Financement des projets des jeunes : Enjeux, perspectives et propositions

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Les deux précédentes contributions ont porté sur des thématiques différentes dont l’entreprenariat jeune et la problématique de l’emploi des jeunes.Et fort heureusement, elles ont été appréciées à leur juste valeur par les uns et les autres.D’où notre motivation à continuer dans la démarche qui se présente autant comme une innovation en la matière qu’un outil incontestable pour la promotion de l’emploi des jeunes au Mali.Ilest question pour nous, dans la présente contribution, de jeter un regard sur la situation de financement des projets des jeunes dans notre pays. La question est tellement importante et cruciale à nos yeux, qu’il nous paraît à priori impossible de l’épuiser avec ces quelques lignes. Mais qu’à cela ne tienne, nous nous efforcerons de mieux cerner le sujet.

 

 

Cheick O. SOUMANO
Cheick O. SOUMANO

L’Etat du Mali, toujours dans sa ferme volonté de donner à l’entrepreneuriat tout son sensen boostant par la même occasion et de façon significative le secteur privé,a mis en place divers dispositifs complets. Lesquels reposent essentiellement sur l’accompagnent en termes financiers des jeunes entrepreneurs en vue de soutenir l’éclosion d’entreprises économiques viables et solidairement responsables et qui sont portées par eux.Cette heureuse initiative s’est traduite par diverses actions concrètes sur le terrain, dont :la création depuis plus d’une décennie d’un fonds de garantie appelé« Fonds Auto Renouvelable pour l’Emploi » (FARE), destiné à garantir des projets des jeunes acceptés au financement par les banques ; la création de deux (2) banques de solidarité (BMS et BRS) spécialisées dans le financement des projets des jeunes dont cet objectif est inscrit en lettre d’or dans leur objet social ;et enfin et surtout la création d’un fonds spécial dénommé « Fonds National pour l’Emploi des Jeunes » dont la gestion est confiée à l’Agence pour la Promotion de l’Emploi des Jeunes en charge de la promotion de l’entrepreneuriat jeune et de la facilitation de leur accès au crédit.

 

 

Fort logiquement, ces dispositifs tels que définis devraient permettre à l’Etat de financer beaucoup plus d’entreprises au profitdes jeunes candidats à l’entreprenariat.Mais  hélas, et les résultats jusque-là atteints ne sont pas toujours à hauteur de souhait. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Et selon les statistiques de 2012 disponibles auprès de beaucoup d’acteurs évoluant dans ce secteur : sur 100 demandes de financement des jeunes, moins de trois (3) sont acquis, et ce, après un véritable parcours du combattant de la part des récipiendaires. Par conséquent, des nombreuses demandes de financement des jeunes restent comme « lettres mortes » au niveau des banques de la place au motif de non rentabilité de l’activité des projets respectifs. Ce motif de rejet à notre sens, est un terme bateau, dans la mesure où, le projet peut être non rentable pour la banque X et l’être pour la banque Y.

 

Ce faisant et après une analyse minutieuse de la situation, certains constats nous ont permis de comprendre cet état de faitdes plus malaisés pour l’Etat. En effet, au nombre des constatsrelevés, il convient de mettre un accent particulier sur la frilosité grandissante des banques, fussent-elles, celles de solidarité, quand bien même celles-ci seraient très liquides et dont l’une des missions fondamentales serait le financement des jeunes diplômés sans garantie. Les statistiques illustrant cet état de fait ne sauraient manquer. Pour preuve et selon les chiffres mis à notre disposition pour l’année 2012, sur une demande cumulée de financement des entreprises portées par les jeunes estimées à 3 500, seulement moins de 180 (soit 5%) desdites entreprises ont pu accéder au précieux sésame. Etant entendu que cela intervientau prix du reste de la fourniture de nombreuses garanties souvent dépassant de loin le montant des engagements contractés. Cette situation a pour corollaire d’une part le blocage de l’initiative privée au Mali, et d’autre part la surliquidité des banques laissant des opérateurs économiques à leur propre sort.

 

Au-delà de ce premier constat, les arguments le plus souvent avancés par les banques pour justifier leur position de frilosité, et qui pourraient être qualifiés de politiquement corrects pour elles, mais, à juste titre d’économiquement inappropriés de notre point de vue, sont les suivants :

 

–          L’inadéquation entre le profil du jeune entrepreneur et l’activité projetée ;

–          l’inexpérience du jeune entrepreneur se traduisant par l’insuffisance de son encadrement en amont et éventuellement en aval ;

–          la mauvaise qualité des plans d’affaires présentés au financement ;

–          la non formalisation des entreprises demanderesses de financement faisant d’elles des entreprises peu ou prou fantômes au regard de la banque ;

–          l’absence de garanties significatives pour faire face aux différents risques ;

–          le taux élevé d’impayés des projets des jeunes ;

–          le manque de concertation entre les acteurs intervenant dans le financement des projets des jeunes. En effet, il existe une pléthore de structures intervenant dans ce créneau, mais force est de reconnaître qu’aucune d’entre elles ne se communiquent des informations utiles en vue d’éviter les doublons dans le financement.

 

Face à cette situation, autant triste et inadmissible à la fois, il urge d’apporter des remèdes et de renverser la tendance d’oùla présente contribution. Les propositions qui suivent s’adressent pour partie aux jeunes eux-mêmes pour qu’ils soient considérés par les banques, non pas, comme une clientèle à risque mais celle désormais très sûre. Et pour l’autre partie aux banques, pour leur rappeler évidemment leur rôle à savoir le financement de l’économie et surtout la prise des risques. En d’autres termes, il s’agit de :

 

 

–          Former les analystes crédit des banques en entrepreneuriat pour les amener à avoir le goût dans la prise de risque mesuré. En ce moment-là, la perception qu’a le commun des mortels ne serait plus de penser que les banques ne font que financer les garanties et non l’activité ;

–          Former les jeunes demandeurs de financement à la culture du prêt, de sorte qu’ils comprennent tout l’enjeu qui est derrière le montant qui leur est octroyé, de telle sorte qu’ils comprendront qu’un franc emprunté se rembourse à 2 francs au moins ;

–          Diversifier les produits financiers en fonction des besoins du jeune entrepreneur. Autrement dit, développer systématiquement la culture de crédit -bail ( leasing) pour les jeunes devant faire des gros investissements à l’image des projets d’imprimerie, de boulangerie, en vue de les sortir desméfaits des prêts amortissables dont le respect des échéances n’est pas évident à tous les coups ;

–          Instaurer systématiquement un fonds de suivi de l’exploitation du projet jeune, prélevé sur les ressources prêtées par le jeune entrepreneur, en vue de lui fournir toutes les expertises nécessaires au bon fonctionnement de son projet ;

–          Arrêter toute communication sur  l’existence d’un fonds de garantie en soutien au projet en cas de sinistre, pour éviter le mûrissement chez le jeune de toute velléité de non remboursement ;

–          Instaurer le système de garantie progressive ou dégressive selon le cas, en vue d’instaurer soit la prime d’encouragement au remboursement soit l’invitation de la banque à prendre part à la prise de risque dans le cadre du financement ;

–          Mettre davantage l’accent sur l’encadrement en amont aussi bien en aval du jeune, de telle sorte que l’expert qui le forme en entrepreneuriat en amont, soit le même qui fasse son plan d’affaires, le suive au niveau de la banque jusqu’au financement et s’occupe enfin et à la fois du suivi de l’exploitation de l’activité et de celui du remboursement jusqu’au paiement du dernier centime ;

–          Amener les banquiers à fournir de façon permanente des appuis/conseils à l’endroit des jeunes financés et ceux dans l’attente du financement pour l’instauration d’une confiance soutenue ;

–          Instaurer un cadre de concertation permanent entre les représentants des associations faîtières, les consultants travaillant sur les dossiers et les représentants des services techniques de l’Etat pour dégager ensemble des créneaux porteurs en jugulant du reste les différents risques afférents à chaque secteur d’activité ;

–          Faire de telle sorte que les banques puissent dégager chaque année un montant destiné au financement des projets avec des objectifs stratégiques à l’appui et partager au besoin, avec tous les acteurs, les raisons du non épuisement de l’enveloppe et de la non  atteinte des objectifs initiaux ;

–          Instaurer un fonds de solidarité de financement des projets des jeunes, lequel fonds sera alimenté par  une contribution volontaire de tous les Maliens, pour prendre en compte l’aspect social de l’emploi. Ce fonds  sera placé sous forme de Dépôt ATerme (DAT dans une banque de solidarité de la place et servira à rembourser intégralement les prêts sinistrés. Ceci permettra à tous les Maliens de s’impliquer auprès des bénéficiaires des prêts émanant de leur communauté afin d’éviter une dilapidation des fonds de la part des jeunes bénéficiaires du financement…

 

Si ces propositions sont prises en compte, l’Etat pourrait incontestablement améliorer la situation actuelle. Et quant au secteur privé, il pourrait atteindre sa vitesse de croisière. Nous ne croyons pas non plus à la pertinence de création d’une nouvelle banque, car les treize (13)  banques qui sont déjà opérationnelles pourraient faire l’affaire des uns et des autres.

 

Cheick O. SOUMANO,

Expert en financement des

Projets des jeunes

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