Décentralisation collectivité-développement local : Les collectivités face à la forte pression des titres fonciers (TF). Cas de Bamako et des communes environnantes.

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C’est en 1992 que le gouvernement du Mali a opté pour une politique de décentralisation, et c’est seulement en octobre 2017 qu’une loi est prise portant code des collectivités territoriales, la loi N°2017-51 du 02 octobre 2017. Cette loi dote désormais les régions, les cercles, le district de Bamako et les communes d’une personnalité morale et d’une autonomie financière. Parmi ces nombreuses démarches ambitieuses, l’État malien projette d’aborder la délicate question foncière, qui est potentiellement conflictuelle, car l’implication des collectivités locales dans la gestion décentralisée des ressources locales à comme corollaire une concurrence acharnée entre les communes. Ainsi, chefs coutumiers, élus locaux et autres administrateurs de l’État doivent s’associer pour gérer les problèmes fonciers. De nos jours, la ville de Bamako et les communes environnantes sont soumises à une forte pression d’augmentation de titres fonciers (TF) pendant ces dernières années. Et oui, les titres fonciers encouragent la spéculation foncière.

Le titre foncier est un document de propriété définitif et inattaquable sur un immeuble (bâti ou non bâti). Il garantit au propriétaire une occupation permanente et durable. Non limité dans le temps, le titre foncier est un droit de propriété à part entière.

L’augmentation significative des TF profite peu à la production agricole. Les usages de la terre étant constamment modifiés, les terres acquises par les nouveaux acquéreurs (les Bamakois) sont utilisées dans la plupart des cas comme un moyen de thésaurisation foncière pour de futurs terrains d’habitation. C’est ainsi qu’environ 70 % des TF ont vocation d’habitation. L’approvisionnement des populations bamakoises en céréales et légumes, que les paysans assuraient tant bien que mal, se détériore. Bamako, capitale du Mali et ville millionnaire depuis 1998, a connu une forte croissance démographique, avec des « pics de plus de 7 % par an. Sa population a été multipliée par 1,8 depuis 1998, soit de 1 016 296 habitants à près de deux millions habitants (1 810 336), selon le dernier recensement (RGPH, 2009).  En 2023, elle est estimée à 3.007.122 habitants pour une superficie de 267km2. Le rapide accroissement démographique de Bamako s’est accompagné d’une forte consommation spatiale. Dans ce contexte de disparition des réserves foncières et de nécessité de nourrir une population en forte croissance, les communes (rurales) environnantes, disposant d’énormes potentialités de ressources foncières, sont devenues au fil du temps des « zones attractives », stratégiques et de convoitises pour les habitants de Bamako. Ce faisant, l’appropriation de l’espace des communes environnantes par les citadins représente un véritable enjeu en matière de sécurité.

Cependant, si les premiers « propriétaires » (les paysans autour (rurales) environnantes, disposant d’énormes potentialités de ressources foncières, sont devenues au fil du temps des « zones attractives », stratégiques et de convoitises pour les habitants de Bamako. Le développement urbain de Bamako a beaucoup contribué à accroître la demande des TF d’autant plus que celle-ci influe sur la valeur de la terre. Des citadins achètent des parcelles dans les périphéries proches et lointaines en espérant, à l’avenir, que le marché foncier sera juteux.

Le revers de la médaille est que les politiques de logement empiètent sur l’agriculture périurbaine qui se trouve de plus en plus délaissée au profit des concessions à usage d’habitat. Ce mécanisme de distribution des TF profite aux personnes les plus influentes, les mieux renseignées (hauts fonctionnaires de l’administration), aux citadins le plus offrant. La lecture de la carte laisse apparaitre l’incidence négative des TF sur l’agriculture aux environs de Bamako. On peut constater que nombre de TF n’ont pas pour vocation l’agriculture. Environ 70 % sont destinés à la concession à usage d’habitation et le reste se partage entre concessions à usage agricole, industriel, commercial… Aussi, cette mutation dans les usages se concentre dans les communes jouxtant Bamako. Sur un total de 19 329 TF enregistrés, environ 85 % sont destinés à l’habitat pour Kalaban-coro, contre 52 % pour Ouélessébougou. Cependant, l’agriculture demeure la vocation première des TF attribués dans les communes de Baguinéda, Sanankoroba, Dialakoroba, Safo, Kambila, Kalifabougou, Dio-Gare.

Le morcellement des parcelles et le transfert de droit de propriété sont des pratiques qui contribuent à modifier la vocation initialement agricole des terrains et de plus en plus génère la conversion des terres agricoles en parcelles habitables. De ce fait, l’objectif de certains acquéreurs semble être la « commercialisation » des terres à travers les morcellements. Ainsi, quelque 55 % des TF sont issus des morcellements, soit 24 130 sur un total de 43 694 et avec une moyenne de 19 par TF. Les communes jouxtant Bamako se démarquent par l’importance des morcellements. Ces pratiques servent très peu les intérêts agricoles d’une part, d’autre part elles entretiennent une paysannerie sans terre, anéantissent la promotion de l’agriculture familiale dans les communes périurbaines de Bamako.  Ces nouveaux « propriétaires » ne sont pas à même de promouvoir l’essor de l’agriculture dans les zones périurbaines dans la mesure où ces nouvelles acquisitions n’ont pas pour vocation l’agriculture, mais plutôt l’habitat ou pour des fins de prêts hypothécaires.

De ce fait, la question de l’approvisionnement de Bamako en produits céréaliers et maraichers et celle de l’accessibilité des populations pauvres à ces produits essentiels pour leur survie se pose. De même que la question de pérennité de l’agriculture périurbaine ; les TF ont une incidence sur l’emploi des acteurs de l’agriculture. Outre la production, la distribution des produits crée des emplois ; l’agriculture dans les communes autour de Bamako contribue aussi à assurer tant bien que mal la sécurité alimentaire des paysans. Mais hélas !

 

 Boubacar DIADIE

                                                                                                                

  Élu communal /CV

Sociologue, ingénieur en développement local

Source : LA DIFFERENCE 

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