sans manquer de faire savoir qu’en matière de litige foncier c’est toujours la raison du plus fort qui est meilleure. « Sinon comment peut-on comprendre qu’une seule personne peut annuler un titre crée, c’est vraiment inexplicable. Là où nous sommes, on a porté plainte contre la personne pour faux et usage de faux, jusqu’à présent l’affaire se trouve à la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Bamako. Quand-même, on fait confiance à la justice malienne» a dit M. Diakité en prenant son mal en patience.
Ibrahim Touré se bat actuellement pour récupérer sa parcelle que l’Etat lui a expropriée à Yirimadjo pour des fins de construction de routes. Ainsi, après quelques mois, sa surprise fut grande quand il est parti trouver un jour sur sa terre un particulier en train de faire des constructions. « Je ne vais pas lâcher l’affaire car on m’a menti en me soutirant ma parcelle au nom de l’Etat, afin de la donner à une autre personne. Dans quel pays vivons-nous ? Est-ce qu’on peut faire avancer le Mali sur un tel levier de corruption ou du népotisme ? » s’est-il interrogé.
Ces témoignages ne sont que ceux d’une minime partie des plaignants, la liste des victimes des litiges fonciers est loin d’être exhaustive.
Que fait l’Etat pour solutionner ces litiges fonciers ?
« C’est l’Etat qui est victime de ses agents. Il est victime de ces spéculateurs fonciers ou les escrocs fonciers », dit le Directeur national de l’Urbanisme et de l’Habitat Almaïmoune Ag Al Moustapha sur le souci foncier. Selon lui, les problèmes fonciers sont très vastes et traités par des structures différentes. Et que la population aussi a sa part de responsabilité. Il a affirmé que l’Etat fait tout pour trouver des solutions à ces problèmes. Les maires étant au centre de ce litige, M. Al Moustapha éclaircit que : « Le maire n’est habilité qu’à donner les concessions à usage d’habitation. Il ne peut pas donner autre…. Et pour qu’il les distribue, il faut qu’il les bénéficie. Parce qu’au Mali, les terres sont pour l’Etat».
Il a également mis l’accent sur la faiblesse de l’Etat face à ces litiges et l’incivisme des citoyens. Et que si la justice s’implique à 100% pour sanctionner les fautifs, ces problèmes allaient s’arrêter. « Il faut que l’Etat synchronise ses interventions. Et chacun à son niveau doit faire quelque chose » a-t-il recommandé.
Ce qui est à retenir dans l’évolution fulgurante de ce phénomène, est que personne ne se sent coupable, et chacun y tire son compte. Comme on le dit en bambara : « Mourou da ka gon, sogo ka fassa ». Donc, que les acteurs immobiliers de l’Etat prennent leur responsabilité pour assainir ce secteur en toute transparence. Et sensibiliser et informer davantage les citoyens sur les affaires procédures foncières. Quand la terre va tout va, dit-on.
Par Mariam SISSOKO